Rédigée par ADAM Michel sur l'ouvrage de Edgar MORIN : |
« POUR ET CONTRE MARX » Edition Temps Présent, 2010, ISBN 978-2-916842-02-8, 122 pages |
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Les héritiers de Marx ont transformé une méthode critique et un regard prophétique, souvent mis en échec, en systèmes totalisants et souvent dogmatiques, et Marx a vu son sort trop vite lié au seul « communisme réellement existant» et à sa faillite. Même si les survivances actuelles chinoise et vietnamienne déjouent bien des analyses.
À travers une série de textes limpides où l'essai côtoie l'aphorisme, Edgar Morin explore les mécanismes à l’œuvre dans tout système clos, dogmatique et réducteur. Le stalinisme d’hier, « l’horreur de l’initiative était telle dans l’univers mental stalinien, que ce n’était pas Staline qui faisait l’Histoire, mais l’Histoire qui se faisait en lui ! » et le fondamentalisme de Marché aujourd'hui avec « les défis gigantesques qu’il pose à la survie de l’humanité même ».
Une totalité fascinante et dévorante à la fois
Il explique la fascination qu'exercent de tels systèmes sur les intellectuels, le Pouvoir et ses opposants, « exaltant la notion de synthèse au détriment de la contradiction, de la négation, du dépassement ». Il donne à voir la fécondité de la méthode de Marx - traquer les contradictions sociales et penser leur dépassement - pour l'appliquer à Marx lui-même, y reconnaître les limites et les impensés, et ouvrir la voie à un nouvel avenir.
« Il ne fallait pas remettre la dialectique sur ses pieds, il fallait la remettre sur ses roues » ou encore : « j’incorporais son idée d’homme générique dans l’idée d’auto-éco-production de l’humanité par elle-même. » « J’abandonnai le masculin de homme pour parler plutôt d’être humain mais en le concevant de façon trinitaire individu-société-espèce. » Marx comme tremplin vers une pensée plus complexe, nourrie des connaissances d’un siècle de plus.
Eloge de la complexité : « La pensée dialectique découvre l’ambivalence et la pluralité en toute chose ». « La praxis nous permet de « produire » une synthèse, elle ne nous transforme pas en synthèse ambulante. Il n’y a pas d’homme total. » Appel à la créativité : « il nous faut des concepts polarisants qui dessinent des lignes de force, fassent jouer des relations et non des concepts spatialisants qui encerclent un domaine et isolent des essences. » Son type d’homme (p 58) reste actuel dans sa richesse et sa fragilité.
Alors que le « libéralisme réellement existant» se déploie sur le monde et le plonge dans l'abîme écologique, politique, financier et éthique, Edgar Morin nous invite à retrouver Marx sous les décombres des marxismes, non pour en tirer des solutions miracles, mais pour agir en intégrant le concept d’écologie de l’action, à travers des formules savoureuses qui donnent à penser : « l’action est une succession d’échecs interrompus de temps en temps par une réussite, comme le coït chez les baleines» ou encore : « l’art de diriger est un art de se diriger dans des conditions incertaines ».
Mais tout autant pour penser le monde qui vient : « il nous faut non plus opposer l’universel aux patries mais lier concentriquement nos patries familiales, régionales, nationales, européennes et les intégrer dans la patrie terrienne. » A l’intention des politiques et de tous les citoyens/nes : « il nous faut conserver pour révolutionner et révolutionner pour conserver » nos êtres biologiques, la nature, la biosphère, la diversité humaine – ce trésor - , les cultures qui veulent vivre dont les apports des cultures orientales, l’héritage du passé qui contient les germes du futur. »
L’ouvrage se termine par l’énoncé du projet permanent : « Civiliser la Terre, voilà qui prolonge et transforme l’ambition socialiste originelle ». Longtemps Edgar Morin a parlé de « provincialiser » le marxisme, nous y voilà, mais d’une façon tellement plus riche car on y voit la genèse de la pensée de l’un au contact des lignes de force et de faiblesse de la pensée de l’autre. Reliance à travers le temps.
Michel Adam
Fiche mise en ligne le 10/01/2011