n° 31 Mars 1998
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"Travailler à bien penser, voilà le principe de la morale
(Pascal). L'éthique doit mobiliser l'intelligence pour affronter la
complexité de la vie, du monde, de l'éthique elle-même...
C'est une éthique de la compréhension, qui n'impose pas une
vision manichéenne du monde... C'est une éthique qui rencontre
sans cesse l'incertitude et la contradiction en son sein. Une éthique
sans fondement autre qu'elle-même, mais qui a besoin d'appuis à
l'extérieur d'elle-même : ... s'appuyer sur une anthropologie
et connaître les situations où elle se pratique...".
Ne nous faut-il pas relire et méditer encore ces lignes d'Edgar MORIN
(1994) concluant sa méditation sur l'auto-éthique, sur
la nécessité qu'il exprime de "complexifier le jugement"
dans l'action : aux imprécations, préférer "la
compréhension... qui seule fait de nous des êtres à la
fois lucides et éthiques" ? Méditations auxquelles nous
invitent aujourd'hui les questions sur les multiples actions que chacun
entreprend en se voulant citoyen responsable, qu'il soit enseignant, chercheur
ou "médiateur" (acteur dans une organisation humaine, qu'elle soit
économique ou politique).
Question particulièrement exigeante pour les enseignants et plus encore
pour les chercheurs : la pratique consciencieuse d'une compétence
(ou de quelques méthodes dites scientifiques) ne nous assure nullement
que, ce faisant, "nous travaillons à bien penser"... ni même
que nous produisons des connaissances qui nous aident à "bien penser"
: que l'on s'interroge sur la pertinence des scientifiques s'acharnant à
démontrer aux citoyens que la centrale Superphénix est en 1998
un projet essentiel pour la Société Européenne, ou que
la convention du partage du travail (par les dispositions dites des
"35 heures") est au contraire une certitude de
dégénérescence économique !
Travailler à bien penser, dans l'action comme dans la recherche, cela
s'appelle développer sa propre culture épistémologique.
Le mot n'est ni mystérieux, ni honteux ; vieux comme la sagesse humaine,
il exprime l'examen lucide des conditions dans lesquelles nous pouvons donner
sens intelligible aux savoirs que nous produisons pour légitimer nos
actions, en étant attentif à leur contexte et leur portée
espérée. Edgar Morin appelle cela "L'écologie de
l'action, (qui) nous enseigne que toute action échappe de plus
en plus à la volonté de son auteur, en entrant dans le jeu
des inter-rétroactions du milieu où elle intervient... comme
les moyens et les fins inter-agissent les uns sur les autres" (p. 127).
Forgeant, fort pragmatiquement, ce savoir sur l'écologie de l'action,
ne pouvons-nous réfléchir à ses multiples significations,
aux multiples façons de le légitimer... ou de le contester
? Ne sommes-nous pas tenus de nous poser de telles questions, si nous
prétendons agir en citoyens (et a fortiori en enseignants)
responsables ?
Le "funeste présent de la science positive" (P. Valéry)
nous incitant à ignorer ces spéculations et à ne tenir
pour enseignables que les savoirs "scientifiquement
démontrés"... en posant fort arbitrairement quelques axiomes
tenus pour universellement si évidents... qu'on oublie même
de les rappeler !... La science positive évacue si totalement
l'interrogation éthique (quel est le sens de ce que je fais ?) qu'elle
oublie même souvent de se la rappeler. Sans doute parce que cette
interrogation est complexe, et qu'elle incite à comprendre plutôt
qu'à expliquer (ou réduire à des modèles simplistes).
"Travailler à bien penser", s'exercer à comprendre nos
actes et nos projets, individuels et collectifs, dans leur irréductible
complexité, en montrant que cet exercice responsable est praticable,
plausible, argumentable, n'est-ce pas l'autre nom de "l'intelligence de
la complexité" que nous nous proposons de développer en
nous-mêmes, dans nos pratiques, nos enseignements, nos recherches
scientifiques. En en témoignant, sans prétendre "à
une norme arrogante ou à un évangile mélodieux",
nous contribuons à faire entendre que "l'éthique (ó
et donc l'action humaine délibérée ó) est
inséparable de la connaissance complexe" ; une connaissance qui
relie, qui s'exprime et qui se construit, que l'on soit laborantin ou travailleur
social, responsable d'entreprise ou de municipalité, enseignant ou
praticien, dès lors qu'on se veut citoyen responsable ou solidaire.
J.-L. Le Moigne
Ce numéro 31 de "La Lettre MCX CHEMIN-FAISANT" inclut la fiche (rose)
de (renouvellement de) la cotisation à l'Association du
Programme Européen MCX. En nous la renvoyant dès que possible
avec son montant (200 F. minimum en 1998), vous contribuerez à
donner sens éthique et civique à notre projet scientifique
et culturel...
Les membres de l'Association pour la Pensée Complexe (qui rayonne
en particulier en Amérique et en Asie, qui reçoivent
également "La Lettre Chemin Faisant MCX-APC"), recevront dans quelques
mois l'appel à cotisation 1998 de l'APC (du même montant minimum),
du fait du décalage initial de date de constitution des deux Associations
(en attendant que nous harmonisions les procédures... !).
P.S. : La Lettre CHEMIN FAISANT est l'organe d'expression interne
de nos Associations.
On ne s'y abonne donc
pas : elle ne constitue pas une prestation de service
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; mais on contribue à l'audience de leur projet en cotisant à
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