Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de BASLE M., DUFOURT D., HERAUD J.A., PERRIN J. (Ed.) :
« Changement institutionnel et changement technologique. Evaluation, droit de propriété intellectuelle et système national d'innovation »
     Ed. CNRS Editions, Paris, 1995. 334 p.

On peut craindre que par son titre trop chargé, cet ouvrage n'attire pas d'autres lecteurs que les économistes de profession attentifs à l'interprétation économique des phénomènes technologiques qui semblent transformer profondément nos sociétés depuis plus d'un siècle. Ce qui serait dommage, car le propos intéresse ou devrait intéresser le citoyen-responsable-et-solidaire, même s'il n'est pas au fait des querelles d'écoles qui semblent tant passionner les ouvrages d'économistes. Car la question complexe qui mobilise les réflexions des quinze spécialistes "d'économie industrielle" proposées par cet ouvrage est aujourd'hui particulièrement importante pour la compréhension de nos sociétés : est-ce l'innovation technologique, spontanée ou forcée (institutionnalisée) qui "détermine" les formes économiques des rapports sociaux ? Ou à l'inverse, est-ce l'organisation de l'activité économique qui détermine les formes et les vitesses de l'innovation technologique ? La technologie est-elle "la variable déterminante de l'économie, ou est-ce la variable résultante ? Certes, posée en ces termes, la question semble bien naïve, voire simplette. D'autant plus qu'elle ne semble pas connaître de réponse satisfaisante : selon les lieux, les époques et les cultures, il semble que l'on observe plutôt l'une ou plutôt l'autre tendance. Mais nos auteurs proposent vite de dépasser ces querelles d'écoles quasi exégétiques entre les "Autrichiens" et les "institutionnalisées américains" et tant d'autres, pour nous reconduire à une question plus classiquement politique, qui concerne au premier chef les démocraties : peut-on prétendre à une "maîtrise sociale de la technologie", et si oui à quelles conditions ? Ou devons-nous chercher pragmatiquement à vivre dans une cité contrôlée par l'impersonnelle technologie (les autoroutes de l'information et le tout nucléaire !).

Formulée en termes de projet collectif (et institutionnel) cette interrogation mérite d'être considérée sous les multiples aspects de l'action collective, du droit de la propriété industrielle (les brevets) à celui de la protection des logiciels, et bien d'autres...Comment former des évaluations et des jugements de valeur dans de telles situations ? La science économique classique rencontre ici vite ses limites, mais les économistes peuvent sortir de ces limites en en appelant aux réflexions de leurs pères fondateurs -cautions ici bienvenues- et en n'hésitant plus à solliciter les recherches des sociologues et surtout des pragmatistes (enfin nous lisons J. Dewey grâce à M. Baslé !) tout en relisant quelques pages essentielles d'H.A. Simon pour restaurer l'étude de la cognition dans la recherche sur les comportements socio-économiques (grâce à J.Perrin).

Ainsi se reconstruit un terreau intellectuel qu'illustre cet ouvrage, sans doute encore un peu trop imprégné d'économisme classique (il faut bien être reçu dans la corporation), dans lequel devrait pouvoir germer et se développer une culture plus ingénierale : celle d'une socio-économie consciemment politique qui cherchera à inventer en tâtonnant, en se référant délibérément à quelques références éthiques, des formes nouvelles d'organisation conçues dans leur dynamique, organisante plus encore qu'organisées. Projets plus complexes, stratégies plus réfléchissantes que déterminantes, que la "socio-économie institutionnelle, évolutive et cognitive" devrait donner à nos sociétés au fil du prochain siècle.


J.L. Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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