Rédigée par LE MOIGNE Jean-Louis sur l'ouvrage de LANI-BAYLE Martine et TEXIER François : |
« APPRIVOISER L’AVENIR pour et avec les jeunes : Entretiens inter générationnels avec André de PERETTI » Edition marc & martin, Paris 2007, ISBN 2 8493034 0, 184 pages. |
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Pour en savoir sur l'ouvrage, une page du site de J. Nimier il consacre aussi à ce livre une fiche complète et bien faite que l'on trouve à http://perso.orange.fr/jacques.nimier/livre_peretti_lani_bayle.htm
L’auteur important de ce livre n’est pas le collectif sympathique qui l’a voulu et réalisé et qui le signe, c’est le ‘héros’, vivant et vivifiant, dont ce collectif a fait son ‘sujet’ ; je veux dire André de Peretti, qui a rédigé à lui seul la moitié de l’ouvrage (presque : 73 pages sur 157 sans les annexes). Certes, sous la forme de deux longs entretiens avec deux groupe de générations différentes (des adultes matures et des jeunes lycéens) ; mais son propos m’a paru si riche et si coloré que j’en garde trace plus spontanément.
Le projet de M Lani-Bayle et de ses collègues suscitant et animant ces entretiens puis ce livre est certes fort bienvenu : Que savons nous aujourd’hui des communications intergénérationnelles ? Sont-elles encore possibles, fructueuses, souhaitables ? Enseignants, éducateurs, parents, psychosociologues ne sont-ils pas riches d’expériences … et de souvenirs d’échecs dans leurs interventions… intergénérationnelles ? Certes la part de l’ineffable si singulier échappera à toute investigation généralisante, mais les diagnostics peuvent au moins être tentés pour identifier quelques conditions facilitant ou dégradant qualitativement cette communication entre des générations que nos sociétés craignent de ne plus savoir « relier ». Pour tenter d’éclairer quelques aspects au moins de cette tension apparemment toujours renouvelée, l’équipe qui anime les ‘Chemins en Formation’ a eu l’idée d’organiser des rencontre bien préparées entre deux ‘extrêmes’, en partant d’une question que A de Peretti (génération G0) s’attache à nous poser depuis longtemps : « Comment apprivoiser l’avenir pour les jeunes et pour nous ». (p 13) et en y exposant des adultes (G1 et G2) puis des jeunes (G3 : Lycéen-ne-s entre 13 et 19 ans).
Ce livre rend compte de cette éxpérience originale en reprenant les scripts de ces échanges puis en tentant de les interpréteri sinon de les théoriser. Exercice qui m’a toujours paru si délicat que je préfère en le lisant ‘suspendre mon jugement’ et prendre le risque de privilégier ma propre interprétation du ‘matériau’ ainsi rassemblé, les 73 pages au fil desquelles nous écoutons André de Peretti. Nombreux sont ceux qui aujourd’hui situent son attachant parcours au fil du siècle (Il est né en 1916). Le Maroc, l’Ecole Polytechnique, les cinq années d’Oflag, la rencontre de C Rogers, son oeuvre considérable en psychosociologie et en sciences de l’éducation, son œuvre littéraire aussi… Il narre tout cela avec modestie, presque avec discrétion, et souvent émerge ce qui me semble être la sagesse qu’il a su se former. Puis je citer quelques formules qui la suggère :
- « Je prends des solutions qui me permette de frôler les risques. J’aime bien la notion moderne de surf. Je pense de plus en plus qu’il faut surfer sur les complexités du monde. » (p.52)
- « Parce que je trouvais que la tendance de mes collègues consistait trop à se taper sur la tête sur le béton de cette institution. Bien sûr il y a des violences cachées en n’importe quoi et partout, autrement il n’y aurait pas d’energie instituée. Mais cette energie si vous la provoquez elle vos rentre dans le chou à moins que ce ne soit vous qui vous cognez la tête dessus. Moi, je cherche les cheminements vers les marges d’ouvertures et d’issues possibles, en évitant les découragements. » (p.53)
- « Il faut trouver : sans obligation ni colère contre les institutions, mais toujours avec l’idées qu’il ne faut pas les pousser à se bétonner davantage, il faut au contraire les aider à s’affiner en fécondité, car si on les voir comme vivantes, elles vont accoucher de quelque chose qui est en elles » (p.57).
- Je ne peux recopier ici sa page sur son interprétation de « l’Intermezzo » de Giraudoux pour interpréter ses initiatives dans les domaines de la pédagogie institutionnelle, mais je crois que nous devrions tous la méditer : « La manière de ne pas suivre cet inspecteur qui voulait que la clarté soit obligatoire » (p.60)
C’est sans cesse cet appel à l’exploration du champ des possibles et à cette conscience lucide des pressions des catastrophismes ambiant (que les média éclairent tellement qu’ils risquent, trop éclairés, de nous aveugler) que je lis dans les témoignages d’A de Peretti : Cultivons cette ‘éthique de résistance’, cette fierté à partager, à inventer ‘les reliances équilibrées entre les fins et les moyens’ (p.156), à chercher sans cesse les interstices (« Je me dis ‘analyseur d’interstices’ » au lieu de nous ‘casser la tête contre le béton de nos institutions’. Ici ce sera, en judicieuse provocation en invitant les jeunes à aider les adultes… qui les aident à se distancier des média (p. 154)
Les quelques pages qu’il consacre à l’évocation de ses cinq années d’Oflag nous disent mieux qu’un docte exposé, ce que peut-être cette intelligence de la vie et de l’humaine dignité dans des conditions parfois insupportables : le récit évoquant la cuisson de ces épluchures de pomme de terre qu’il a l’idée de dérober aux cochons alors qu’avec quelques camarades ils errent, l’ Oflag IV D étant dispersé lors des derniers jours de la guerre en 1945, mourant de faim, pour survivre quand même, est une pièce d’anthologie de l’invention des possibles.
En lisant ces pages, pouvais je ne pas reprendre un autre récit de ‘morceau de vie’ rédigée par un de mes quasi homonymes, Pierre Le Moign’ (1913 – 1974), que je n’ai pas connu, mais Edgar Morin évoque volontiers lors de nos échanges. Il fut très proche de ce ‘héros au sourire si doux’ dans les années héroïques de la résistance et de la libération, alors que ce prisonnier évadé du stalag XI B, participait très activement avec lui au Mouvement de Résistance des Prisonniers et Déportés. C’est sur les indications d’Edgar Morin que je découvris enfin le très beau livre ‘Morceau de vie’ : « Les chemins du refus, 1940 – 1944) » qu’il ne put achever (Une longue maladie, conséquence des supplices - Milice et Gestapo - endurés à Lyon surtout) et que sa veuve Renée Le Moign’ pu enfin faire imprimer à compte d’auteur.
Quelques passages de ce livre - récit évoquent son arrivée fin juin 1940 avec quelques milliers de ‘PG’ dans un stalag allemand qu’ils découvrent soudain : Le héros soliloque
« Ni femme, ni parents, ni ami. La solitude stricte, dans un agglomérat encore sans âme. La richesse des souvenirs, te chatoiement des rêves ? Non, rien que la bonne mécanique humaine en marche.
Balayés, les chagrins, chassées les angoisses naissantes, refoulés victorieusement les phantasmes ! Seule l'intelligence ! Elle économise les nerfs, coordonne les coulées de sang, apaise la faim, trompe la soif exigeante, observe, se rappelle, compare, découvre la réalité des rapports qui s'établissent, des questions qui se posent, l'excitent, la passionnent, et la laissent pour le moment, le bec dans l'eau.
Théodore Mallet, pour la première fois, apprend que son sort est lié à ceux-là, qui marchent à ses côtés, magma informe pourtant, mais où frissonnent tout de même les aubes naissantes de vies nouvelles. » (p. 31)
Seule l’intelligence. … N’est ce pas le même message que ces deux témoins de la génération G0, le polytechnicien et l’instituteur, exposés dans des conditions similaires, nous permettent aujourd’hui de méditer ?
La métaphore que nous propose ici André de Peretti, « Apprivoiser l’Avenir », que M Lani Bayle commentera attentivement dans son introduction, ne nous renvoie-t-elle pas cette même image ? Apprivoiser, ce n’est pas s’approprier, c’est s’accepter responsable ? Vous vous souvenez ? :
- Le petit Prince : Qu’ est-ce que signifie “apprivoiser” ?
- Renard: C’est une chose trop oubliée. Ça signifie “créer des liens”. … On ne connaît que les choses que l’on apprivoise. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. … Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé.
[i] Au risque d’interpréter les coquilles dues au décryptage de l’enregistrement audio, trop vite relu par l’interprète : p. 56, le célèbre « Que ma joie demeure » qui relie JS Bach à J Giono, devient : « Que ma gloire demeure »… pour conclure : ‘Chantons amis, la vie est belle’. (Allusion très belle au ‘pathétique extraordinaire du film de Roberto Benigni La vita è bella’). La gloire ici est plus qu’incongrue pour le jeune lecteur qui ne peut corriger de lui-même.
Fiche mise en ligne le 11/07/2007