Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de BARTOLI Henri : |
« L'Economie, service de la vie. Crise du capitalisme. Une politique de civilisation » Presses Universitaires de Grenoble (ISMEA) 1996. 496 p. |
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Il va ainsi nous entraîner dans un périple fort intelligemment
organisé, rassurant ainsi le lecteur timoré qui hésiterait
devant les cinq cents pages de cette renouvelante "Economie" forgée
dans l'apprentissage engendré lors des essais et erreurs accumulés
depuis deux siècles : les trois parties du livre s'articulent fort
bien mais chacune constitue un ouvrage quasi autonome.
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La "fragile victoire du capitalisme" repose le diagnostic auquel les sociétés contemporaines sont aujourd'hui confrontées : les défis de l'irrésistible montée du chômage, de la pauvreté de l'exclusion, des destructions des milieux de vie, de la corruption..., qui semblent accompagner les impressionnants progrès des technologies et des connaissances scientifiques, méritent qu'on les examine scrupuleusement, sans démagogie, et sans naïveté (la croyance au grand principe positiviste : "le progrès engendre l'ordre comme l'ordre engendre le progrès" n'est-elle pas encore très prégnante dans nos cultures ?). H. Bartoli va s'exercer à ce diagnostic avec scrupule et compétence, n'hésitent pas à insérer une annexe statistique documentée qui nous remet quelques chiffres essentiels en mémoire. Le diagnostic de "bascule de l'histoire" (que formulait déjà en 1933 E. Mounier, nous rappelle-t-il) est solidement confirmé, et les citoyens de la "Terre-patrie" que nous sommes ne peuvent l'ignorer ou l'oublier, dés lors qu'ils souhaitent que "la vie soit dotée de sens intelligible et communicable" (F. Perroux, en 1961), p. 467.
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"Le retour aux fondamentaux" nous invite à revenir aux sources de
l'intelligence de l'Économie : on y retrouvera, sous forme
condensée, les quelques synthèses fortement argumentées
qu'H. Bartoli avait introduites en 1993 par "L'Économie
multidimensionnelle" ("économicité, multidimensionnalité,
complexité") et sous une forme un peu plus développée
un chapitre sur "l'Ethique économique", chapitres qui, les
uns comme les autres, manquent encore si souvent dans les enseignements
contemporains de l'économie. Le chapitre sur la complexité
constitue en tant que tel une très riche contribution aux travaux
du Programme Européen Modélisation de la Complexité.
Le chapitre sur l'Éthique méritera sans doute d'être
approfondi, en s'enrichissant des réflexions contemporaines de la
"philosophie économique" et du Programme "Ethique et Société"
(Ph. Van Parijs à l'U.C. Louvain).
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"Une politique de civilisation" peut ainsi se concevoir et être inventée, non pas en chambre sous la forme d'un programme à appliquer, mais en "délibération permanente" ; il s'agit de réintégrer l'économique et le social, de comprendre pour gouverner et de gouverner pour comprendre, d'imaginer de nouvelles procédures de gouvernabilité internationales et nationales en pariant sur "la créativité de l'hormone" : "Civiliser la terre, tel est le sens profond de l'économie" (p. 466). Exercice qui appelle cette "intelligence de la complexité" que proposait la méditation sur "les fondements" : Que l'on parle d'emploi, de santé, de commerce ou de développement durable, on retrouve toujours ce "retour aux fondamentaux" par lesquels H. Bartoli nous invite à articuler la réflexion et l'action, le diagnostic de crise et "la politique de civilisation" qui incite "notre communauté de perdition... sur une petite planète perdue dans le gigantesque univers... à plus de fraternité et à "civiliser" la Terre, notre Patrie" (sans doute faudra-t-il développer aussi pour cette "politique de civilisation" une "économie de l'immatériel" à laquelle cette visée prospective semble encore inattentive ?). C'est en reprenant cette conclusion d'E. Morin qu'H. Bartoli nous aide à renouveler notre regard sur l'économie. Renouvellement paradigmatique qui encouragera les économistes de profession à se libérer de la chape d'un scientisme positiviste dans laquelle ils dévitalisent, à leur insu sans doute, nos cultures civiques, et, plus généralement, les citoyens responsables dans leurs multiples organisations, à exercer leur rationalité économique... "au service de la vie".
J.L. Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003