Rédigée par LE MOIGNE Jean-Louis sur l'ouvrage de FILMER L’EPHEMERE. Récrire le théâtre (et Mesguich) en image et son : |
« BOUCHEZ Pascal » Presses Universtaire du Septentrion, 2007, ISBN : 978 2 85939 979 5 556 pages. |
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Si une ‘représentation théâtrale’ est une représentation, il est difficile d’identifier ‘ce qui est ainsi représenté : Un lieu scénique ? un récit dialogué ? des personnages jouant ? un artificieux ‘spectacle’, séquences d’actions morpho – spatio - temporelles multiples et entrelacées ? Paradoxalement la représentation filmée d’une représentation théâtrale semble plus aisée à définir sans ambiguité, ‘ce que voit et entend le spectateur pendant la durée du spectacle’, bien que plus difficile encore à réaliser de façon parfaitement mimétique.
Cette métaphore de ‘la représentation de la représentation’, archétype de la modélisation d’un phénomène perçu complexe (irréductible à une description exhaustive), n’est-elle pas fort bienvenue pour nous inciter à réfléchir encore à ce que chacun fait en s’attachant à l’entendement du ou des systèmes (perçus) complexes qu’il rencontre ou qu’il se propose d’élaborer?
En nous invitant à méditer sur cette ‘recherche, artisanale et artiste, sur le couplage théatre-film’, André de Peretti donne en Postface à ce récit de ‘sept années d’expérience de « prises » audio-visuelles sur le vécu d’un grand Théâtre’, une portée épistémologique qui nous retient d’autant plus volontiers l’attention que l’auteur de cette recherche, P Bouchez, la sollicite fréquemment au fil de son récit.
A de Peretti reconnaît là aisément ‘Une épistémologie pratique (qui) peut rendre attentifs à la complexité (des) enchevêtrements de logiques et d’éthiques antagonistes (et) de support technologiques organiquement devenus « non-séparables ».
‘Les problèmes posés par l’organisation de systèmes de représentation – aux deux sens du terme, soit en « représentation de représentations »-, portant sur une supposée « même » composition théâtrale, invitaient à ne pas disjoindre les théorisations des résultats expérimentaux et des récits descriptifs, recueillis en autopoïéses successives’. (p.522).
Il conclura, nous invitant à interpréter, dans nos pratiques quotidiennes de ‘modélisation de la complexité’, l’exceptionnelle experience dont parvient à nous rendre compte P Bouchez.: « La combinatoire avisée, rusée - expérimentalement testée et discutée dans le projet du couplage dialogique entre théâtre et cinéma - peut symboliquement apparaître illustrer toute pensée dans le relais d’appareils de « prises de perception et de représentations enactive », multiples et décalées puis recombinées. ». (p.524).
C’est je crois un des principaux mérites de ce ‘témoignage’ de P Bouchez que de nous permettre de nous approprier, à partir des exemples techniques qu’il décrit sans lourdeurs inutiles, cette combinatoire des moyens possibles ‘de prises de perception et de représentations enactive’. Ici ce sera en nous informant sur les usages des techniques de ‘mono puis de multi captation’, avec ou sans simulation, avec ou sans ‘méta-découpage’. Ces exercices de multi captation sur des temps et avec des regards multiples ne constituent-ils pas une métaphore bienvenue de ces ‘modélisations de conceptualisation relative’ pour exercer nos intelligences de phénomènes perçus complexes ? P Bouchez nous ‘donne à voir et à opérer’ cet ineffable de l’entendement, en détaillant parfois tant les contraintes budgétaires que les développements techniques actuels et prévisibles (souvent impressionnant), et surtout en étant attentif à l’irréductible complexité de leur insertion dans les tissus socio organisationnels, attentif aussi à une ‘résonance paradigmatique profonde entre le metteur en scène et le réalisateur ou cinéaste’ (p.501). Résonance paradigmatique qui devra peut-être alors s’avouer sinon virtuelle, au moins assez éphémère pour que chacun en garde trace ? Dans sa brève préface, Daniel Mesguich qui fut le metteur en scène invitant le réalisateur P Bouchez, ne nous confesse-t-il pas ‘la grande irréalité du Daniel Mesguich que (nous) allons lire’ tout en convenant que cette ‘irréalité était sans doute nécessaire à l’établissement de ce texte au demeurant passionnant’ :
Les conditions de la riche experience de ce ‘réalisateur’ sont ici longuement narrées, peut-être trop longuement pour un lecteur qui n’est pas familier avec ‘les milieux du théâtre’ et de cet étrange rapport qu’induit ‘la présence du public’. Il fallait sans doute tenter de conserver sinon les traces, au moins les empreintes tant affectives que cognitives de ces expériences pour légitimer en quelque sorte le statut du récit et lui donner son caractère plausible. L’auto justification l’emporte-t-elle souvent sur l’auto critique ? Qui jettera la première pierre ? Le lecteur sait gré à l’auteur de son soin à contextualiser autant que faire se peut la narration documentée de ses expériences.
Car nous importe ici son effort de probité et son soin à ne pas simplifier. Lorsqu’il nous confesse sa satisfaction d’avoir su parfois ‘explorer une voie originale de tournage au plus proche de l’autopoïése théâtrale ….et d’avoir conduit ce projet jusqu’au bout avec un budget exceptionnellement modique’, il suscite l’empathie de tous ceux qui s’attachent à représenter intelligiblement ‘un processus anthropique’ : Génie théâtral et artistique ici, génie organisationnel ou logistique ou industriel ou urbain ou rural ou sanitaire ou éducatif ou communicationnel ou autre, nous sommes tous concernés par ces exercices cognitifs de ‘représentation de représentations’, exercices médiatés par de multiples artefacts, qu’ils soient caméras DMD (multi captation), ou Hypermédia ou logiciels de virtualisation, ou Sfumato Léonardien, ou tant d’autres anciens et prochains.
L’important n’est-il pas lors que nous sachions ‘conserver dans nos esprits et dans nos cœurs la volonté de lucidité et à la netteté de l’intellect’ nous souvenant sans cesse que ‘nos moyens d'investigations et d'action laissent loin derrière eux nos moyens de représentation et de compréhension’. (P Valery). Cette passion du partage de l’experience humaine appelle au cœur de nos pratiques et dans l’usage de nos moyens d’action, nos méditations éthiques nous invitant à développer plus encore notre passion de « comprendre pour faire et de faire pour comprendre »
Eclairerai je le lecteur s’étonnant de mon attention a cette œuvre insolite sans doute (au moins par son titre plus que par son projet) hors des milieux professionnels du théâtre, en lui mentionnant le rappel que fait P Bouchez de ‘celui qui fut (son) second maître à penser, Edgar Morin ‘(le premier ayant été H Laborit, le troisième, D Mesguich). ‘Je me plongeais tout entiers dans La Méthode avec un enthousiasme mêlé de ferveur…La pensée de la complexité de cet auteur majeur qui me paraissait très en avance sur son époque, avait peu à peu imprégné tout mon état mental….J’avais accés à un niveau de pensée récursive qui n’était pas celui de mon niveau de conscience habituel’ (p.303-4). Ainsi s’ouvrait l’attention à cette ‘intelligible imprévisibilité essentielle’ de toute ‘représentation de représentation’ poïétique plus que mimétique.
Attachons nous dés lors à lire aussi cette experience se transformant en science avec conscience.
JL Le Moigne
Fiche mise en ligne le 13/11/2007