Planifier, c'est s'adapter[1]

Titre courant : « Planifier, c’est s’adapter »

Titre anglais : « Planning as adapting »

 

 

Jean-Robert ALCARAS

Maître de Conférences à l’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse

 

Adresse personnelle :

5, Passage de l’Oratoire

84000 AVIGNON

&

François LACROUX

Chargé d’enseignement à l’Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II)

 

Adresse personnelle :

22, Placette des Ortolans

83110 SANARY/MER

 

Adresse professionnelle :

Groupe de Recherche sur l’Adaptation, la Systémique, et la Complexité Économique

GRASCE - URA CNRS n°935

15-19 Allée Claude Forbin

13627 AIX en PROVENCE Cedex 1

 

 

Résumé : Les organisations semblent éprouver des difficultés à planifier leurs actions dans un environnement qu'elles perçoivent de plus en plus complexe et turbulent : planifier apparaît aujourd'hui comme une source de rigidité. Doit-on abandonner pour autant les principes-mêmes de la planification ? Nous tenterons de montrer que ce ne sont pas les principes qui sont en cause, mais plutôt certaines méthodes et outils, forgés dans un environnement donné (les années 50 et 60), et que l'on a tenté de conserver alors même que cet environnement avait subi de profondes mutations. Les modalités de la planification devraient être contingentes à la nature des processus d'adaptation que l'on souhaite mettre en œuvre. Nous proposons ainsi plusieurs conceptions de l'adaptation, ainsi que les modes de planification qui leur conviennent.

 

 

Abstract : Complex environnements caused planning to become more and more difficult, therefore requiring planning methods to be more and more adaptive. We’ll try to show that tools and methods of planning designed in the 50’ and the 60’ should be improved in order to remain effective in those « new » environments. Such a re-design should be based on the kind of adaptation firms are loooking for. We discuss about these kinds of adaptation, and methods of planning to use in response to these adaptations. 

 

Introduction

La planification est-elle source de rigidités, ou bien peut-on concevoir des modes de planification « souples », afin d'éviter de préconiser exclusivement un comportement au « coup-par-coup » à une organisation[2] évoluant dans un environnement turbulent ? Le but de cet article est de proposer une modélisation permettant de concevoir des planifications qui conviennent aux impératifs d’adaptation envisageables.

 

Certains systèmes de planification sont aujourd’hui perçus comme étant trop peu évolutifs : peut-être est-ce précisément parce qu’ils ont été conçus dans un contexte lui-même très peu fluctuant (les années 1950 et 1960) ? Cette hypothèse pourrait aboutir à définir les modes de planifications comme « contingents » aux modalités d’adaptation que l’on envisage lors de leur conception (section 1).

 

Afin d’étayer ce point de vue, nous chercherons à définir la notion d’adaptation et à en comprendre les principales facettes, en nous appuyant sur les principes de la modélisation systémique. La faculté d’adaptation d’une organisation sera alors interprétée comme une capacité générale à (se) changer tout en préservant son autonomie (section 2).

 

La nature et l’ampleur des processus d’adaptation envisageables dépendra donc de la conception que l’on se fait de l’autonomie : plus le « niveau » d’autonomie envisagé sera important (on appréciera ce niveau en fonction de la plus ou moins grande capacité de l’organisation à faire évoluer ses structures et/ou ses finalités tout en restant « elle-même »), plus les processus d’adaptation qui la préservent seront variés, ouvrant ainsi un large spectre d’actions adaptatives (section 3).

 

Ainsi, lorsqu’on conçoit un système de planification, on doit veiller à mettre en place des procédures suffisamment souples, permettant d’envisager en son sein le registre le plus large d’actions adaptatives, de façon à ce que la planification soit considérée comme adaptative. Il s’agira, à ce stade de la réflexion, de récapituler l’ensemble des modalités d’adaptation que l’on peut envisager, puis de construire les modes de planification compatibles avec ces diverses modalités (section 4).

 

Au préalable, et sans avoir la prétention de développer ici un argumentaire détaillé[3], nous souhaiterions préciser le statut épistémologique des réflexions qui vont suivre. Les économistes distinguent traditionnellement les études « positives » (étudiant ce qui existe et s’appuyant sur des critères de validation « empirico-formels » : corrélations statistiques, tests d’hypothèses, etc) des études « normatives » (étudiant ce qui devrait exister et validées par la cohérence logique d’une argumentation formelle, prenant éventuellement appui sur un certain nombre d’études monographiques jugées suffisamment « représentatives »). On oublie ainsi un type de réflexion que l’on pourrait qualifier de « projective » ou « ingéniérique », et qui consiste à donner un sens possible (mais pas forcément nécessaire) à ce qui existe, afin de proposer des actions et de réaliser ce qui pourrait exister. Notre article s’inscrit dans cette perspective : nous souhaitons proposer une modélisation des processus de planification et d’adaptation, afin d’imaginer des systèmes de planification permettant de s’adapter dans des circonstances où les sructures et les finalités des organisations ne sont pas forcément considérées comme « données ». Ainsi, les exemples que nous utiliserons n’ont pas vocation à démontrer la véracité absolue de notre interprétation : ils visent plutôt à en illustrer la plausabilité. Dans ce genre de démarche, la « validation » du modèle tient à son intelligibilité, et au fait qu’il permette de (re)penser la planification des entreprises en situation perçue complexe. « Le vrai est dans le faire » disait G.B. VICO (1708) : un voyageur peut toujours chercher à valider empiriquement la pertinence de chemins existants ; mais avant cela, il aura fallu que quelques hommes aient produit au préalable des connaissances permettant d’en tracer, d’en convenir, d’en imaginer... Ces connaissances ingéniériques ont en quelque sorte été « validées » par le fait qu’elles ont permis de tracer de nouveaux chemins. « Marcheur, il n’y a pas de chemin : le chemin se construit en marchant » (A. MACHADO).

I.- Planification, adaptation, planification adaptative

Historiquement, les théories de la contingence sont nées des recherches sur la structure de l’entreprise. Elles vont battre en brêche l’idée qu’il existe « une meilleure structure », supérieure dans l’absolu à toutes les autres. Ce sont les travaux de T.R. BURNS et G.M. STALKER (1966) qui vont définir deux structures types (mécanique et organique), correspondant à deux situations environnementales extrêmes (resp. environnement totalement stable ou complètement incertain) ; l’étude de P.R. LAWRENCE et J.W. LORSH (1967), sériant les structures d’organisation en fonction de leur degré de différenciation et d’intégration, lesquelles dépendent à leur tour du degré d’incertitude de l’environnement ; celle de J. WOODWARD (1965) faisant de la technologie un autre « facteur », un facteur capable donc d’influencer la façon dont se structure l’organisation, etc... Synthétisant les différents travaux de cette Ecole, H. MINTZBERG (1982) définira  cinq de ces « facteurs de contingence » (âge, taille, environnement, technologie, et pouvoir).

 

La philosophie générale de la contingence (l’absence d’un « one best way ») a peu à peu influencé l’ensemble des sciences de gestion : peu de gens se risquent aujourd’hui à parler par exemple de « meilleure » stratégie, de « meilleure » culture d’entreprise... sinon pour en révéler les limites. Il est cependant un champ d’étude où l’on a jusqu’à présent peu évoqué la contingence. Il s’agit des procédures de planification. Si l'on argumente que les modes de planification sont contingents aux conditions dans lesquelles les organisations évoluent, il conviendra alors de s'interroger sur les processus grâce auxquels ils s'adaptent à ces conditions.

 

1) Planification et contingence

Malgré la diversité des systèmes de planification, on peut considérer que les finalités génériques (les méta-finalités, pourrait-on dire) de la planification sont restées globalement invariantes. On cherche toujours à affecter des ressources supposées rares (capitaux, ressources humaines, ressources cognitives, voire ressources spatiales dans le cadre de la planification urbaine) à des actions envisagées sur un horizon temporel relativement éloigné. Cependant, l'évolution des environnements des organisations depuis une trentaine d'années n'a pas conduit à une évolution profonde des procédures et des outils utilisés.  

 

Historiquement, les théories prônant une planification globale du fonctionnement de l'entreprise ont été élaborées dans les années 50. Les actions de « planification à long terme », caractéristiques de cette « première époque de la planification », sont donc nées dans un environnement principalement caractérisé par :

 

q Une économie de l'offre, où l'entreprise doit surtout chercher à optimiser ses coûts de production, puisque la demande constamment croissante des « Trente Glorieuses » assure des débouchés quasi-certains à ses productions.

 

q Un environnement économique stable, au pire « risqué » (au sens de F. KNIGHT, 1921 : l'incertitude étant limitée puisque les évolutions de l'environnement sont considérées comme probabilisables) : s'il demeure une inégalité entre plus ou moins grandes firmes, chaque entreprise peut à son niveau bénéficier des dividendes de la croissance.

 

Ces deux caractéristiques conduisent à mettre en œuvre une planification où les contraintes concernent surtout l'organisation interne de la firme : puisque ce que l'on produit sera très probablement vendu, il faut chercher à produire le plus possible, d'où le besoin de rationaliser les décisions de production – et les activités qui ont pour but de les mettre en oeuvre. Les théories de la planification sont d'ailleurs l'application la plus aboutie du grand courant « rationaliste » de la gestion. Dans le schéma classique stratégie/tactique/gestion opérationnelle de R.N. ANTHONY (1965 ; la « Sainte Trinité », précise H. TARDIEU, 1991, p. 23), la planification domine et encadre les procédures de gestion : elle organise les décisions stratégiques qui fondent elles-mêmes la gestion opérationnelle et, in fine, le contrôle de gestion. Dans ce schéma, l'entreprise réalise un diagnostic de la situation présente, une anticipation de la situation future ; conjointement, elle établit des finalités. Finalités et diagnostics sont mis en rapport, et leur rapprochement aboutit à l'élaboration d'objectifs, eux-mêmes déclinés en politiques diverses, puis en allocations de ressources et en programmes d’activités. Evoquant des schémas de ce type, de nombreux auteurs (parmi lesquels A.C. MARTINET) ont parlé de planification balistique : une grande attention est certes portée au « pointage » de l'objectif, mais une fois l'obus lancé, sa trajectoire est supposée ne plus varier... car l'objectif pré-programmé est considéré comme fixe et définitif.

 

Ce type de planification a été conçu dans une situation économique particulière (« contingente »), caractérisée notamment par une incertitude limitée. Mais a-t-on assez insisté sur l'importance de cette contingence dans la conception et la réalisation du processus de planification ? Dans un environnement « radicalement incertain »[4], les étapes fondatrices – et, par suite, chacune des étapes successives – deviennent (devient)  source d'ambiguïtés :

 

q La fixation des objectifs :

A un environnement imprévisible et mouvant doit correspondre une aptitude de l'organisation à faire évoluer ses finalités, question fort difficile à appréhender lorsque le processus est de nature balistique (comment calculer la trajectoire en direction d'une cible changeante et peut-être inconnue ?).

 

q L’anticipation de la situation future :

Un environnement imprévisible est par définition difficilement décodable par quelque méthode de prévision que l'on envisage de mettre en service. Or, si l'on peine à connaître ce que sera le milieu au sein duquel on se propose d'évoluer, comment alors se fixer des buts pertinents ?   

 

La planification militaire française est une bonne illustration d'une planification-programme qui a dû subir les évolutions de son environnement et de ses finalités[5]. La première loi-programme militaire est votée en 1960. Les conditions élémentaires de bon fonctionnement que nous évoquions sont alors réunies :

 

q La finalité générale est claire ; il faut doter la France d'une force de dissuasion nucléaire. Cette finalité est déployée en deux objectifs complémentaires : construction de l'arme nucléaire, et du vecteur susceptible de la transporter (Mirage IV).

 

q L'environnement est stable : c'est la guerre froide, et la perception d'une menace (en provenance de l’Est) pour la sauvegarde du territoire national est réelle.

 

q Enfin, l'évolution de la situation économique (période de croissance soutenue des « Trente Glorieuses », fin de la décolonisation) permettent d'engager des ressources suffisantes.

 

Jusque dans les années 70, ce mode de planification sera un succès reconnu. Mais à partir du premier choc pétrolier, les conditions environnementales (les facteurs de contingence) évoluent : si la situation géopolitique reste à peu près stable, la déterioration de la conjoncture économique oblige les planificateurs à s'adapter à de nouvelles conditions.

 

La raréfaction accrue des ressources les conduit à mettre en place un ensemble de dispositifs (étalement des programmes d'armement, diminution du nombre de matériels commandés, allongement des durées de recherche, etc...) dont l’objet est de conserver les mêmes finalités, tout en s'accommodant de ressources devenues moins importantes et moins régulières. A ce propos, C. SCHMIDT (1991) parlera « d'apprentissage dans les fluctuations internes aux lois de programmation ». Plus globalement encore, on peut y voir un « apprentissage de l'incertitude » au sein d'un système de planification. Dans les contextes plus « classiques », beaucoup d’entreprises ont pu ressentir des difficultés comparables dans la conception et l’implémentation de leurs planifications, ce qui les a conduit à mettre en place des systèmes d’apprentissage analogues.

 

Cette notion « d'apprentissage de l'incertitude » met paradoxalement en lumière l'inadaptativité essentielle (au premier sens du terme) des processus de planification balistique lorsqu'ils se voient confrontés soit à un changement de l'environnement, soit à une évolution des finalités[6]. Dans ce cas, il y a certes mise en place d'une tentative de « correction génétique », comme un organisme vivant « apprendrait » de nouvelles conditions. Mais l'adaptativité des systèmes sociaux n'atteint pas toujours celle des systèmes biologiques : lorsque ceux-ci sont conçus à l’origine pour fonctionner dans des environnements stables et avec des finalités constantes, ils ne sont « génétiquement » pas conçus pour être « naturellement » adaptatifs. Peut-on pour autant améliorer l’adaptativité des processus de planification, et concevoir des systèmes qui soient compatibles avec la volatilité des objectifs et des contraintes ? Concevoir une planification « adaptative » suppose dès lors une réflexion préalable sur la notion « d'adaptation ».

 

2) La conception des planifications adaptatives passe par une conception des diverses modalités de l'Adaptation.

Comment définit-on l’adaptation ? Quelles en sont les diverses facettes ? On peut développer quelques réflexions sur ce sujet en interrogeant notamment deux champs disciplinaires qui sont riches de théories et d'enseignements pour décrire des processus adaptatifs :

 

q Le premier champ concerné est couvert par les « sciences de la vie » (y compris un de leur terrain privilégié d'application : la médecine) qui ont pour vocation d'étudier la vie organique, son évolution et ses formes particulières, ainsi que la reproduction de cette vie (phylogenèse et ontogenèse). La vie (dans toutes les formes qu'elle peut prendre) peut être décrite comme un ensemble de processus adaptatifs lorsqu'on étudie la façon dont elle fonctionne et dont elle évolue ; et le fait d'être en vie est le résultat de la mise en œuvre de ces processus (le fait de vivre est généralement considéré comme la preuve que l'on est adapté, ou que l'on a su s'adapter jusqu'à ce jour…).

 

q La seconde discipline qui étudie des phénomènes adaptatifs est la psychologie, dont la vocation est d'étudier la nature et les mécanismes de l'intelligence – phénomène au demeurant purement adaptatif ! J. PIAGET (1977), entre autres, définit d’ailleurs l'intelligence comme… une adaptation : c'est un processus d'adaptation lorsqu'elle est mise en œuvre ; c'est une capacité d'adaptation lorsqu'elle est étudiée comme un résultat de ce processus.

 

Constatant ainsi l'existence de similitudes[7] entre ces deux disciplines, J. PIAGET (1969) a montré que les structures cognitives et psychologiques sont fonctionnellement isomorphes aux phénomènes biologiques en général. En d'autres termes, J. PIAGET considère que le modèle décrivant les processus adaptatifs mis en œuvre dans les systèmes biologiques est sensiblement comparable à celui qui décrit les adaptations observables dans les systèmes psychologiques.

 

Cette perspective débouche sur le choix d'une « méta-discipline », la Systémique, pour tenter de mettre en évidence les invariants qui pourraient caractériser tout « système » (tout objet observable : biologique, psychologique, économique…) dans sa capacité à se maintenir au travers des relations multidimensionnelles qu’il entretient avec ses environnements. L'étude de ces invariants met en évidence la plus ou moins grande capacité dont dispose le système à mettre en œuvre des processus adaptatifs.

 

La systémique, ou science des systèmes[8] étudie la façon dont on peut modéliser (se représenter pour comprendre et concevoir) des « systèmes » doués d'un minimum d'autonomie dans leur comportement, vis-à-vis des environnements dans lesquels ils évoluent. De la cellule au cerveau (F. VARELA, 1989), de l'homme (J. PIAGET, 1969, 1977) aux sociétés et aux systèmes (organisations) économiques et sociaux (J.-L. LE MOIGNE, 1977, 1990) du cristal à la fumée (H. ATLAN, 1979), de l'ADN à l'univers macro-cosmique (E. MORIN, 1977 et 1980), on peut décrire tous ces « systèmes », non par le même modèle, mais par le même processus de modélisation. Ainsi entendue, la systémique peut nous aider à concevoir les grandes caractéristiques des processus adaptatifs afin de concevoir des systèmes de planification adaptatifs.

 

II.- Systémique de l'adaptation

Qu'est-ce que l'adaptation ? E. MORIN (1980) met en évidence deux acceptions possibles de cette notion : l'une est, selon ses propres mots, « plate » ou pauvre ; l'autre est plus complexe, plus riche. Dans sa définition pauvre, l'adaptation pourrait probablement être plus judicieusement qualifiée de « viabilité », et on pourrait ainsi réserver le terme d'adaptation à l'autre définition.

 

 

1) L'adaptation et la viabilité : ne pas assimiler les processus aux résultats…

Considérons tout d'abord la définition de l'adaptation que E. MORIN qualifie de pauvre : « l'adaptation est une notion plate, vague et tautologique dans le sens  où toute existence vivante suppose un minimum de convenance (fitness), donc d'adaptation aux conditions écologiques qui, par ailleurs, permettent la vie, car il y a des vies adaptées à des milieux parce qu'il y a des milieux aptes à la vie. En un mot, l'adaptation est la condition première et générale de toute existence. » (E. MORIN 1980, p. 47).

 

Cette conception à laquelle fait référence ici E. MORIN, procède en fait d'une idée purement évolutionniste (lamarckiste ou darwiniste) de l'adaptation par sélection naturelle. Le caractère tautologique de cette définition provient de ce que la théorie de la sélection naturelle ne décrit pas vraiment les processus adaptatifs qui permettent à un organisme d'être adapté, mais plutôt les conséquences d'une non-adéquation de cet organisme par rapport à son environnement : le plus apte à vivre… survit[9], et celui qui ne dispose pas de cette aptitude est condamné.

 

E. VON GLASERSFELD (1980) montre pour sa part que l'adaptation par sélection naturelle qu'évoquent les évolutionnistes n'est pas un processus mais un résultat : c'est en fait le produit d'une (heureuse ?) coïncidence entre des caractéristiques que l'organisme survivant avait déjà avant d'être sélectionné d'une part, et d'autre part les caractéristiques du milieu à ce moment. Autrement dit, la nature (représentée ici par la fameuse « Loi » de la sélection naturelle) n'encourage pas les organismes à s'adapter, mais elle tue ou supprime ceux qui ne correspondent (VON GLASERSFELD, 1980) pas suffisamment avec les caractéristiques des autres organismes avec lesquels ils co-évoluent.

 

Le mécanisme de la sélection naturelle est en fait une réaction purement négative, une sanction : il explique peut-être pourquoi un organisme survit (parce qu'il est suffisamment en adéquation avec son milieu) ; il n'explique en revanche jamais pourquoi et comment cet organisme a mis en œuvre des stratégies lui permettant d'arriver à ce niveau d'adéquation… Ce mécanisme n'explique pas l'émergence, la création de nouvelles formes de vie : il explique exclusivement la destruction des organismes qui ne sont pas viables. En convenant du caractère tautologique du concept de viabilité (est viable... tout système qui reste en vie), peut-être faudrait-il parler à ce propos de viabilité de l'organisme, plutôt que d'adaptation.

 

En reprenant la distinction proposée par  E. VON GLASERSFELD et E. MORIN, il est sans doute préférable de réserver le terme d'adaptation pour décrire justement les processus finalisés et finalisants qui conduisent à la mise en œuvre d'une très grande diversité de formes d'organisations qui, après coup, peuvent ainsi être éventuellement considérés comme viables. Pour montrer cela, E. VON GLASERSFELD (1980) prend en exemple une espèce de singe macaque (le singe Imo) qui vit sur une île japonaise (Koshima). Ces singes ont, curieusement, appris à nager : non pas pour augmenter leurs chances de survie par sélection naturelle (pourraient-ils seulement avoir « conscience » de ce mécanisme ?), mais plutôt et simplement pour laver les aliments dont ils se nourrissent.

 

Ce résultat est dû à un processus d'adaptation dont on peut souligner le caractère téléologique : ils apprennent à nager à fin de pouvoir laver leurs aliments. Imaginons à présent qu'un cataclysme surgisse, que l'île soit totalement submergée par la mer, et que cette espèce de singes survive parce que ceux-ci sont capables de nager jusqu'à une île voisine. Il serait concevable, a posteriori, d'affirmer que ces singes ont appris à nager parce qu'ils étaient poussés par leur instinct de survie et par la loi de la sélection naturelle qui ne conserve que les plus forts…Or, nous saurions dans ce cas précis que cette interprétation serait erronée : ces singes se sont adaptés par apprentissage finalisé, et cela leur a permis de disposer de facultés leur permettant de conserver leur viabilité. Notons au passage que l'adaptation culturelle (adaptation lamarckiste, ou par « civilisation », c'est-à-dire transmissible par apprentissage de génération en génération, comme le dit R. DUBOS, 1973) est bien plus rapide et efficace dans ce genre de cas de figures, que l'adaptation par mutation génétique (darwiniste) : de même, les systèmes économiques, produits de la civilisation – qui sont aussi producteurs de civilisation – sont fondamentalement capables de faire preuve de stratégies adaptatives.

 

En définitive, la définition pauvre de l'adaptation ne permet pas de juger de la pertinence de l'idée-même de planification : on ne sait pas, dans ce contexte théorique, si une planification peut aider ou non l'organisation sociale à survivre (et donc, à s'adapter)… Ce que l'on peut en revanche affirmer, c'est que dans un environnement évolutif, une organisation choisissant d'augmenter la variété de ses comportements possibles (via par exemple des processus de planification) a probablement plus de chances de rester viable qu'une organisation dont les configurations comportementales resteraient invariantes. « Mieux une firme est capable de traiter la complexité de l’environnement, plus grandes sont ses chances de survie à long terme et donc plus élevé est son niveau d’adaptation » (B.S. CHAKRAVARTHY, 1982). On peut citer ici l'exemple de la planification stratégique de SHELL pendant les années 70 et 80 (A. P. DE GEUS, 1988). L'un de ses responsables citait l'exemple de l'utilisation des scenarios comme méthode d'apprentissage (ou « d'adaptation culturelle » dans notre terminologie). Il montrait comment l'étude de scenarios à probabilité d'occurrence faible par l’ensemble de la Direction, ainsi que les discussions concernant les politiques qu'il faudrait alors choisir, avaient permis à la Shell d'accroître ses résultats (donc sa « viabilité ») quelques années plus tard, lorsque la situation internationale vit apparaître ces conjonctures supposées a priori improbables.

2) Les processus d'adaptation : de l'élasticité à la plasticité

Puisque la notion de viabilité n'explique pas les processus finalisés (et moins encore les processus finalisants) qui permettent l'émergence de nouvelles configurations, il faut alors en appeler à ce que E. MORIN appelle le sens « riche » de la notion d'adaptation : « l'idée d'adaptation a un sens riche, dans la mesure où elle nous oriente vers la souplesse et la plasticité organisationnelles de la vie, c'est-à-dire son aptitude à répondre aux défis, contraintes, manques, difficultés, périls, hasards extérieurs. » (E. MORIN 1980, p. 46).

 

Dès lors, comment comprendre cette faculté surprenante dont font preuve les organismes vivants en s'adaptant ainsi à de multiples situations, capacité que E. MORIN résume par la notion de plasticité organisationnelle ? Le neurobiologiste J. PAILLARD (1976) a réfléchi sur l'usage du concept de plasticité dans sa discipline pour décrire, in fine, les capacités d'adaptation d'un système (en l'occurrence, le cerveau). Il montre que la notion de plasticité se conçoit en référence à une situation de stabilité : « le changement "plastique" intervenu dans la structure concernée traduira le passage d'un état initial de stabilité à un état final de stabilité, distinguable de l'état initial. »
(J. PAILLARD 1976, p. 39).

 

Cette notion de stabilité est elle-même loin d'être triviale. Elle peut effectivement être comprise de diverses manières : la stabilité peut tout d'abord être expliquée par l'existence d'une structure indéformable, auquel cas on ne peut parler de plasticité ou de capacité d'adaptation, mais au contraire d'un système rigide qui résiste à toute pression de l'environnement. Ce genre de structure peut donc être détruite si la pression de l'environnement dépasse ses capacités de résistance.

 

La stabilité peut aussi se concevoir par rapport à une structure déformable. La métaphore de la fable « Le chêne et le roseau » de J. de la Fontaine peut nous servir à illustrer la différence de comportement entre un système rigide (le chêne de la fable, si fier de sa robustesse légendaire !) et un système qui s'adapte en changeant (fût-ce momentanément, sous la pression de l'environnement) sa forme, sinon sa structure (le roseau, qui, sous la pression du vent et de la pluie, plie mais ne rompt point…). Dans ce cas, le système fait preuve d'une certaine plasticité… Comme le montre bien J. PAILLARD (1976), la déformabilité ou la malléabilité d'une structure peut alors se concevoir de plusieurs façons :

 

q La déformation en question peut s'exercer de façon réversible. Cette façon de réagir (momentanément) à des pressions extérieures relève plutôt d'une certaine élasticité : cette « propriété qu'ont les corps déformables de reprendre leur forme et leur volume primitif quand la force qui s'exerce sur eux cesse d'agir », dit le nouveau LITTRE[10]. Exemple-type de systèmes qui font ainsi preuve d'élasticité dans leur fonctionnement : les systèmes asservis ou contrôlés dont traite la cybernétique. On assigne des objectifs au système, et on lui donne les moyens de les atteindre (un programme et une structure). Dans le cas d'un système de chauffage avec thermostat[11], le système fera preuve d'élasticité s'il est capable d'augmenter le régime de la chaudière pendant tout le temps où la température intérieure sera inférieure à la température voulue au départ. Ensuite, une fois la « bonne » température retrouvée, le système fonctionnera à nouveau comme auparavant…

Pour revenir dans le champ d'application qu'est la planification, on peut prendre plusieurs exemples d'adaptation par élasticité.  Il en est ainsi de la prise en compte des variations erratiques des taux de change, lors du chiffrage préalable des dépenses afférentes à un projet. Dans le cadre d'opérations d'envergure internationale, les planificateurs utilisent depuis de nombreuses années des techniques dites de « couverture des risques de change » : c'était le cas de l'évaluation du budget des Jeux Olympiques d'Hiver d'Albertville en 1992. De la même façon, lors de débats parlementaires récents, certains députés mettaient en cause le dogme de l'équilibre des comptes sociaux, arguant que dans une situation de crise conjoncturelle, on peut créer des déficits limités (déformation de l'élastique) qui seront résorbés lors du retour à la croissance (retour à la tension initiale).

Confronté à une perturbation externe, le système s'adapte en mettant en jeu un mécanisme de correction adapté, qui lui permet de conserver ses finalités et sa structure.  

 

q Il peut y avoir au contraire une déformation dont le caractère est irréversible.
J. PAILLARD propose de nommer flexibilité cette façon de s'adapter. Il s'agit, toujours dans le cadre d'une métaphore cybernétique, du cas où les changements de l'environnement sont tels que, si le programme et/ou la structure du système ne sont pas modifiés substantiellement, il sera alors incapable de remplir les fonctions pour lesquelles il a été prévu. Dans le cas du système de chauffage avec thermostat, il se peut que la fenêtre de la pièce soit grande ouverte, ce qui, dans certaines conditions,  le rend incapable de chauffer la pièce à la température voulue, quel que soit le régime de la chaudière. La flexibilité du système se manifestera de deux façons :

 

- soit on modifie son programme ou sa structure pour lui permettre d'atteindre ses objectifs. Pour reprendre l’exemple de la planification militaire, c'est tout l'enjeu du « Livre Blanc » de la Défense, et par suite des lois de programmation militaire (la loi actuelle et les lois futures) : comment modifier les programmes pour évoluer d'une menace claire et précisée (les forces armées de l'ex-Pacte de Varsovie) vers une menace à la fois plus diffuse et moins identifiée (guerres civiles, interventions plus ponctuelles dans des cadres géographiques à la fois plus lointains et moins identifiés, interventions « militaro-humanitaires », menaces terroristes, etc...) ? L'apparition au sein de ce « Livre Blanc » de « scenarios d'évolution » de ces situations témoigne de cette tentative de conservation des objectifs, au besoin via l'expression de changements de programme (ou de structures) ponctuels.

 

- soit on modifie ses objectifs pour lui permettre de conserver son programme dans son nouvel environnement : on aurait pu concevoir une planification militaire maintenant ses procédures afin non plus de sauvegarder le potentiel de la Défense, mais de fournir une charge de travail constante à de grandes firmes, leur permettant ainsi de préserver l'ensemble de leur personnel (l'objectif évoluant de la Défense du territoire...à celle de l'emploi !)

 

 Si l'on retrouve le cadre de la planification d'entreprise stricto-sensu, on peut interpréter l'évolution qui a conduit de la planification de long terme au management stratégique comme une adaptation de ce type. Dans les années 60, I. ANSOFF (1968) écrit que les entreprises planifiant à long terme, « sans stratégie » doivent « élargir le cadre de leur planification (1) pour coiffer d'un plan stratégique l'ensemble de leurs plans (2) pour procéder à l'analyse de la décision dans chacun de leurs plans ».

 

Les plans précédents sont reconnus insuffisamment riches pour appréhender les différents environnements de l’entreprise, d'où la création de nouveaux programmes dits de « planification stratégique ». Dans les années 80, A.C. MARTINET (1984) remarque que l'efficacité de la planification stratégique repose sur une hypothèse implicite forte, selon laquelle l'information disponible est assez riche pour permettre des actions stratégiques précises. Mais cette attitude s’est avérée de jour en jour plus dangereuse, à mesure que s’est accrue la cadence des changements : d’où le développement d’un programme nouveau, le « management stratégique ».

 

Enfin, la stabilité peut se concevoir par rapport à une structure transformable, bien plus que déformable. Dans ce cas, les changements de l'environnement peuvent être utilisés par un système qui serait capable de se stabiliser en équilibrant sans cesse ses relations avec son environnement, ce qui nécessite de modifier en permanence ses structures internes et ses modes de fonctionnement dans cet environnement. Il s'agit là des capacités les plus générales dont sont capables de faire preuve les organismes vivants (systèmes biologiques, économiques, sociaux) qui ont ainsi des vertus adaptatives bien plus grandes que les systèmes purement cybernétiques. La stabilité du système est rendue possible grâce à l'instabilité quasi-permanente de ses composants internes ; ce qui revient, en d'autres termes, à décrire la possibilité d'apparition de l'ordre par le désordre… C'est pour qualifier ce type de stabilité[12] par équilibration permanente du milieu interne par rapport au milieu externe que J. PAILLARD parle alors de « plasticité » au sens strict : « [il faut aussi décrire] les capacités du système, ayant achevé son développement, à remanier sa propre structure et à enrichir son répertoire réactionnel de possibilités nouvelles non initialement prévues dans ce répertoire. Elle définit une certaine plasticité adaptative du système ayant achevé sa maturation. » (J. PAILLARD 1976, p. 42).

 

Ainsi, non-seulement le système s'est adapté en se transformant, mais on peut aussi considérer qu'il a appris à s'adapter. La plasticité qu'évoque J. PAILLARD débouche sur une adaptativité : en s'adaptant, le système développe ses facultés d'adaptation. En augmentant la variété de ses comportements possibles, il accroît exponentiellement son potentiel à se créer de nouveaux comportements. Si peu d'organisations sociales ont sciemment adopté des procédures de planification leur permettant d'être « plastiques », on trouve en revanche de multiples indices d'une telle faculté. Par exemple, l'organisation RENAULT, née au XIXe siècle, est un système social qui, bien que s'étant transformé profondément à de multiples reprises au fur et à mesure de sa progression historique (changements de structures, de nature des produits fabriqués, de technologies utilisées...), a su maintenir malgré tout une identité, une culture, une histoire, des valeurs et des finalités qui lui sont propres et qui la caractérisent.

 

Bien entendu, un système qui est capable de faire preuve de plasticité, est capable a fortiori  de faire preuve d'élasticité ou de flexibilité. En revanche, on ne peut expliquer toute la plasticité d'un système à partir des hypothèses de flexibilité ou d'élasticité : cela reviendrait à donner une vision trop étriquée de la réalité, en réduisant à un nombre de cas trop limité la variété des registres de comportements possibles pour s'adapter.

 

Reste que la notion de stabilité dont il est question pour définir la plasticité au sens strict, est plus difficile à cerner que celle qui prévaut pour la définition de l'élasticité et de la flexibilité, car elle se comprend plutôt comme une capacité à changer tout en maintenant une certaine autonomie. Il convient donc de mieux comprendre cette notion, puisqu'elle apparaît comme centrale dans l'acception « riche » de l'adaptation – conçue comme un processus finalisé et finalisant qui permet de maintenir ou d'accroître l'autonomie d'un organisme vivant (grâce à des relations de dépendance réciproque qu'il entretient avec son environnement, quelles que soient les évolutions internes et/ou externes auxquelles cet organisme doit faire face).

 

 

III.- De l'adaptation à l'autonomie

L'adaptation consiste à résister (système rigide), ou bien à se déformer (système élastique ou flexible), ou encore à se transformer (système plastique), afin de répondre à des perturbations provenant de son environnement, en évitant d'être anéanti ou englouti par celui-ci. Elle confère une certaine stabilité au système, qui reste intégré à son environnement, tout en s'en percevant discernable (distinctif). C'est cette stabilité dans le changement que nous proposons d'appeler autonomie. Nous retiendrons, en première approche, la définition qu'en donne J-L LE MOIGNE : « propriété d'un système en général rendant compte de son aptitude à être identifié et à s'identifier, à la fois, différent et maintenu différent des environnements substrats dont il est solidaire. » (J-L LE MOIGNE, 1981, p. 3).

 

 Ainsi, l'autonomie se définit toujours par rapport à des relations de dépendance que le système entretient avec son environnement : « [c'est dans la] dépendance que se tisse et se constitue l'autonomie des êtres. De tels êtres ne peuvent construire et maintenir leur existence, leur autonomie, leur individualité, leur originalité que dans la relation écologique, c'est-à-dire dans et par la dépendance à l'égard de leur environnement. » (E. MORIN, 1977, p. 204).

 

Chaque façon de concevoir l'adaptation d'un système détermine une définition particulière de l'autonomie :

 

q Les systèmes rigides (le chêne de la fable…) s'adaptent... sans s'adapter (jusqu’à une éventuelle catastrophe) : c'est leur résistance aux pressions extérieures qui leur permet de rester viables sans déformer leur structure et sans changer leurs finalités.

 

q Les systèmes élastiques (le roseau) s'adaptent, en s'avérant capables de modifier leur structure – mais cette modification ne peut être que temporaire : en tout état de cause, structures et finalités restent stables. Dans ce cas, l'autonomie de ces systèmes est préservée grâce au maintien d'une double permanence : structurelle et téléonomique. La permanence structurelle s'entend comme la capacité du système à ne pas changer la nature de ses relations avec son environnement, ses modes de fonctionnement. La permanence téléonomique suppose que ce système ne change pas ses finalités.

 

q Les systèmes flexibles s'adaptent grâce à leur capacité à sacrifier une permanence au profit d'une autre pour évoluer.

 

- Ils peuvent modifier leur structure afin d'atteindre les mêmes objectifs : les finalités ne changent pas mais on les atteint différemment. L'autonomie repose dans ce cas sur une permanence téléonomique, assurée par une déformabilité structurelle.

 

- Ils peuvent aussi utiliser leur structure actuelle pour la mettre au service d'objectifs nouveaux. On parlera ici d'une permanence structurelle reposant sur une déformabilité téléonomique. Si les nouveaux objectifs sont présumés stables et imposés de l'extérieur, on considérera que le maintien de l'autonomie du système est exclusivement garantie par la permanence structurelle. Mais si on suppose que les nouveaux objectifs sont endogènes, engendrés par le système lui-même, alors la déformabilité téléonomique peut être interprétée comme une permanence téléologique[13] : la stabilité du système reposant sur sa capacité à générer ses propres objectifs plutôt que sur son aptitude à atteindre des objectifs donnés.

 

q Enfin, les systèmes plastiques s'adaptent en acceptant une transformation éventuellement profonde de leur structure et de leurs finalités au fur et à mesure de leur évolution, l'important étant de continuer à se différencier de l'environnement grâce à (ou malgré) ces changements. Le système acquiert une autonomie plus importante par sa capacité à se refinaliser, à se (re)créer des comportements perçus plus intelligents par rapport à l'évolution de son environnement. C'est une rupture importante, puisque d'un système « prisonnier » de finalités qu'il ne s'est parfois même pas données, on passe à un système finalisant, capable d'élaborer ses propres finalités, et de les faire évoluer le cas échéant. La stabilité perçue n'est plus dans les résultats, mais dans les processus de finalisation et de structuration permettant d'aboutir à ces résultats[14] : ce n'est plus la structure qui est permanente, mais la capacité à se (re)structurer ; ce ne sont plus les finalités qui sont permanentes, mais la capacité à se (re)finaliser. Ici, l'autonomie repose sur une permanence processuelle (ou procédurale) du système, qui relève finalement d'une permanence téléologique, puisque le système s'avère capable de continuer à se différencier et à s'identifier par ces processus de refinalisation et de restructuration endogènes.

 

F. VARELA (1989) montre précisément qu'un système (naturel ou artificiel) est autonome s'il détermine ses propres lois de comportement, ce qui permet de le distinguer ou de le rendre identifiable au sein d'un environnement plus large. L'autonomie d'un système se conçoit ainsi comme l'inverse de « l'allonomie », situation où le comportement du système est intégralement commandé par des lois qui lui sont externes (par les évolutions de l'environnement) : elle repose donc fondamentalement sur une permanence téléologique, qui se concrétise momentanément par une certaine permanence téléonomique et/ou structurelle. Les crises que connaissent les systèmes sociaux au fur et à mesure de leurs évolutions sont bien souvent la manifestation de leur capacité à se transformer, fût-ce au prix de certaines mutations fondamentales : l'essentiel est de conserver une capacité téléologique d'auto-détermination au système.

 

Ainsi, les machines sont bien des systèmes autonomes, puisqu'une fois conçues et programmées, elles déterminent elles-mêmes leur comportement : au demeurant, les réflexions systémiques commencent chronologiquement avec la cybernétique (étude des systèmes asservis ou commandés). Mais ces machines artificiellement construites par les hommes sont, pour le moment encore, bien moins autonomes que les systèmes biologiques ou sociaux, qui sont autonomes non-seulement pour produire, mais aussi pour se produire (des identités, des cultures, des représentations d'eux-mêmes) ! E. MORIN (1977, p. 172 et s.) nous invite alors à accepter une « révolution copernicienne » du concept de machine. Le concept générique de machine peut être dérivé pour représenter des systèmes bien plus autonomes que la machine artificielle qu'étudie la cybernétique :

 

« Le concept de machine est un concept générique qui permet de concevoir les divers types ou classes d'organisations actives [d'une] extrême diversité, des machines purement physiques (…) aux machines biologiques et sociales. » (E. MORIN 1977, p. 173).

 

 Les organisations économiques se comportent donc comme des « machines sociales » ou des « systèmes » au même titre que les organismes vivants. Comment ne pas reconnaître les systèmes économiques (un agent économique, une entreprise, une société…) dans les caractéristiques qu’en donne E. MORIN à propos des êtres vivants : « les êtres vivants disposent (…) d'une extraordinaire autonomie d'organisation et de comportement, qui leur permet de s'adapter à l'environnement, voire d'adapter l'environnement à eux et de l'asservir. » (E. MORIN 1977, p. 203).

 

Comment juger du degré d'autonomie d'un système ? F. VARELA (1989) soutient que la caractéristique essentielle de l'autonomie est la mise en œuvre d'auto-références, d'interactions circulaires entre des éléments qui font partie du système étudié : c'est en se groupant, se reliant, s'organisant d'une façon spécifique entre eux, que ces éléments se différencient de leur environnement. Cela corrobore l'hypothèse de quasi-décomposabilité des systèmes que défend H.A. SIMON (1991) : un système peut toujours  être représenté comme un composé de sous-systèmes, dans la mesure où le modélisateur perçoit toujours quelques composants qui sont plus souvent en interaction entre eux qu'avec les autres composants du système. Chaque sous-système est ainsi perçu « quasi-autonome » par rapport aux autres : on peut étudier son comportement comme celui d'un système dans un environnement (qui est lui-même un système, un éco-système). C'est ce qui permet à E. MORIN (1977) de considérer que le système (Unitas multiplex : unité elle-même composée d'unités…) est la complexité de base.

 

L'autonomie et les systèmes ne sont peut-être pas dans la nature des choses : ces notions nous permettent de nous forger des modèles, des représentations intelligibles de la réalité des organisations, afin d'agir sur elle. L'autonomie du système observé est fondamentalement une caractéristique que lui attribue le système observant (pour reprendre les termes de H. VON FOERSTER, 1984) : on peut  penser qu'une entreprise reste autonome tant que les responsables, les décideurs, les membres de cette organisation se représentent leur entreprise comme un système autonome évoluant dans un environnement complexe… J.-L. LE MOIGNE[15] conçoit ainsi la systémique comme une théorie de la modélisation (finalisée et finalisante) qu'effectue un observateur, et non plus comme la « théorie universelle de la réalité » telle que la concevait L. VON BERTALLANFY dans sa « Théorie Générale des Systèmes » (1972).

 

Exemple-type de cette importance de la modélisation, la description qu'H.A. SIMON (1991) donne de la reconstruction de la ville de Pittsburgh comme une « planification sans objectifs finaux » : chaque nouvel immeuble s'ajoutant aux constructions précédentes, et créant un environnement nouveau, oblige à reconsidérer le processus de planification urbaine dans son ensemble. Il devient alors impossible de parler de planification urbaine, orientée sur une vision prédéfinie de ce que devrait être la nouvelle ville. Le problème ici n'est pas de savoir si ce processus est réellement finalisé ou non, si la planification comporte un objectif final ou n'en comporte pas ; après tout, le schéma final correspond-il peut-être à la seule volonté d'un architecte ou d'un élu local. L'intérêt du concept réside plutôt dans l'idée-même d'une planification sans but final, qui fournit une « grille de lecture » nouvelle au modélisateur, lui permettant ainsi d'enrichir son appréhension du phénomène, voire d'y mener des politiques nouvelles.

 

 

IV.- Quatre conceptions de la planification adaptative

Un système capable de s'adapter est un système qui sait se changer... sans changer ; qui sait faire évoluer sa structure et ses finalités, tout en construisant son autonomie. La variété des processus d'adaptation peut être mise en évidence par le croisement des deux facteurs : degré d'évolution des structures (stables ou évolutives), et degré d'évolution des finalités (stables ou évolutives).

 

q L'organisation peut changer ses structures. Dans ce cas, cette évolution ne mettra pas en danger son autonomie si elle sait conserver une certaine stabilité, soit en maintenant ses finalités constantes (permanence téléonomique), soit en développant ses processus téléologiques de finalisation et de structuration (permanence téléologique).

 

q L'organisation peut conserver la stabilité de ses structures. Dans ce cas, l'autonomie est préservée par cette permanence structurelle, qui se double, selon les cas, d'une permanence téléonomique ou téléologique.

 

On débouche sur une matrice décrivant quatre grandes familles de processus adaptatifs, qui reprend, en le développant, le modèle de l'adaptation du système général décrit par J.-L. LE MOIGNE (1977, p. 151 et s.) :

 

 

L'adaptation peut ainsi être décrite comme une « dialectique entre la permanence et le changement » (R. DUBOS). La diversité des processus d'adaptation résultant de ces mouvements dialectiques est bien illustrée par les différentes sortes de verbes que la langue anglaise utilise pour les décrire. On trouve chez E. VON GLASERSFELD (1988) deux verbes qui mettent l'accent sur la façon dont s'effectue la mise en correspondance entre l'organisation « adaptée » et l'environnement[16] :

 

q Dans un cas, il y a adaptation parce que l'organisation est en adéquation avec un environnement qui a commandé cette mise en correspondance. E. VON GLASERSFELD dit que l'organisation cherche à correspondre (« to match to ») à l'environnement, comme un peintre cherche à faire correspondre une couleur nouvelle à une couleur qui se trouve déjà sur un mur à repeindre partiellement. On peut parler alors d'une adaptation défensive[17]: le système cherche à absorber une perturbation issue de l'environnement, en faisant preuve d'élasticité (donc sans faire évoluer durablement ni ses structures, ni ses finalités) ou de flexibilité (en sacrifiant une permanence structurelle à une permanence téléonomique).

 

q Dans l'autre cas, il y a adaptation parce que l'organisme a été capable de mettre en œuvre des stratégies afin que l'environnement lui corresponde (E. VON GLASERSFELD précise que l'organisme cherche à convenir [« to fit to »] à l'environnement, comme un serrurier qui invente une clef pour ouvrir une serrure, parmi la multitude de clefs qui pourraient faire l'affaire. Ici, on parlera plutôt d'une adaptation offensive[18] :  le système choisit de se refinaliser plutôt que d'avoir à subir une modification de ses structures.  

 

Le système peut aussi choisir de transformer profondément ses structures et ses finalités. La conjonction de ces adaptations défensive et offensive peut être qualifiée d'adaptation plastique.

 

1) Accommodation et planifications défensives :

L'adaptation défensive (ou réactive) est en quelque sorte « commandée » ou rendue nécessaire par les évolutions de l'environnement. L'adaptation défensive pourra être décrite en termes d'élasticité ou de flexibilité : l'environnement fait subir une pression ; et face à cette pression, le système réagit par une modification structurelle, réversible ou irréversible, mais il conserve sa stabilité par une permanence téléonomique… En d'autres termes, le système « fait avec » ce que l'environnement lui « donne ».

 

Cette façon de s'adapter défensivement correspond à ce que J. PIAGET (1977) décrivait comme des processus d'accommodation – mis en œuvre dans le fonctionnement de l'intelligence –, et que J.-L. LE MOIGNE définit ainsi : « l'adaptation par accommodation est le processus par lequel le système modifie les activations de son réseau d'interrelations (les canaux de communication) sans modifier sa composition d'ensemble (les mêmes processeurs et les mêmes codeurs). (…) L'accommodation est un comportement défensif : le système, par programmation interne, met en œuvre des comportements possibles qu'il peut manifester compte-tenu de son organisation à l'instant considéré. » (J.-L. LE MOIGNE 1990, p. 118)

 

Lorsque la SNCF planifie un projet d'importance, comme le TGV Nord, les différentes caractérisitiques de la voie (nature du béton, épaisseur, etc...) sont déterminées a priori en fonction de la nature des sols des régions traversées[19]. Lorsqu'un relevé de terrain ponctuel fait apparaître des différences avec le plan, on procède à des modifications incrémentales (renforts éventuels) pour s'adapter au terrain : le système modifie momentanément son état, pour revenir à la normale une fois l'exception traitée. On est dans le cadre d'une planification « rigide », où l'adaptation ne peut être qu'élastique. Le système peut certes déformer sa structure, voire ses finalités. Mais par construction, il ne peut tolérer cette modification que de façon momentanée. La voie TGV ne peut s'éloigner du tracé prévu, car cela conduirait à lancer de nouvelles expropriations, de nouvelles enquêtes publiques... donc à redéfinir complètement l'ensemble du processus de planification.   

 

Ce sont bien de telles accommodations qu'ont dû subir la grande majorité des systèmes de planification créés dans les années 60 ou dans les années 70 pour parvenir à préserver leur raison d'être. On a dû transformer une planification « rigide » en planification « défensive », afin d'assumer les mêmes missions qu'auparavant dans un environnement perçu comme de plus en plus imprévisible. La planification défensive met en évidence les accommodations irréversibles causées par les adaptations flexibles commandées par les évolutions de l'environnement.

 

Pour illustrer ces adaptations flexibles, nous prendrons l'exemple d'un système de planification parmi les plus connus – le PPBS (Planning Programming Budgeting System). Le processus du PPBS est habituellement articulé en cinq phases : pour chacune d'elles, nous allons décrire quelques uns des aménagements qui y ont été apportés pour conserver les finalités constantes[20] (Cf. page suivante).

 

 

Phases du PPBS

Mécanismes d'adaptation défensifs

Phase 1

Analyse et diagnostic de la position concurrentielle de la firme, évaluation du futur

Baisse de l'importance relative des prévisions ; intrusion de la prospective et de ses techniques, parmi lesquelles la méthode des scénarios

Phase 2

Expression de la politique générale, détermination des finalités et des objectifs stratégiques

Précision moins importante dans l'expression de finalités et des objectifs, afin de les rendre moins sensibles aux perturbations de l'environnement. 

Phase 3

Plan stratégique, détermination de l'écart stratégique

Diminution des horizons de planification ; détermination de "plans d'urgence".

Phase 4

Plan opérationnel : traduction des objectifs en programmes et actions ; vérification de la faisabilité financière

Non respect des rythmes prévus : réexamen périodique des programmes en fonction des évolutions de l'environnement

Phase 5

Budgétisation : plan chiffré d'affectation des ressources

Accroissement de la latitude de gestion des budgets, par l'utilisation de méthodes comme le BBZ

 

2) Assimilation et planifications offensives

L'adaptation offensive, ou stratégique, procède d'une attitude volontariste visant à faire en sorte de jouer avec l'environnement pour obtenir les évolutions que l'on désire. Elle suppose que le système ait une capacité d'imagination des futurs et des projets possibles, de telle façon qu'il puisse utiliser son environnement afin de conserver ou accroître son autonomie, en changeant ses finalités. Ce qui fonde la stabilité de cette organisation, c'est toujours son degré de tolérance au changement, mais conçu cette fois comme la capacité à maintenir son autonomie par rapport à son environnement, en modifiant ses missions (ou le sens, la signification de son activité) de façon à mieux mettre en valeur les structures existantes. Le système fait alors preuve de flexibilité offensive. C’est le type d’adaptation évoqué par H. MINTZBERG (1995), quand il prône la redéfinition des missions de la planification vers la communication et le contrôle.

 

Cette façon de s'adapter offensivement correspond à ce que J. PIAGET (1977) décrivait comme des processus d'assimilation, et que J.-L. LE MOIGNE définit ainsi : « l'adaptation par assimilation est le processus par lequel le système modifie son propre système de codage (encodage, engrammation), en développant des processus de production symbolique de représentations et de transactions. (…) L'assimilation est un comportement offensif : le système, par recodage, fait émerger des comportements nouveaux jusqu'alors non pré-programmés, qui enrichissent la gamme des formes d'adaptation possible de l'organisation. » (J.-L. LE MOIGNE 1990, p. 118).

 

Le passage de la planification stratégique au management stratégique illustre ainsi un changement de mode de planification : on passe d'une planification défensive à une planification offensive.  L'organisation  cherche à redéfinir ses missions de façon à s'adapter proactivement[21] :

 

Approche classique

Approche rénovée

L'entreprise est un organisme technico-économique

L'entreprise est simultanément un agent de production, une organisation sociale, un système politique

L'environnement de l'entreprise est essentiellement le marché sur lequel s'affrontent les concurrents. "L'entreprise est en marché"

L'environnement est constitué par tous les acteurs en relation avec l'entreprise. "L'entreprise est en société".

La stratégie consiste à allouer les ressources de telle sorte que soit modifié le système concurrentiel à l'avantage de l'entreprise.

La stratégie consiste à créer les conditions de congruence entre l'environnement et l'entreprise de sorte que celle-ci dispose d'un potentiel maximum de performances.

 

3) Équilibration et planifications adaptatives :

Ainsi, une organisation ou un système qui veut faire preuve de capacité d'adaptation sera défensivement élastique si les relations avec  son environnement et ses projets sont stables ; défensivement flexible si ses relations avec le milieu changent pour atteindre les mêmes finalités ; et offensivement flexible si les mêmes relations avec l'environnement sont mises au service de nouveaux projets…

 

La situation générale, où les relations du système avec l'environnement et  les projets sont tous deux en changement, décrit finalement les conditions de l'évolution structurelle du système. Or, si le système a réussi jusque là à s'adapter, c'est sans doute parce qu'il a fait preuve d'une capacité générale à s'adapter (que ce soit par élasticité, flexibilité défensive ou offensive). On peut supposer que, au fur et à mesure que le système s'est adapté, il a appris à s'adapter, il a accru son adaptativité (on pourrait dire aussi : adaptabilité), ce que nous avons nommé plasticité organisationnelle jusqu'à présent…

 

R. DUBOS (1973, p. 255 et s.) montre que le pire des dangers pour un système (tel qu'un homme ou une organisation sociale) est de croire qu'il s'est définitivement adapté à une situation qu'il maîtrise : il faut qu'il mette au service de sa survie future les leçons qu'il peut tirer de ses expériences d'adaptation précédentes. Un système adaptatif apprend, et apprend à apprendre : à long terme, ses diverses étapes adaptatives ne sont que des stades particuliers d'un processus d'apprentissage de l'adaptation…

 

« Sauf dans un milieu stable à très longue période, comme les fonds marins, les transformations et réorganisations écologiques qui se sont succédées depuis l'ère secondaire ont entraîné la disparition de millions d'espèces trop bien adaptées à des conditions d'existence certes très précises, mais par là temporaires. Trop d'adaptation nuit ainsi à la vie : par contre, l'aptitude à s'adapter dans diverses conditions ou différents milieux favorise la survie. La notion riche d'adaptation signifie donc adaptativité, c'est-à-dire aptitude à s'adapter et à se réadapter diversement. » (E. MORIN 1980, p.48).

 

La plasticité organisationnelle suppose une « équilibration permanente » (au sens de J. PIAGET, 1977) entre les processus d'accommodation (adaptation défensive) et d'assimilation (adaptation offensive) : cette équilibration est à la base du maintien de l'autonomie du système. Au fur et à mesure de ses évolutions, l'autonomie de l'organisation s'exprime par sa capacité à déterminer son comportement en transformant ses finalités et ses structures (permanence procédurale). Dans cette situation, la planification des activités de l'organisation permettra d'envisager ces transformations successives : c'est une planification « adaptative ».

 

Il existe sans doute bien peu de systèmes de planification dont on peut dire qu'ils intègrent à l'état « natif » cette capacité à se créer de l'adaptation, ou à accroître leur adaptativité. Certaines organisations ont cependant œuvré dans cette direction. C'est le cas par exemple d'une entreprise située dans le secteur du vin de Champagne, telle que la décrit H. TANGUY[22] (1992).

 

Cette entreprise se trouvait dans une situation difficile : changement des conditions de marché dans le secteur du Champagne, plus grande importance des vignerons vis à vis des négociants, rachat récent par une entreprise industrielle peu au fait des pratiques séculaires de fabrication du Champagne, urgence des décisions à prendre, absence de stratégie – la Direction Générale n'ayant pas d'idée prédéfinie précise de la trajectoire à suivre. H. TANGUY décrit ainsi les trois enjeux qui devaient être relevés :

 

q « Comment représenter les interactions complexes entre les décisions ? » : quel raisin acheter, combien de temps le faire vieillir, quelle politique de promotion commerciale choisir, etc.. ?

q « Comment chiffrer rapidement les répercussions des politiques envisagées ? » ; autrement dit, évaluer les conséquences du choix du raisin, de la durée de vinification sur toute la politique de stockage, sur la politique commerciale, etc...

q « Comment faire pour que l'entreprise s'accorde d'elle même sur une stratégie qui ait un sens et dont chacun perçoit à son niveau sa part de responsabilité ? »

 

La solution choisie fut de construire une « maquette » informatique permettant de simuler l'activité de l'entreprise. Maquette construite autour de deux modèles : l'un représentant les interactions entre flux physiques, et répondant ainsi au premier des enjeux ; l'autre traduisant ces interactions complexes en résultats financiers prévisibles, et permettant ainsi d'une part aux décideurs internes de l'entreprise de mieux comprendre le fonctionnement de l'organisation (se faire par exemple une meilleure idée de la structure des coûts réelle de l'entreprise), et d'autre part aux décideurs externes (les dirigeants de la « holding ») de pouvoir suivre clairement l'activité de la firme.

 

Cette planification par la construction d'un modèle de simulation procure plusieurs avantages. D'abord, une participation quantitativement et qualitativement plus importante de tous les acteurs du processus : la planification n'est plus imposée par la Direction, mais se construit incrémentalement par la rencontre des différents acteurs qui trouvent dans le modèle un terrain de confrontations et d'échanges objectif. 

 

Ensuite, une application à des processus par nature non-optimisables : la « représentation de l'avenir », comme le dit H. TANGUY, ne peut jamais être optimale quand l'évolution de l'offre – le raisin – dépend d'aléas climatiques absolument irréductibles, et quand l'évolution de la demande ne peut s'évaluer que par rapport à la santé de l'ensemble de l'économie.

 

Dans ce cas, le modèle ne cherche pas à créer une logique d'optimisation qui induirait automatiquement des frictions entre les groupes d'acteurs (faut-il optimiser la quantité de raisin achetée, le vieillissement, ou le nombre de bouteilles vendues, sachant que ces critères sont souvent incompatibles ?). « Il ne fait que représenter les cohérences temporelles entre les prévisions de vente, les plans de tirage, le choix des durées de vieillissement et les paramètres d'environnement ». Il ne contient aucune prévision sur le montant des ventes, ou tout autre facteur. C'est d'abord un outil de simulation : le montant des récoltes ou des ventes ne pouvant être anticipé de manière fiable, les acteurs peuvent se construire plusieurs scénarios d'évolution, et anticiper les conséquences de ces situations si elles venaient à survenir.

 

Le modèle cherche à mettre les acteurs en condition de se créer une stratégie commune à un moment 't', qui ne sera pas obligatoirement la même que celle suivie en 't-1'. Comme le dit H. TANGUY, « la prise de conscience des interdépendances entre variables d'action, à l'intérieur de contraintes financières, a stimulé les ajustements ultérieurs : si je sais que mes déviations perturbent les autres, je sais qui et quand prévenir. Et surtout, puisque chacun sait que je sais, j'y suis incité ».

 

Cet exemple ne se veut pas l'archétype d'une « bonne » planification adaptative, celle qu'il faudrait mener en toute occasion. De toutes façons, cette « bonne » planification n'existe pas. L'idée est plutôt de montrer, d'une façon générale, qu'une planification qui se veut porteuse d'adaptativité doit passer par la reconception de ses pratiques (plus de système de prévision, dans ce cas), mais aussi de ses méthodes (ici, responsabilisation collective et base de connaissances communes). Le nombre et l'ampleur des procédures à aménager étant à reconcevoir en fonction de l'application projetée. 

 

 

Conclusion : planifier l'adaptation en adaptant la planification 

En définitive, à chaque modalité générique de l'adaptation correspond une conception adéquate (ou contingente) de la planification, dont la déclinaison est bien décrite par la métaphore du tourbillon de E. JANTSCH (1980) :

 

« Attendre sur la rive que le tourbillon passe correspond à une attitude rationnelle. Si nous essayons de placer notre canoë dans le tourbillon, en interaction directe avec les forces qui le régissent [...], nous prenons une attitude mythologique – nous entrons en relation directe avec les forces vitales qui nous entourent, [et] nous [...] essayons d'influencer tout le processus. Mais si nous imaginons que nous sommes le tourbillon, comme un assemblage de molécules d'eau est à la fois le tourbillon tout entier et l'un de ses aspects, nous [nous plaçons] dans une attitude évolutionniste. »

 

L'attitude « rationnelle » de E. JANTSCH pourrait correspondre à une planification rigide. Celle qui consisterait à tenter d'arracher son canoë au tourbillon pourrait être vue comme une adaptation défensive : confronté à une perturbation, le système tente de la réduire. L'attitude « mythologique » tient de ce que nous avons appelé la planification offensive : « nous essayons d'influencer tout le processus ». La troisième optique, « évolutionniste » dans la terminologie de E. JANTSCH, correspond à l'idée de la planification adaptative : on mène simultanément un ensemble de comportements tournés vers l'environnement et/ou vers le système lui même, le tout afin de se créer de l'ordre dans un milieu perçu désordonné.

 

Contingence de l'adaptation, contingence de la planification : on débouche ainsi sur une modèlisation conjointe liant les processus de planification aux modalités par lesquelles ils réalisent leur autonomisation.

 

 

Cette modélisation peut être envisagée sous plusieurs angles. Bâtie à partir des systèmes de planification existants, elle peut permettre de mieux appréhender les mécanismes par lesquels ces systèmes ont construit leur adaptation. En celà, elle peut être vue comme un outil de diagnostic.

 

Elle permet alors d'insister sur le fait qu'un système de planification n'est jamais complètement rigide. Face à la pression d'environnements perçus complexes, les systèmes existants ont souvent fait preuve d'une adaptation qu'on aurait pu croire difficile quand on connaissait leurs « paramètres de conception », et notamment la volonté exprimée de leurs auteurs d'en faire des outils optimisant l'organisation sur un horizon lointain. Le processus d'optimisation s'accorde en effet assez mal de situations où les variables définies à l'origine voient leur nature changer au sein même de ce processus.

 

Pourtant, si l'on reprend l'exemple de la planification militaire, on peut montrer qu'en allongeant les délais, en révisant certaines options, en apprenant l'incertitude, le système a continué à respecter les finalités qui lui avaient été imposées, après même que nombre des données qui avaient servi à construire ces finalités eurent disparu. Cette adaptation (« flexible » dans notre terminologie) pose à nouveau indirectement le problème de l'utilité de la planification : si les données ayant permis de bâtir les finalités avaient changé, il aurait fallu changer les finalités. Lorsque les environnements sont perçus de plus en plus complexes, l'organisation qui veut conserver son autonomie se doit d'être capable de faire évoluer les buts qu'elle poursuit : si la planification ne le permet pas, on peut sans doute dire que « l'évolution naturelle » (au sens darwinien) des procédures de gestion la condamne à terme.

 

Le modèle de l'adaptation que nous avons introduit permet toutefois de nuancer ce jugement. La planification est un concept riche, qui ne se réduit pas à des systèmes téléonomiques à finalités invariantes. Il est tout aussi possible de concevoir des systèmes téléologiques capables de sécréter leur propre évolution, au besoin en revenant sur les objectifs fixés a priori. Les planifications « offensives », mais surtout les planifications « adaptatives » sont conçues dans cette optique.

 

Outil de diagnostic (ex-post) à l'origine, notre modèle se présente maintenant comme un instrument de conception ou d'ingénierie (ex-ante). Il introduit l'idée qu'il n'est pas impossible de planifier dans la complexité. Mais il faut alors réfléchir sur la nature des méthodes et des outils à employer. Dans la complexité, le but n'est pas tant de concevoir des systèmes « bien organisés » a priori, que de donner à ces systèmes la capacité d'évoluer afin de toujours mieux remplir les tâches qu'on leur aura fixées.   


Notes

[1].  Ici comme dans la suite de cet article, le mot organisation doit être entendu à la fois comme un processus (l’action de s’organiser) et le résultat de ce processus (la chose organisée). 

2. On lira notamment avec intérêt sur ce sujet : « Epistémologie et sciences de gestion » (sous la direction de A.C. Martinet, 1990) ainsi que « Les épistémologies constructivistes » (J.-L. Le Moigne, 1995).

3. Toujours au sens de F. Knight (1921). J.M. Keynes (1937) parle alors d'une situation où « on est tout simplement dans l’ignorance » (« we just don't know »).

4. L’étude de la planification militaire évoquée ici a fait l’objet d’un contrat de recherche entre le GRASCE (URA CNRS 935) et la Direction Prospective Long Terme de la Direction des Armements Terrestres (Délégation Générale à l’Armement). Cf. GRASCE (1994).

5. On peut d'ailleurs remarquer que la reconnaissance du terme de « planification adaptative » date justement du début des années 70 (R.L. ACKOFF, 1971).

6. Ces similitudes ne sont évidemment pas d'ordre ontologique : ce sont des similitudes fonctionnelles et structurelles qui peuvent suggérer au modélisateur l'emploi des mêmes concepts dans l'élaboration d'un modèle général décrivant les processus adaptatifs.

7. Initialement définie comme la science des organismes vivants au sens large (L. VON BERTALANFFY, 1973), ou – si l’on remonte aux origines cybernétiques – comme la science des organisations finalisées (N. WIENER, 1952) la systémique fut ensuite reconnue comme une théorie de la modélisation des organisations autonomes, perçues complexes (LE MOIGNE, 1977), naturelles ou artificielles (SIMON, 1991), animées ou inanimées.

8. L'expression anglaise consacrée est : « survival for the fittest  ».

9. Cité par J. PAILLARD (1976, p. 34).

10. Cité par J.-L. LE MOIGNE (1977, p. 153 et s.) et E. MORIN (1977, p. 192).

11. Cette forme de stabilité est, selon J. PAILLARD, la caractéristique des systèmes homéostatiques. Nous ne retiendrons pas ce terme ici, car il présente une certaine ambiguïté : certains auteurs parlent d'homéostase pour mettre en évidence les qualités de plasticité ; d'autres au contraire utilisent ce concept comme synonyme d'élasticité (cf. par exemple, J.-L. LE MOIGNE 1977, op. cit. p. 154/155).

12. On prend acte ici de la distinction proposée par J-L LE MOIGNE (1977, op. cit., p. 32) entre la « téléonomie » (cas d'un système à  but stable, mono-finalisant, le plus souvent exogène) et la « téléologie » (cas d'un système à objectifs multiples, évolutifs, habituellement endogènes, se transformant au fil du temps). Cette distinction est aussi argumentée par H. ATLAN (1986, p. 154-155) en proposant de qualifier de téléonomique un système dont les finalités ne reposent ni sur une conscience, ni sur un comportement intentionnel – exogène, donc – ; et en réservant le terme téléologique pour rendre compte d'un comportement intentionnel et conscient de finalisation. Le premier terme souligne donc le caractère exclusivement finalisé du système ; le second terme insiste sur son caractère finalisant.

13. On s'inspire ici de la distinction faite par H.A. SIMON entre rationalité substantive et rationalité procédurale (SIMON, 1982).

14. J. L. LE MOIGNE, 1977 (Annexe 3), 1990, 1992.

15. Pour être exact, dans cet article, E. VON GLASERSFELD parle des différentes conceptions épistémologiques que l'on peut avoir de l'adaptation, de la mise en correspondance, de notre connaissance à la réalité. Mais la correspondance connaissance/réalité peut être étudiée dans les mêmes termes que la correspondance organisation/environnement (ou plus exactement : [représentations de l'organisation] / [réalité de son environnement]).

16. R. DUBOS (1973) cite à ce propos le verbe anglais « to react with » pour illustrer l'aspect stimuli-réponse de cette façon de s'adapter.

17. R. DUBOS (1973) utilise alors le verbe anglais « to respond to » : le système construit son autonomie en utilisant les évolutions de son environnement pour atteindre des buts qu'il génère lui-même.

18. Intervention orale d’un responsable technique du projet TGV Nord à la Convention AFITEP du Management de projet, Paris, 1993.

19. L'explicitation des phases du P.P.B.S. est reprise de A.C. MARTINET, 1983.

20. A.C. MARTINET, 1984.

21.  Si la description de la situation évoquée ici a été menée par H. TANGUY, les commentaires relatifs à cette situation – et notamment ses rapports à la notion de planification adaptative – sont de notre ressort.


 

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[1] Les auteurs tiennent à remercier les rapporteurs pour leurs suggestions et remarques qui ont été essentielles à l’élaboration définitive de cet article.

[2]  Ici comme dans la suite de cet article, le mot organisation doit être entendu à la fois comme un processus (l’action de s’organiser) et le résultat de ce processus (la chose organisée). 

[3] On lira notamment avec intérêt sur ce sujet : « Epistémologie et sciences de gestion » (sous la direction de A.C. MARTINET, 1990) ainsi que « Les épistémologies constructivistes » (J.-L. LE MOIGNE, 1995).

[4] Toujours au sens de KNIGHT (1921). J.M. KEYNES (1937) parle alors d'une situation où « on est tout simplement dans l’ignorance » (« we just don't know »).

[5] L’étude de la planification militaire évoquée ici a fait l’objet d’un contrat de recherche entre le GRASCE (URA CNRS 935) et la Direction Prospective Long Terme de la Direction des Armements Terrestres (Délégation Générale à l’Armement). Cf. GRASCE (1994).

[6] On peut d'ailleurs remarquer que la reconnaissance du terme de « planification adaptative » date justement du début des années 70 (R.L. ACKOFF, 1971).

[7] Ces similitudes ne sont évidemment pas d'ordre ontologique : ce sont des similitudes fonctionnelles et structurelles qui peuvent suggérer au modélisateur l'emploi des mêmes concepts dans l'élaboration d'un modèle général décrivant les processus adaptatifs.

[8] Initialement définie comme la science des organismes vivants au sens large (L. VON BERTALANFFY, 1973), ou – si l’on remonte aux origines cybernétiques – comme la science des organisations finalisées (N. WIENER, 1952) la systémique fut ensuite reconnue comme une théorie de la modélisation des organisations autonomes, perçues complexes (LE MOIGNE, 1977), naturelles ou artificielles (SIMON, 1991), animées ou inanimées.

[9] L'expression anglaise consacrée est : « survival for the fittest  ».

[10] Cité par J. PAILLARD (1976, p. 34).

[11] Cité par J.-L. LE MOIGNE (1977, p. 153 et s.) et E. MORIN (1977, p. 192).

[12] Cette forme de stabilité est, selon J. PAILLARD, la caractéristique des systèmes homéostatiques. Nous ne retiendrons pas ce terme ici, car il présente une certaine ambiguïté : certains auteurs parlent d'homéostase pour mettre en évidence les qualités de plasticité ; d'autres au contraire utilisent ce concept comme synonyme d'élasticité (cf. par exemple, J.-L. LE MOIGNE 1977, op. cit. p. 154/155).

[13] On prend acte ici de la distinction proposée par J-L LE MOIGNE (1977, op. cit., p. 32) entre la « téléonomie » (cas d'un système à  but stable, mono-finalisant, le plus souvent exogène) et la « téléologie » (cas d'un système à objectifs multiples, évolutifs, habituellement endogènes, se transformant au fil du temps). Cette distinction est aussi argumentée par H. ATLAN (1986, p. 154-155) en proposant de qualifier de téléonomique un système dont les finalités ne reposent ni sur une conscience, ni sur un comportement intentionnel – exogène, donc – ; et en réservant le terme téléologique pour rendre compte d'un comportement intentionnel et conscient de finalisation. Le premier terme souligne donc le caractère exclusivement finalisé du système ; le second terme insiste sur son caractère finalisant.

[14] On s'inspire ici de la distinction faite par H.A. SIMON entre rationalité substantive et rationalité procédurale (SIMON, 1982).

[15] J. L. LE MOIGNE, 1977 (Annexe 3), 1990, 1992.

[16] Pour être exact, dans cet article, E. VON GLASERSFELD parle des différentes conceptions épistémologiques que l'on peut avoir de l'adaptation, de la mise en correspondance, de notre connaissance à la réalité. Mais la correspondance connaissance/réalité peut être étudiée dans les mêmes termes que la correspondance organisation/environnement (ou plus exactement : [représentations de l'organisation] / [réalité de son environnement]).

[17] R. DUBOS (1973) cite à ce propos le verbe anglais « to react with » pour illustrer l'aspect stimuli-réponse de cette façon de s'adapter.

[18] R. DUBOS (1973) utilise alors le verbe anglais « to respond to » : le système construit son autonomie en utilisant les évolutions de son environnement pour atteindre des buts qu'il génère lui-même.

[19] Intervention orale d’un responsable technique du projet TGV Nord à la Convention AFITEP du Management de projet, Paris, 1993.

[20] L'explicitation des phases du P.P.B.S. est reprise de A.C. MARTINET, 1983.

[21] A.C. MARTINET, 1984.

[22]  Si la description de la situation évoquée ici a été menée par H. TANGUY, les commentaires relatifs à cette situation – et notamment ses rapports à la notion de planification adaptative – sont de notre ressort.