Rédigée par MALLET Jeanne sur l'ouvrage de NOBLE Denis : |
« LA MUSIQUE DE LA VIE » Editions Seuil, col. Science ouverte, 2007, 242 pages. ISBN :0-19-929573-5 |
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L’ouvrage commence par la belle citation de Léonard de Vinci « Ne sais-tu pas que ton âme est faite d’harmonie ? » (Traité de la peinture), et tout est déjà dit.
Denis Noble est Professeur émérite de physiologie cardiovasculaire (et biologie moléculaire) à l’Université de Oxford. Un statut qui libère la parole, surtout pour un « honnête homme » du XXI siècle, cultivé, inventif, curieux et indépendant (et francophone). Il y a de la joie de vivre, de l’élan et de l’humour dans cette écriture précise, érudite et néanmoins taquine, voire provocatrice. Denis Noble ne s’en défend pas : il a choisi délibérément le style pamphlet et l’usage de la métaphore pour nous « réveiller ».
De la biologie moléculaire réductionniste, et de ses grandes réussites, passées, présentes (et sans doute encore futures), il n’a rien à apprendre : c’est un spécialiste averti, reconnu et qui a fait ses preuves dans sa propre spécialité (biologie moléculaire des tissus cardiaques).
Mais le projet de son livre, c’est de plaider pour une ouverture rapide sur une « biologie des systèmes »i, prenant enfin à bras le corps les interactions, les processus, notamment ascendants, éclairant aussi les embarrassantes « propriétés émergentes ». Il cite en début de chapitre 9 Gabriel Dover qui, dans « Dear Mr Darwin » (2000), nous dit « Nous n’avons pas de théorie des interactions et, tant que nous ne l’aurons pas, nous n’aurons pas de théorie du développement ou de l’évolution ».
Denis Noble prend tout son temps, de chapitre en chapitre, chapitres quelquefois ardus, pour traquer les représentations erronées du lecteur, en visant deux publics, les biologistes (et plus largement les scientifiques) mais aussi, indirectement, les philosophes, notamment ceux engagés dans des voies, pour lui sans issues, de la philosophie analytique (y compris sans doute à Oxford !).
Depuis 1944 et E. Schrodinger, nous continuons à nous demander « Qu’est-ce que la vie » ? Heureusement, notre réseau MCX-APC est une bouffée d’oxygène, qui nous amène à lire, avec beaucoup d’ouverture, de nombreux auteurs, comme le regretté Francisco Varela (voir fiches de lecture MCX-APC)
Ainsi, Denis Noble alimente intelligemment le débat sensible sur l’évolutionnisme, et on ne pourra pas facilement le mettre dans le camp (commode) des « créationnistes » !. Il est vrai que, comme tout musicien, il aime au delà des mots l’harmonie, et s’accommode, avec repos et humour, à la fin de son livre, de la « dissolution du sujet et du monde ». Maître Eckart devrait être satisfait. Et aussi ses disciples. Des courants philosophiques, dans toutes les traditions de notre petite planète bleue, nous en avertissent de fait depuis des siècles. La « biologie des systèmes » le confirme aujourd’hui, pour peu que l’on veuille s’y intéresser. Voilà qui génère, et c’est bien normal, de nombreuses résistances.
Que manque t-ilii ou qu’y a t-il de trop à cet ouvrage plein d’humour, très rafraîchissant, actualisant, avec précision, nos connaissances sur la « biologie des systèmes/biologie intégrative » et centré sur les processus intégratifs et les propriétés émergentes (dénonçant les blocages théoriques/épistémologiques actuels dans son domaine...et plus largement en biologie, et indirectement en sciences humaines, dont théories de l’apprentissage et sciences cognitives) ? Mon expérience quotidienne universitaire me prouve, tous les jours, que pour un public occidental, il vaut mieux citer Spinoza et Maître Eckart que le Zen (bien que les perspectives philosophiques et les expériences soient très proches).
Mais tant qu’à « réveiller », Denis Noble a peut être raison : une culture différente de la nôtre est quelquefois une bonne douche glacée, qui éveille. Avis aux amateurs.
Jeanne Mallet
[i] ou « biologie systémique » si l’on préfère ; en anglais « systems biology ».
[ii] Peut être un petit regret : il reste à mieux souligner, au delà de Gabriel Dover, que nous avons inconfortablement « un pied en l’air », malgré Alfred Korzybski (1879-1950) et son travail précurseur de « sémantique générale . En effet, nous n’avons pas encore ni une mathématique (et une logique), ni une physique des « processus intégratifs » caractérisant les systèmes vivants et leurs dynamiques néguentropiques/entropiques.
Fiche mise en ligne le 09/04/2007