Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par LE MOIGNE Jean-Louis sur l'ouvrage de DUCRET Jean-Jacques, (ed.) :
« CONSTRUCTIVISME ET EDUCATION (III) Construction intra & intersubjective des connaissances et du sujet connaissant »
     Ed. Service de la Recherche en Education, Genève, CAHIER 15 du SRED 2009, ISBN 2 940238 19 7, 603 pages

La parution de ce Troisième CAHIER du SRED de Genève, « Constructivisme et Education » , courageusement réalisé et coordonné par Jean-Jacques DUCRET, l’infatigable animateur du remarquable Site de la Fondation Jean Piaget, nous donne une occasion bienvenue d’un retour au source des épistémologies constructivistes et du constructivisme génétique : l’œuvre scientifique  considérable de Jean Piaget et de ses collaborateurs du célèbre Centre d’épistémologie génétique de l’Université de Genève (de 1955 à 1985) n’est-elle pas une des pièces maitresses sur lesquelles nous pouvons aujourd’hui renouveler notre ‘intelligence active de ‘la Connaissance’ en nous entendant dans notre complexité de ‘Sujet Connaissant’ ?

En nous rappelant il y a quarante ans, que « la connaissance n’est jamais un état et constitue toujours un processus » et en nous proposant une définition de l’épistémologie qui allait libérer ‘La Connaissance de la Connaissance’  de l’emprise des idéologies et des méthodologies scientistes des positivismes - « L’épistémologie est l’étude de la constitution des connaissances valable » -  J Piaget nous apportait une contribution solidement argumentée qui s’avère désormais  enracinée dans nos cultures.

Certes, la ‘traversée du désert’ que connait l’œuvre considérable de J Piaget (1896-1980) dure anormalement longtemps   : effet, hélas usuel, des petitesses académiques et médiatiques : Les chercheurs en science de l’éducation et en psychologie génétiques veulent se donner stature en  contestant tel ou tel point de ses travaux dans leur discipline (‘le meurtre du père prit ici une forme polémique avec un ouvrage intitulé ‘Faut il bruler Piaget ?’ initialement publié en 1981 !). Ici ils sont à leur affaire en arguant des développements à leurs yeux insuffisant que J Piaget aurait consacré à la psychologie sociale, telle que la prônerait Vitgotski en la proclamant ‘socioconstructiviste, pour qu’on ne la confonde pas avec un constructivisme méthodologique déclaré piagétien.i Querelle méthodologique (dont JJ Ducret et quelques autres démontrent ici l’inanité, références aux textes de Piaget aidant), inattentive comme trop souvent à la légitimation épistémologique qu’exige l’interprétation des résultats de toute méthode. Légitimation à laquelle J Piaget s’était pourtant attaché en veillant à argumenter les ‘méthodes relationnelles’ puis ‘constructivistes ou dialectiques’ qu’il expérimentait dans le cadre d’une ‘épistémologie constructiviste’ qu’il sut dés 1967 ‘constituer’ en la contextualisant dans une forme académiquement recevable en la déployant sous la forme de ‘l’épistémologie génétique’.

On doit pourtant être indulgent devant la légèreté des ‘critiques épistémologiques internes ‘auquel s’exercent chercheurs et praticiens en sciences de l’éducation en soulignant que cette ‘inculture épistémologique (que diagnostiquait déjà G Bachelard dés 1934) est hélas caractéristique de trop de scientifiques, toutes disciplines confonduesii ! Un témoignage caractéristiques que je trouve sur les discussions du vivant ‘Forum du site de la Fondation Piaget’ (animé lui aussi par JJ Ducret) éclaire  ce propos :  Un correspondant éclairé écrivait : « j’avais constaté lors de sa sortie en 1999, que l’imposant (3000 entrées, 863 p.) ouvrage Vocabulaire technique et analytique de l’épistémologie, de Robert Nadeau, édité aux PUF, ne comprend aucune référence à Piaget. Comme si Piaget n’avait pas existé dans l’histoire de l’épistémologie. Surpris par la chose, j’ai écrit à son auteur, qui ma aimablement répondu. … Je crois pouvoir faire état des deux arguments que m’avait avancés Robert Nadeau pour expliquer cette absence : 1— Sachant que cet auteur se place dans une perspective purement philosophique, du point de vue de la lexicographie philosophique, Piaget n’apparaîtrait quasiment pas. 2— L’épistémologie génétique, selon l’auteur, relève de la science empirique et non pas de la philosophie.

Comment dés lors s’étonner de la relative inculture épistémologique de tant d’enseignants  et de chercheurs, si les plus usuels des manuels  contemporains ignorent l’œuvre épistémologique considérable de J Piaget ? Notre correspondant a raison d’ajouter. :La philosophie institutionnelle contemporaine ne s’est-elle pas excessivement cloisonnée, au point d’ignorer tout ce qui évoque les « sciences empiriques » ? . Mais je crois qu’il faut aller plus avant : La philosophie, même décloisonnée, ne peut s’attribuer le privilège exclusif de la réflexion des humains sur la formation et le bon usage des connaissances qu’ils produisent et enseignent.

Cet exercice relève de la Dignité Humaine, toutes disciplines confondues. Dans les années soixante dix, les contributions à un puissant renouvellement de nos paradigmes épistémiques de références furent l’œuvre de grands scientifique beaucoup plus que de philosophes professionnels : outre J Piaget, il me suffit de citer les noms de H Simon, de H von Foerster ou de E Morin : ils surent tenir les disciplines scientifiques pour des foyers mutuellement rayonnant et non plus pour des pré carrés à défendre jalousement, et ils forgent et nous aident aujourd’hui à former, une culture scientifique civilisatrice, en permanente reliance, riche de l’ancestrale sagesse humaine qu’engendrent aussi artistes, poètes et philosophes. Le rêve d’une culture interdisciplinaire, que symbolisait le gros volume (987 pages) cordonné par J Piaget publié par l’Unesco en 1970 devient aujourd’hui une réalité : Par eux (et par bien d’autres), chacun de nous aujourd’hui le rencontre aisément.

            Ces réflexions, avivée par la lecture de ce troisième volume de la série ‘Constructivisme et Education’ devraient maintenant être poursuivies chapitre  après chapitre : la tache m’est impossible puisqu’ils sont 70 sur prés de 600 pages, et les intensités de mes attentions ne seront pas celle d’autres lecteurs privilégiant d’autres contextes de lectures. Tout au plus pourrais-je souligner l’intérêt des introductions de JJ Ducret qui mettent bien en perspectives les diverses contributions en s’attachant à les relier sans trop d’arbitraire, ce qui n’est pas toujours aisé : le ciment qu’aurait permis une critique mise en perspective épistémologique n’a peut-être pas trouvé assez de prises dans des exposés parfois trop attachés à un prudent empirisme méthodologique.

C’est ainsi que j’ai été surpris de ne trouver qu’une seule référence aux études d’E von Glasersfeld : ce dernier n’est-il pas un des interprètes les plus attentifs à la riche complexité de la pensée Piagétienne, tant en sciences de l’éducation qu’en épistémologie. Ses ouvrages sur ‘la construction des connaissances’ doivent aujourd’hui appartenir à notre culture épistémique (et particulièrement à la culture des sciences de l’éducation). Cette unique référence à E von Glasersfeld apparait dans l’article original d’E Biausser (« Le ‘projet constructiviste’  en apprentissage » p.287-293), texte malheureusement trop bref pour que l’on puisse le discuter ici.

Il reste que cet ouvrage  va, nous pouvons l’espérer, permettre de dater la ‘sortie du désert’ de l’œuvre de J Piaget, au moins au bénéfice de nos cultures de citoyens, sinon à celui des cultures académiques hélas trop fermées encore sur leurs frontières disciplinaires.

Août 2009, JL Le Moigne.



[i] Un dossier publié en 2008 de la revue ‘Constructivist Foundations’ organisé autour d’un solide article de E Von Glasersfeld : ‘Who Conceives of Society?’  (Constructivist Foundations 3(2): 59–64 & 100–104), documente et actualise cette controverse …. qui a mes yeux n’en est pas une : le socio constructivisme est unes des composante méthodologiques de l’épistémologie constructiviste

[ii] Un article  de E von Glasersfeld (‘l’interprétation constructiviste de l’épistémologie génétique’, 1994)  que JJ Ducret a eu l’heureuse idée de publier dans les documents du Site de la FJP, éclaire bien cette carence : « II y a plus de soixante ans qu'on assimile certains fragments de l'œuvre piagétienne dans le monde entier, mais les manifestations d'une accommodation aux principes de son Épistémologie Génétique sont extrêmement rares. Je mentionnerai la tradition réaliste comme une source de cette résistance et je tenterai de montrer que ni la théorie du développement ni celle de l'apprentissage envisagées par Piaget ne sont accessibles sans un changement radical du cadre épistémologique habituel » : http://www.fondationjeanpiaget.ch/fjp/site/textes/VE/glasersfeld1996.pdf

 

Fiche mise en ligne le 13/09/2009


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