Rédigée par LE MOIGNE Jean-Louis sur l'ouvrage de LE NEN Dominique : |
« LEONARD de VINCI, un anatomiste visionnaire » Editions L’harmattan, 2010, ISBN 978 2 296 11738 9, 247 pages. |
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Plus encore qu’aux anatomistes contemporains et aux historiens de la Renaissance, c’est aux citoyens s’attachant à l’intelligence de la complexité de l’Humain que ce livre doit s’adresser. Certes l’auteur est chirurgien et docteur en épistémologie et histoire des sciences et des techniques, tenu sans doute de s’adresser d’abord à ses pairs. Mais dés que l’on ouvre les Carnets de Léonard de Vinci, on ne peut s’enfermer dans un cercle disciplinaire, ce dont convient volontiers D Le Nen : « Le travail anatomique de Léonard ne peut véritablement être extrait de l’environnement dans lequel ses nombreuses recherches le situent, en particulier l’étude de la statique – le poids – et de la dynamique –forces et mouvements - ; la physique des fluides – eau et air - ; la géométrie et les proportions. Léonard de Vinci considère l’Homme dans sa globalité. Ce n’est pas la vision d’un anatomiste pur, mais celle d’un scientifique à l’affut de l’explication physiologique, voir physiopathologique. …Il ne se laisse arrêter par aucune discipline qui puisse l’aider à appréhender l’homme dans sa globalité » (p.149). Ce qui contribue sans doute à « l’élever au rang des plus grands anatomistes de tous les temps », bien qu’il n’ai pas été anatomiste de profession.
C’est parce que D Le Nen a su s’attacher à nous montrer, à travers l’œuvre exceptionnelle de Léonard anatomiste ( pourtant peu connue hors des cercles de spécialistes : on a retrouvé à ce jour 228 planches d’anatomie réalisée de sa main), deux des caractéristiques toujours essentielles (et je crois, passionnelles) de l’humaine connaissance, que je souhaite ici souligner l’importance de son livre hors du champ des spécialistes auquel il semble destiné (il parait dans la collection ‘Médecine à travers les siècles’).
C’est bien sûr d’abord la passion de comprendre qui anime Léonard ; ses nombreuses escapades en anatomie (dans ces conditions de dissection souvent difficiles) ‘visent toujours à comprendre le corps’ entreprise toujours inachevable et toujours à poursuivre. « L’anatomie de Léonard est tournée vers la fonction’ (p. 225) : c’est une anatomie de physiologiste, toujours tournée vers le ‘qu’est ce que cela fait et peut faire ?’), qui ne s’affine par l’exploration attentive du ‘de quoi c’est fait’ que pour répondre au ‘comment cela peut faire ?’ Du mouvement des paupières aux multiples fonctions de préhension de la main, les exemples ici sont innombrables et convainquants. Et l’historien nous montre que dans ce domaine, les ‘erreurs de descriptions et d’interprétation’ de Léonard que nous diagnostiquons cinq siècles après lui, sont rares et a postériori compréhensibles dans le contexte du Cinquecento. « A traves les dessins et les notes, il nous révèle le moteur même de ses recherches : le mouvement, et il lie avec quelle persévérance, l’anatomie et la peinture grâce ou par le mouvement. … ’Le mouvement est la cause de toute vie ‘ » (p.227)
L’autre caractéristique de la contribution de Léonard tient au rôle du Disegno dans la formation de connaissances intelligibles. D Le Nen ne prononce pas le mot, mais je retrouve en permanence, dans l’évocation qu’il commente de diverses planches anatomiques de Léonard, la prégnance de la représentation graphique et symbolique dans la formation de l’intelligibilité. Le disegno peut-être compris comme l’acte de dessiner et d’interpréter le dessin … à dessein de façon à ce que cette représentation devienne intelligible : outil de formation de connaissance, il est aussi produit pédagogique, il permet de faire comprendre ; le commentaire littéraire qui accompagne les dessins en train de se faire et de s’achever accompagne et éclaire le dessin, mais il ne s’y substitue pas. Pour illustrer ce processus de modélisation active, je reprends dans une vignette très réduite la copie de la planche de Léonard consacrée aux muscles et tendons de la main (reprise dans l’ouvrage de planches choisies et présentée par P Huard Ed Roger Dacosta, 1968, p115) : On devine ce va et vient permanent entre les dessins, aisés observer et le texte manuscrit d’accompagnement disant la procédure et l’interprétation fonctionnelle suggéré par le dessin : La démarche modélisatrice devient presque sensible, et le lecteur s’aide souvent plus du dessin que du texte pour ‘comprendre.
Dans un remarquable essai consacré à ‘La notion de Disegno en Italie (XVème-XVième siècle), (2004) J. Ciaravino nous rappelle la définition du Disegno que proposait A Koyré : « dans l’acception la plus forte et la plus littérale du terme, incarnation de l’esprit, matérialisation de la pensée’ ».
C’est sur cette invitation à la modélisation intelligente, au Disegno, que l’on peut inviter les animateurs de systèmes complexe à s’intéresser à cet anatomiste éclairé et surtout éclairant, qu’était aussi Léonard de Vinci, multipliant à dessein ses ‘points de vue’ pour enrichir la compréhension. Pour entendre l’argument on pourra lire ces quelques lignes de D Le Nen dans lesquelles je propose de remplacer le mot Muscle par le mot plus général d’Organe, par exemple. On verra que le Disegno de Léonard anatomiste, ingénieur ou peintre, n’est plus réservé aux seuls anatomistes de profession et qu’il est fort bienvenu aujourd’hui pour exprimer ‘la modélisation d’un système complexe’, qu’il soit organisation humaine ou artefact informatique.
« Leonard est loin d’avoir détaillé tous les muscles (ou les organes) qui sont souvent désignés sur ses dessins par des lettres de l’alphabet ou des épithètes. Mais il explique parfaitement les mécanismes physiologiques les concernant : l’équilibre des muscles (ou organes), les synergies fonctionnelles, la mécanique et le tonus musculaire (ou organique). Nous découvrons bien un homme plus préoccupé par la compréhension des ‘fonctionnements’ de manière générale que promoteur d’une ‘anatomie savante’ (ou d’une analyse fermée et ainsi fermante). » (p.172)
JL Le Moigne
Fiche mise en ligne le 27/09/2010