CF Le Moigne - Colloque Intelligence de la Complexité, Epistémologie et Pragmatique, CCIC 28 06 05
C. 18 * J L LE MOIGNE : Une convention épistémologique qui nous aide à transformer nos expériences en sciences avec conscience, par ‘obstinée rigueur’
28 juin 2005
Une convention
épistémologique qui nous aide à transformer
nos
expériences en sciences avec conscience, par ‘obstinée
rigueur’.
L’expérience millénaire
des sciences d’ingenium
Résumé
Que l’on retienne l’expression sciences d’ingenium, ou sciences de conception, ou sciences de reliance, ou sciences (fondamentales) d’ingénierie, où sciences de l’artificiel, l’important pour nous permettre de former des connaissances que nous aident à ‘comprendre pour faire’, est d’entendre la convention épistémologique qui les légitiment.
La force et la faiblesse des sciences dites de la nature a été de s’enfermer depuis deux siècles dans le cadre longtemps tenu pour seul légitimement scientifique des ‘sciences d’analyse’. En faisant d’un a priori méthodologique, un critère épistémologique couperet de reconnaissance académique des connaissances enseignables et actionnables, elles sclérosent à leur insu l’aventure de la connaissance.
Elles craignaient, parfois à juste titre, de ne pas connaître une convention épistémologique au moins aussi respectable, correctement argumentée et assurant la production réfléchie de connaissances actionnables et enseignables. Mais en ignorant la capacité de ‘critique épistémologique interne’ (J.Piaget) potentiellement inhérente à toute recherche scientifique, les sciences d’analyse se sont en quelque sorte souvent auto condamnées à devenir ‘sciences sans conscience’. Leur appel contemporain aux cautions des divers comités d’éthique auxquels elles pensent pouvoir sous traiter l’élucidation des enjeux éthiques de toute entreprise de production de connaissance ‘pour comprendre, c’est à dire pour faire’ témoigne de cette fréquente légèreté épistémologique.
Le redéploiement contemporain des ‘Sciences de Disegno et d’Ingegno’, devenant Sciences de Conception et d’Ingenium, que l’on vient d’évoque en soulignant quelques-uns uns de leurs traits saillant dans les cultures scientifiques contemporaines, nous montre que de nouvelles voies (qui sont souvent d’anciennes voies de la sagesse humaine qu’une certaine arrogance scientiste nous avant fait méconnaître), sont aujourd’hui ouvertes.
Bien des chercheurs s’attachant à transformer pas à pas leurs expériences en science avec conscience (et non plus en recettes tenues pour incompréhensibles), par leur attention à s’exercer à cette critique épistémologique interne, activent notre intelligence collective de la légitimité de nos entreprises de production de connaissance enseignables et actionnables.
Tous s’attachent à renouveler les modes de modélisation contextualisante des phénomènes perçus et conçus par projet, à prêter attention à la multiplicité des points de vue et des échelles de la représentation par une symbolisation riche.
Tous s’attachent à déployer le large éventail des modes d’exercice de l’intelligence humaine, explorant le champ des possibles, cherchant des tiers plausibles, et s’obstinant à ces démarches de délibération critique visant à ré expliciter les enjeux de leurs entreprises de conception, et par elles, de construction, de transformation, de création.
Sans doute nous faudra t il poursuivre longtemps encore nos explorations tâtonnantes au cœur de la fascinante complexité de l’acte de concevoir, en nous dotant des appareils symboliques (des systèmes de notations, des ‘nombres plus subtils’) qui rendent possibles ces actes. Ne nous faut il pas d’abord concevoir l’acte de ‘conceptualisation’ qui suscite toute production de connaissances. N’est il pas fascinant de voir quelques chercheurs en ‘physique des micro-états’ (ou ‘quantique’) s’attacher aujourd’hui à l’élaboration de ‘Méthodes de Conceptualisation Relativisée [1]» ?
Tous s’attachent, quels que soient leurs champs d’expérience, à s’exercer civiquement à cette critique épistémologique argumentée qui veille à « conserver dans nos esprits et dans nos cœurs la volonté de lucidité, la netteté de l’intellect, le sentiment de la grandeur et des risques, de l’aventure extraordinaire dans laquelle le genre humain, s’éloignant peut-être des conditions premières et naturelles de l’espèce, s’est engagé, allant je ne sais où ! [2] »
[1] La MCR (‘Méthode de conceptualisation relativisée’) a été développée par Mioara Mugur-Schachter à partir de 1995. On trouve dans l’ouvrage qu’elle a co dirigé et pour une large part rédigée, une présentation en anglais de cette exceptionnelle contribution à ‘l’épistémologie formalisée’ : “Quantum mechanics, Mathematics, Cognition and Action Proposals for a formalized epistemology” par MUGUR-SCHACHTER Miora, et VAN DER MERWE Alwyn (Eds, Kluwer Academic Publishers.. On trouvera une riche Note de lecture de l’ouvrage , et une présentation intéressante de la MRC, due à JP Baquiast, http://archive.mcxapc.org/cahier.php?a=display&ID=633, et un article en français de M Mugur-Schachter dans GRASCE, ‘Entre Systémique et Complexité, chemin faisant’ PUF, 1999, .p.171-210
[2] Paul Valéry : Conclusion de ‘La politique de l’esprit, notre souverain bien’, in OC Pléiade I p.1040. (1932)