Rédigée par LE MOIGNE Jean-Louis sur l'ouvrage de CAILLE Philippe : |
« VOYAGE EN SYSTEMIQUE. L’intervenant, le demandeur d’aide, la formation. » Edition Fabert, Paris, 2007, ISBN : 978-2-84922 036 8, 215 pages pages |
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C’est par sa rencontre avec l’école de Mara Selvini qui animait le pionnier ‘Centro per lo studio della famiglia’ de Milan, en 1973 que Ph Caillé, jeune psychiatre déjà expérimenté, allait pénétrer dans ce ‘temple aux vivants piliers … et forêt de symboles’ qu’était - et est peut-être encore - la psychothérapie systémique inspirée par la Batesonienne ‘Ecole de Palo-Alto’. Elle commençait au début des années soixante dix à instiller et souvent à renouveler la culture et les pratiques des psychothérapeutes européens.
Il nous livre aujourd’hui quelques pages du ‘log- book’ de ses 35 années de ‘Voyage en Systémique’ : Voyage hors des sentiers battus d’une systémique académique, celle la trop analytique ‘analyse (ou approche) de système’, sentiers tracés seulement à la règle et au compas, alors que les chemins de la vie nous suggèrent sans cesse mille imprévisibles détours que la règle du géomètre ne permet pas de dessiner. G Vivo déjà nous l’annonçait :
‘Comme si l'on ne voyait pas régner dans les choses humaines le caprice, le fortuit, l'occasion, le hasard, vouloir marcher droit à travers les anfractuosités de la vie, vouloir dans un discours politique suivre la méthode des géomètres, c'est vouloir n'y rien mettre d‘ingenium, ne rien dire que ce qui se trouve sous les pas de chacun, c'est traiter ses auditeurs comme des enfants à qui on ne donne point d'aliment qui ne soit mâché d'avance’i
Et plutôt que de nous désigner le chemin qu’il a tracé au fil de ses initiatives de ‘psy - clinicien’ attentif aux ‘résonances entre les différentes expériences’ (p.44), Ph Caillé va, avec un talent de conteur soucieux de comprendre ‘la morale de ses histoires’, nous inviter à établir à notre gré une sorte de ‘cartographie pour l’action’ : image heureuse par laquelle il définit métaphoriquement la systémique en évolution, qui ‘danse avec le monde ambiant, … qui passe de main en main, qui invente de nouvelles façons de faire, aussi bien qu’elle en redécouvre d’anciennes …’ (p.11)
Cette métaphore de ‘la cartographie pour l’action’ me semble particulièrement éclairante pour caractériser la modélisation systémique. Saurons-nous enfin l'entendre au lieu de nous acharner à lui demander des recettes qui, nous évitant de 'travailler à bien penser', nous conduisent à ‘faire sans comprendre’ et à accumuler ces ‘dénis ce complexité’ qui ‘décivilisent’ si dramatiquement parfois les relations entre les humains et les relations des sociétés humaines avec notre planète, Terre-Patrie. Certes le mal ne sévit pas seulement chez les Psy - Cliniciens, mais ce sont eux qui en ont souvent l’expérience la plus intensément perçue et qui parfois, comme ici Philipe Caillé, savent à la fois la narrer et nous inciter à ne pas nous résigner (Le titre de l’ouvrage qu’avec Y Rey, il avait publié en 1996 n’est-il pas significatif : « Il était une dois… la méthode narrative en systémique » ?).
En retrouvant sous sa plume la métaphore de ‘la cartographie de l’action’, n’est-on pas tenté de relire ces lignes de P.Valéry qui caractérisent si pertinemment le projet de la modélisation systémique : ‘Je n’ai jamais cru aux ‘explications’…. mais j’ai cru qu’il fallait chercher des ‘représentations’ sur lesquelles on pût opérer comme on travaille sur une carte ou l’ingénieur sur épures,’etc. – et qui puissent servir à faire’.
Une nouvelle fois, l’experience du psycho thérapeute (comme celle de l’entraineur de sportifiii), qui réfléchit sur ses experiences nous conduit à ‘ne plus considérer la connaissance (que nous formons ou sur laquelle nous construisons) comme la recherche de la représentation iconique d'une réalité ontologique, mais comme la recherche de manière de se comporter et de penser qui convienne. La connaissance devient alors quelque chose que l'organisme construit dans le but de créer un ordre dans le flux de l'expérienceiv, autrement dit ‘pour comprendre, c'est-à-dire pour faire’.
Je ne peux citer ou commenter ici les multiples contes et paraboles par lesquels Ph Caillé jalonne les étapes de son voyage (de thérapeute méditatif) en systémique. De ‘la parabole des deux planètes Alpha et Bêta’ par laquelle s’ouvrait son « Un et un font trois »iv, jusqu’à celle de ‘l’oignon de la connaissance’ (p.185) qu’il emprunte à H Ibsen (1867), les exemples sont légions et le lecteur aura plaisir à les découvrir. Lui en donnerai je la saveur en recopiant ici la répartie que H Ibsen met dans la tirade finale de Per Gynt, réparie par laquelle nous pourrons entendre la parabole de l’oignon cognitif? :
‘Le noyau ne va-t-il pas bientôt apparaître ? (il met l’oignon en pièces.) – Rien à faire ! Jusqu’au point le plus profond, tout n’est que couches, seulement de plus en plus petites. – La Nature est pleine d’esprit ! »
[i] G Vico : ‘De l’antique sagesse de l’Italie’, 1710, trad J. Michelet (1835), réédité avec une introduction de Bruno Pinchard Ed GF- Flammarion, 1993.
[ii] Cf l’éditorial de Mars 2008 du site du RIC : « Travailler a bien penser », c'est reconnaître la complexité de l'action humaine : l’expérience de l'entrainement des sportifs de haut niveau’ par C Fauquet et Ph Fleurance http://archive.mcxapc.org/docs/reperes/edil41.pdf
[iii] E. von Glaserfeld, dans " L'invention de la réalité " (dans P. Watzlawick, 1981-1985, p. 41)
[iv] Publié initialement en 1991, chez ESF, souvent ré édité http://archive.mcxapc.org/cahier.php?a=display&ID=407
Fiche mise en ligne le 03/04/2008