Traces de mémoire collective - Dossier MCX n°16

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Table des matières

  • PRESENTATION DU DOSSIER MCX 16
  • I) RAPPEL DU PROGRAMME DU GRAND ATELIER MCX
  • II) COMPTES-RENDUS DES RAPPORTEURS
    • A) Repères dans les processus de construction de confiance
      • Espace 1
      • Espace 2
      • Espace 3
      • Espace 4
    • B) Repères dans des processus d’accompagnement
      • Espace 1
      • Espace 2
      • Espace 3
      • Espace 4
    • C) Repères dans la construction de cognition collective
      • Espace 1
      • Espace 2
      • Espace 3
      • Espace 4
    • D) Qu’est-ce qu’un repère pour l’intervention délibérée en situation complexe ?
      • Espace 1
      • Espace 2
      • Espace 3
      • Espace 4
  • III) CONTRIBUTIONS DES PARTICIPANTS
    • A) Repères dans des processus de construction de confiance
      • Confiance-connaissance-co-développement
      • Le Projet ETHOS en Belarus
    • B) Repères dans des processus d’accompagnement
      • Accompagner le changement dans les interventions délibérées en situation complexe 
      • Quelques repères dans la conception/accompagnement d'un changement organisationnel
    • C) Repères dans la construction de cognition collective
      • Cognition collective et nouvelles technologies de l’information et de la communication.
      • Système d'apprentissage dynamique et coopératif pour la préparation à distance de l'agrégation
    • D) Contributions transversales
      • Commentaire général sur les différentes thématiques du Grand Atelier
      • Quelques réactions spontanées et suggestions pour les Rencontres à venir
  • IV) REACTIONS DIVERSES
    • A) Sur l’essence et le statut des connaissances actionnables 
    • B) Les enjeux liés aux NTIC 
    • C) Représentations partagées, cognition et intelligence collectives
    • D) Commentaires généraux sur le colloque et son déroulement
      • La difficulté des rapports à chaud
      • La difficulté de l'échange et du débat trans-métiers et trans-disciplines
    • E) Autres remarques et questions
      • Sur le thème de la confiance et de la peur
      • Questions sur l'accompagnement au concret
      • Questions adressées aux "musiciens"

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PRESENTATION DU DOSSIER MCX 16

 

 

Ce Dossier MCX constitue une trace écrite, à un instant donné, d'un processus de mémorisation collective des échanges qui se sont déroulés au cours du Grand Atelier MCX des 19-20 novembre 1998.

Ce Grand Atelier avait pour projet la mise en commun et le partage de connaissances produites dans, par et pour l'action (autrement dit, de connaissances "actionnables") par les participants – cadres dirigeants d'entreprises, responsables d'institutions, managers, consultants, enseignants, formateurs, travailleurs sociaux, psychothérapeutes, urbanistes...–, en se focalisant sur trois processus d'intervention délibérée en situation complexe qui leur sont familiers :

Un quatrième volet portait sur la notion-même de "connaissance actionnable" : au fond, qu'est-ce qu'une connaissance susceptible d'être utile à l'action ? Comment ces connaissances émergent-elles dans la pratique ?

Chacune des quatre demi-journées de ce Grand Atelier était consacrée à l'examen de l'un de ces volets et organisée de la même manière (cf. l'agenda du Grand Atelier rappelé pages 8 et 9 ci-après). Après une séance plénière introductive par des personnalités d'horizons très divers (un responsable d'ATD Quart Monde, un guide de haute montagne, un médecin et une psychologue en soins palliatifs, deux musiciens,...), le travail s'effectuait en groupes multi-disciplinaires dans des ateliers travaillant en parallèle sur le même thème. La demi-journée était clôturée par une séance plénière de mise en commun des travaux menés par les différents groupes. Chacune des séances parallèles était introduite par deux ou trois exposés de 15 minutes chacun dont le résumé figurait dans le Dossier remis aux participants au début de la Rencontre (Dossier MCX 15). Des rapporteurs désignés au préalable présentaient lors de la séance plénière de mise en commun qui suivait les séances parallèles, une synthèse "à chaud" des échanges que ces exposés avaient suscités.

Les séances plénières de mise en commun des travaux des sessions qui se déroulaient en parallèle, s'inscrivaient dans une perspective de co-construction de connaissances par les participants et de co-mémorisation du sens des échanges entre participants.

A l'origine, ce Dossier MCX 16 devait être composé essentiellement des comptes-rendus rédigés par les rapporteurs à l'issue du Grand Atelier. Au fil des jours, un certain nombre de questions, de réactions et de contributions de participants nous sont parvenues. Celles-ci venant enrichir nos échanges des 19-20 novembre 98, il nous a paru intéressant de les inclure dans ce Dossier.

Celui-ci comprend donc quatre parties :

  1. un rappel du programme du Grand Atelier MCX (partie I),

  2. les comptes-rendus des sessions qui se sont déroulées en parallèle, thème par thème (partie II),

  3. diverses contributions de participants (partie III),

  4. et enfin diverses questions, réflexions ou réactions de participants (partie IV).

Les lecteurs de ce Dossier désireux de poursuivre les échanges avec l'un ou l'autre des participants ou dans le cadre d'un forum ouvert sont chaleureusement invités soit à nous contacter (<avenier@univ-lyon3.fr>) pour examiner l'opportunité de la création d'un tel forum sur le site web du Programme MCX (<archive.mcxapc.org>), soit, lorsqu'il s'agit de dialoguer avec un participant spécifique, à le contacter directement par le biais de son adresse e-mail notamment. Celle-ci apparaît systématiquement derrière le nom des personnes qui se sont exprimées dans la partie IV, lorsque ces personnes nous l'ont elles-mêmes communiquée.

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I) rappel du programme du grand Atelier MCX

08h45

Amphithéâtre : Ouverture du grand atelier MCX

   
   

O. Cazenave

Directeur Général des services du Conseil Général de la Vienne

M.J Avenier

Programme Européen MCX

REPERES DANS LES PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE CONFIANCE

09h00

Amphithéâtre : session plénière

        • G. Hériard-Dubreuil (Institut Européen de Cindyniques)

        • R. Gomez (Association ‘ Objectif : emploi !’)

" Repères dans les processus de construction de confiance "

Président : O. Cazenave (Directeur Général des services du Conseil Général de la Vienne)

10h15

Espace 1

  • M. Monroy (Psychiatre) : " Cheminer au risque de la confiance ".

  • P. Trassaert (Chef de projet industriel) : " Construire des confiances : pratiques en
  • co-conception de produit automobile ".

Animateur : J.L. Grolleau (Directeur Général ALGOE)

  • Rapporteur : M. Timsit (Neuro-psychiatre)

10h15

Espace 2

  • N. Tangy (Directeur adjoint EDF GDF Services) : " Quels processus pour construire la confiance ? ".

  • E. Lévêque (Maison Familiale Rurale d’Education et d’Orientation) : " Les processus de
  • construction de confiance en soi dans une formation en alternance ".

Animateur : M. Lani-Bayle (Transform', Université de Nantes)

Rapporteur : A. Geay (Responsable Formation, CCI Poitiers)

10h15

Espace 3

  • G. Le Cardinal (U. Technologique de Compiègne) : " Dynamique de la confiance et
  • fiabilisation de la coopération dans les systèmes complexes ".

  • F. Rupin (Maison Familiale Rurale d’Education et d’Orientation) : " Mathématiques et
  • alternance : une autre manière d’apprendre les mathématiques plus proche du sensible ".

Animateur : B. Tricoire (Directeur Kairos, psychologue cogniticien)

Rapporteur : G. Lerbet (Université de Tours)

10h15

  • Espace 4

  • M. de Beaumont (Consultant) : " Comment construire la confiance ? La contribution
  • d'une méthode conçue pour aider à réussir ensemble, en réseau ".

  • A. Taché (Université de Toulouse) : " La médiation : une contribution au processus de construction de la confiance ? ".

Animateur : G. Goyet (CNRS)

Rapporteur : E. Biausser (Journaliste)

12h00

 

 

 

 

 

 

 

13h00

Amphithéâtre : session plénière  

        • M. Timsit (Neuro-psychiatre)

        • A. Geay (Responsable Formation, CCI Poitiers)

        • G. Lerbet (Université de Tours)

        • E. Biausser (Journaliste)

Mise en commun des travaux parallèles sur les processus de construction de confiance

Président : F. Girault (Vice Président du Conseil Général de la Vienne)

REPERES DANS LES PROCESSUS D’ACCOMPAGNEMENT

14h30

Amphithéâtre : session plénière

        • B. Fabre (Guide de haute montagne)

        • A. de la Tour (Médecin, soins palliatifs) & M. Legrand (Psychologue, soins palliatifs)

" Repères dans les processus d’accompagnement "

Président : A. de Peretti (Ingénieur en chef des Manufactures de l’Etat Honoraire)

16h00

Espace 1

  • F. Sereni (Université de Tours) : " Accompagner le changement dans les interventions
  • délibérées en situation complexe : quelles connaissances ‘actionnables’ pour quelle

    prise en compte d’une visée éthique ? ".

  • J.L. Grolleau (Directeur Général ALGOE) : " Repères dans des processus d’accompagnement ".

Animateur : J. Mallet (Université de Provence)

Rapporteur : M. Mack (Transformance)

16h00

Espace 2

  • G. Goyet (CNRS) : " Qui accompagne qui ? Accompagnement ou co...evolution / developpement ? "

  • C. Collado (Maison Familiale Rurale d’Education et d’Orientation) : " L’accompagnement
  • de l’adolescent dans son projet professionnel ".
  • M. Timsit (Neuro-psychiatre) : " repères psycho-biologiques de l’accompagnement de
  • sujets en état de stress chronique ".

Animateur : E. Andreewsky (Directeur de Recherche INSERM)

Rapporteur : G. Le Cardinal (Université Technologique de Compiègne)

16h00

Espace 3

  • B. Tricoire (Directeur Kairos, psychologue cogniticien) : " Des processus
  • d’accompagnement au changement : une fidélité aux possibles ".

  • R. Declerck (ESC Lille, directeur CIMAP) : " Conditions pour actionner un accompagnement dans un projet international "

Animateur : R. Delorme (Université de Versailles, CEPREMAP)

Rapporteur : M. Lani-Bayle (Université de Nantes, Transform’)

16h00

Espace 4

  • P. Peyré (Université de Pau) : " La notion de connaissances actionnables en
  • situation d’accompagnement : entre le savoir et l’action, construire ses attitudes ".

  • Ph. Deshayes (Ecole Centrale de Lille) : " Quelques repères dans la conception-
  • accompagnement d’un changement organisationnel ".

Animateur : C. Peyron-Bonjan (Université Aix-Marseille II, CIRADE)

Rapporteur : M. Monroy (Psychiatre)

17h45

 

 

 

 

 

 

 

18h45

Amphitheatre : session plénière

        • M. Mack (Transformance)

        • G. Le Cardinal (Université Technologique de Compiègne)

        • M. Monroy (Psychiatre)

        • M. Lani-Bayle (Université de Nantes, Transform’)

Mise en commun des travaux sur les processus d’accompagnement

Président : A. de Peretti (Ingénieur en chef des Manufactures de l’Etat Honoraire)

 

REPERES DANS LA CONSTRUCTION DE COGNITION COLLECTIVE

08h30

Amphithéâtre : session plénière

    • C. Fromageot (Violoniste de quatuor et Directeur du Centre de Recherche d’Yves Rocher)

    • B. Philippe (Saxophoniste de jazz et consultant ALGOE)

" Repères dans les processus de Cognition Collective "

Président : A. Braun (Président de la Société Internationale des Conseillers de Synthèse)

09h45

Espace 1

  • A. Colas (Expert Facteurs Humains, Parc Nucléaire EDF) : " Conditions pour
  • ‘actionner’ une connaissance collective "

  • M. Mack (Transformance) : " Le dialogue exploratoire : processus prometteur de
  • cognition collective ".

Animateur : M. de Beaumont (Consultant).

  • Rapporteur : A.C. Martinet (IAE Lyon 3, Directeur d’Euristik)

09h45

Espace 2

  • R. Gonard (Sous-Directeur de la Recherche, PSA Peugeot Citroën) : " Projets et réseaux
  • scientifiques et techniques au service de l’innovation automobile ".

  • R. Ribette (CNAM) : "Constructions individuelles et collectives de savoirs ‘actionnables’
  • pour et dans la formation d’ingénieurs destinés à intervenir dans la complexité ".

Animateur : C. Fromageot (Directeur du Centre de Recherche d’Yves Rocher)

Rapporteur : E. Biausser (Journaliste)

09h45

Espace 3

  • D. Pagès (CorEdge) : " Au-delà des limites de proximité physique : le cas des grandes entreprises multi-sites ".

  • J. Mallet (Université de Provence) : " Cognition collective et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ".

  • C. Alia et B. Vincent (Université de Toulouse) : " Système d’apprentissage dynamique et coopératif pour la préparation à distance de l’agrégation d’Economie et de Gestion ".

Animateur : F. Sereni (Université de Tours)

Rapporteur : J. Miermont (Psychiatre)

09h45

Espace 4

  • E. Andreewsky (Directeur de Recherche INSERM): " Langage et construction de cognition collective ".

  • B. Journé (CRG) : " Relève et briefing comme dispositif de cognition collective et d’action. Le cas des centrales nucléaires ".

Animateur : B. Philippe (consultant ALGOE)

Rapporteur : R. Delorme (Université de Versailles, CEPREMAP)

11h30

 

 

 

 

 

 

12h30

Amphithéâtre : session plénière

        • A.C. Martinet (IAE Lyon 3, Directeur Euristik)

        • E. Biausser (Journaliste)

        • J. Miermont (Psychiatre)

        • R. Delorme (Université de Versailles, CEPREMAP)

Mise en commun des travaux parallèles sur les processus de cognition collective

Président : M. Roger (Inspecteur Général de l’Education Nationale)

 

 

QU’EST CE QU’UN REPERE POUR L’INTERVENTION DELIBEREE EN SITUATION COMPLEXE ?

13h45 15h00

  • Espace 1

  • A.C. Martinet (IAE Lyon 3, Euristik) : " Dialogue stratégique et connaissance actionnable : quelques repères épistémiques ".

  • R. Delorme (Université de Versailles, CEPREMAP) : "Agir en situation complexe ".

Animateur : A. Colas (Expert Facteurs Humains, Parc Nucléaire EDF)

  • Rapporteur : B. Tricoire (Directeur Kairos, psychologue cogniticien)

15h00

Espace 2

  • G.Y Kervern (Institut Européen de Cindyniques) : " Recherche d’une axiomatique de l’Actionnable ".

  • J. Miermont (Psychiatre) : " Jusqu’où pouvons-nous délibérer en situation complexe ? ".

Animateur : G. Chabert (Conseiller de synthèse, Institut du Management EDF-GDF)

Rapporteur : F. Sereni (Université de Tours)

15h00

Espace 3

  • G. Lerbet (Université de Tours) : " Repère, repaire, désir et (inter)actions ".

  • M. Lani-Bayle (Université de Nantes) : " Quelles connaissances actionner pour faire exister la question des connaissances actionnables ? ".
  • Animateur : R. Ribette (CNAM)

Rapporteur : N. Tangy (Directeur adjoint EDF GDF Services)

15h00

Espace 4

  • R. Teulier (CNRS) : " Des connaissances opérationnelles pour l’action coopérative ".

  • S. Diebolt (Réseau Droit & Société) : " qu'est-ce qu'un repère lorsqu'il s'agit d'invoquer, de dire ou d'écrire le droit ? ".
  • Animateur : E. Biausser (Journaliste)

Rapporteur : Ph. Deshayes (Ecole Centrale de Lille, LAREA)

16h45

 

 

 

 

 

 

 

 

Amphithéâtre : session plénière

        • B. Tricoire (Directeur Kairos, psychologue cogniticien).

        • F. Sereni (Université de Tours).

        • N. Tangy (Directeur adjoint EDF GDF Services).

        • Ph. Deshayes (Ecole Centrale de Lille, LAREA).

Mise en commun des travaux sur :

" Qu’est-ce qu’un repère pour l’intervention délibérée en situation complexe ? "

Président : J.L. Le Moigne (Président AEMCX, Université Aix-Marseille 3, GRASCE).

17h45

 

Amphithéâtre :Cloture du grand atelier MCX

 
   

M.J. Avenier

AEMCX, CNRS (Euristik)

J.L. Le Moigne

Président AEMCX, Univ. Aix-Marseille 3, GRASCE

18h00

Amphithéâtre : Assemblée générale 1998 de l’AEMCX

II) COMPTES-RENDUS DES RAPPORTEURS

A) Repères

dans les processus de construction de confiance

 

 

Espace 1

M. Monroy : " Cheminer au risque de la confiance "

Rapporteur : M. Timsit, Neuro-psychiatre.

 

 

Les deux intervenants viennent d'univers bien différents: M. Monroy est Psychiatre et travaille dans un service public ayant pour but la prévention du suicide, de la violence et des toxicomanies. P. Trassaert est ingénieur dans une entreprise privée de l'industrie automobile et travaille en tant que chef de projet industriel sur la mise en oeuvre de réseaux de coopération dont le but est d'innover dans la conception de produits complexes de l'ingénierie automobile.

Tous deux s'accordent pour reconnaître que la construction de la confiance dans les rapports humains est devenue une nécessité dans la société actuelle et qu'on ne peut plus en faire l'économie.

Essai de définition

Pour M.Monroy, la confiance peut être définie comme une disposition sereine à l'indécidabilité de l'autre. Il s'agit là d'une disposition qui peut apparaître plus facile à adopter dans les relations interpersonnelles que dans le monde des affaires.

Pour P. Trassaert, il s'agit d'un processus cognitif, échelonné dans le temps et qui comporte des niveaux intermédiaires (méfiance, défiance, vigilance, confiance...)

Les deux auteurs insistent sur l'aspect temporel de la construction du processus de confiance et sur son asymétrie: la confiance met beaucoup de temps à se construire mais peut se détruire très rapidement.

Aspect historique et social

Le docteur Monroy insiste sur les modifications du concept de confiance en fonction du contexte dans lequel il est émis. Dans un rapport de dépendance tel qu'on peut le trouver dans le monde féodal, dans l'armée, en politique ou même dans la famille, le discours sur la confiance est décliné en termes de loyauté, de fidélité, d'allégeance. Dans bien des domaines de la vie sociale, cependant, le discours sur la méfiance est prépondérant. C'est en partie le cas dans notre société où les "révélations" continuelles ont développé "une culture de méfiance" avec, en contrepoint, l'irruption de confiances naïves paradoxales comme on voit dans les sectes par exemple.

Cette culture de la méfiance se base sur une représentation de l'autre comme un danger à contenir et parmi ses modèles les plus exemplaires, on doit retenir la société bureaucratique, l'état totalitaire, l'univers carcéral. Dans ces institutions, il existe une rigidification des structures organisationnelles et des hiérarchies, une multiplication des règlements, le culte du secret, une faible marge laissée à l'initiative et une multiplication des contrôles. La collaboration est fondée sur la menace et l'intérêt personnel.

De telles institutions où prédomine cette culture de la méfiance sont remises en question par la généralisation de l'information, l'accélération des changements, l'interdépendance généralisée et il nous faut maintenant choisir entre l'autorégulation "sauvage" des systèmes et un pilotage dans la coopération confiante.

Ces considérations valent également pour l'industrie, et plus particulièrement dans les projets co-opératifs de l'industrie automobile. Certes, le concept de confiance entre des partenaires concurrents peut apparaître paradoxal, comme le fait remarquer P. Trassaert. Et certains auteurs prétendent qu'il n'y a dans ces projets coopératifs "qu'un accord sur un mode de travail collectif et sur des procédures de recherche et de construction de solutions". Pourtant la confiance semble indispensable à la qualité de la communication entre acteurs et à l'efficacité des actions entreprises en commun. Et même si ce processus s'avère long et difficile, il est possible de le construire comme le démontre des actions concrètes menées depuis plus de dix ans dans ce domaine par cet auteur.

Que faire pour édifier des processus de confiance?

M Monroy et P Trassaert sont d'accord pour affirmer que dans tous les cas, il faut d'abord accepter de prendre des risques et de passer du temps.

M Monroy esquisse les conditions générales de cette prise de risque de la confiance, dans le cadre d'une utopie raisonnable et il relève plus particulièrement les points suivants:

P. Trassaert souligne quelques points spécifiques de la construction de la confiance dans ce milieu extrêmement compétitif de l'innovation de l'industrie automobile

Ainsi, cet auteur a schématisé une telle co-construction juridique et psychologique d'un processus de confiance et en a décrit plusieurs étapes :

Ces trois étapes sont les jalons nécessaires à la signature d'un accord de coopération à plus long terme. Elles permettent de rassurer et de donner des repères aux acteurs et elles fournissent le cadre de la situation évolutive. La confiance aveugle est dangereuse et la vigilance doit toujours rester présente au cours de ce processus dans lequel il y a en fait oscillation constante entre confiance et méfiance avec bifurcation toujours possible des comportements vers l'un de ces deux "attracteurs étranges". Et c'est bien cette oscillation qui justifie l'existence de contrats qui ne sont légitimes que si l'on a envisagé l'éventualité d'une rupture.

La confiance peut être parfois douloureuse mais elle peut aussi être à l'origine d'immenses bénéfices économiques et psychologiques. Elle provient des rapports interpersonnels qui s'établissent entre des individus particuliers et ne peut pas être prescrite ou instrumentalisée.

Ce processus de confiance a pu se construire, même dans un milieu aussi défavorable que celui de la concurrence industrielle et une telle activité, élaborée à partir de "connaissances actionnables" méritent bien l'appellation "d'action reconnue".

 

 

 

 

Espace 2

 

N.Tangy : " Quels processus pour construire la confiance ? "

Rapporteur : A. Geay, Responsable formation, CCI de Poitiers.

 

L'atelier était organisé autour de deux communications et animé par Martine Lani-Bayle (Transform', Université de Nantes) :

Norbert Tangy (EDF/GDF) a d'abord présenté le cas d'un accord social sur l'aménagement du temps de travail et le cas d'une injonction hiérarchique d'autonomie ("saute manager") pour augmenter les performances. Il a mis en évidence l'importance de l'information et de la discussion ("parler des dépenses et des compétences"). Il a montré la nécessité d'une "contractualisation éthique" pour une autonomie responsable : le comportement de celui qui délègue l'autonomie est essentiel pour créer les conditions de la confiance ("l'information est une pratique").

Alfred Pétron (MFREO) présentait ensuite une recherche d'Elisabeth Levêque sur les formations en alternance dans leur institution. L'analyse des entretiens de jeunes filles sur leurs stages dans une formation BEPA (Services aux personnes) permet de repérer les étapes qui jalonnent le processus de la confiance en soi:

A. Pétron insiste alors sur le nécessaire accompagnement de ce processus avec les outils spécifiques de l'alternance : retour sur le vécu du stage, mise en commun, validation personnalisée, évaluation sur site...

Le débat fait ressortir que les deux communications présentent l'intérêt de croiser les processus institutionnels et les processus personnels de la construction de confiance. On peut résumer ainsi les conditions de la confiance qui ont émergé au cours de la discussion :

1 - Inventer la théâtralité : créer des lieux destinés à une pratique culturelle et créative (espace de parole, mise en commun, mise en scène...) en fixant les règles du jeu et en ouvrant le débat.

2 - Reconnaître le droit à l'erreur quand on délègue l'autonomie. Autonomie responsable ne veut pas dire coupable en cas d'erreur. L'erreur doit être utilisée pour aider à la prise de conscience et à l'auto-évaluation.

3 - Combiner déstabilisation, prescription et validation pour permettre l'accès à une autonomie confiante. Il y a diverses formes de l'autonomie : confiance en soi ne veut pas dire manifestation d'indépendance. Il y a l'autonomie clandestine, l'autonomie masquée... Etre autonome c'est "s'auto-autonomiser et non s'autonomiser par injonction!".

4 - Créer des modèles de représentation de la confiance/méfiance : comment élabore-t-on ses propres représentations dans des boucles dialectiques confiance/méta-cognition entre : "avoir confiance en soi" - "avoir confiance en l'autre" -"donner confiance à l'autre"... ? C'est la confiance dans le regard de l'autre qui donne la confiance en soi.

5 - Inventer des dispositifs institutionnels qui rendent l'autre intelligent sans le décréter (ex : le sens giratoire à la place des feux tricolores). Ce qui renvoie la confiance vers le socio-cognitif : postuler l'intelligence de l'autre est une condition de la confiance. Les dispositifs ne sont pas neutres, ils sont message : "le procédural contient l'empathique" (sic). Ainsi, l'alternance est une façon de ne pas réduire la complexité en prenant au contraire les différences institutionnelles, les écarts de représentation, les conflits d'intérêt comme des potentialités d'apprentissage et d'autonomie. Créons des dispositifs intelligents, les hommes le deviendront...en toute confiance !

 

 

 

 

Espace 3

 

Rapporteur : G. Lerbet, Université de Tours.

 

Cet atelier a bénéficié de la contribution de 2 intervenants : Gilles Le Cardinal, professeur à l’Université de Technologie de Compiègne, qui nous a parlé de la dynamique de la confiance et la fiabilisation de la coopération dans les systèmes complexes ; et Françoise Rupin, dont le discours a porté sur l’alternance, une autre manière d’apprendre les mathématiques plus proche du sensible.

A travers ces interventions, la construction de la confiance semble à la fois porter sur l’élaboration de structures opérantes et la prise en compte de structures groupales.

Gilles Le Cardinal dépeint 3 types de problèmes " épineux " : les problèmes à solutions simples, les problèmes compliqués, en général résolus par un expert, et les problèmes complexes, où la solution naît d’une " co-opération ".

Il pose également le postulat que les acteurs ont le potentiel de gérer des processus opératoires pour parvenir à des solutions complexes ; et que ceux-ci se libèrent suffisamment de leurs préventions envers autrui pour oser la transparence.

La confiance peut alors se construire selon 4 niveaux " arbitraires " : en usant d’un fond commun d’évidences ; en alliant les différences ; en créant ensemble ; en reconnaissant les identités et les acteurs.

Dans l’alternance, Françoise Rupin part du terrain pour concevoir des situations-problèmes, avec des élèves qui n’adhèrent pas au modèle pédagogique dominant de l’enseignement frontal. On est tout à fait dans le cadre de la différence montrée par Piaget de la différence entre réussir et comprendre. Dans le système scolaire classique on réussit après avoir compris, alors que dans l’alternance, on comprend en action avant de réussir en pensée

Les questions posées par l’assistance se sont réparties autour de 2 thèmes principaux.

Où le sens se construit-il dans la tête d’un individu pour que naisse la confiance ?

Il semblerait qu’une trop grande dissonance cognitive entre ce que les acteurs ont connu et ce qu’on leur demande ensuite pour coopérer, inhibe la confiance. Et que la difficulté de se décentrer, l’étroitesse du champ empêchant les potentiels de se libérer, soit aussi un facteur bloquant la construction de la confiance.

L’autre thème abordé, le statut de l’expert, a tourné autour d’une vision étroite de l’expertise vue comme un champ clos de savoirs strictement analysables, tout l’inverse, en fait, des connaissances actionnables en situation complexe, nécessaires à la confiance.

Celle-ci s’accommodant plutôt de connaissances capables de gérer du flou.

 

 

 

 

Espace 4

 

Rapporteur : E. Biausser, Journaliste.

 

La question qui animait cet atelier était : " Comment construire la confiance dans une équipe qui doit travailler ensemble, alors qu’elle n’existe pas ? "

Bernard de Beaumont, consultant en Management, a rapporté une méthode pour améliorer la cohésion d’équipes au fonctionnement en réseau.

Elle se fonde sur un partage d’informations et des outils de communication tels que messagerie et forum électroniques, et se décompose en 3 moments.

L’amorce, où chacun doit exprimer les interrogations des autres, en respectant de suspendre toute critique, d’accepter le point de vue des autres, d’admettre avoir tort, sans qu’aucune personnalité ne prenne la tête du groupe. A ce stade, le processus de confiance commence à se faire jour.

La deuxième étape est consacrée à l’expression avec des règles fortes : si une personne ne joue pas le jeu, personne ne peut jouer. On voit là une sorte d’exagération de la vie courante, sans régulation. A ce niveau, le leader tourne et le groupe progresse vers l’auto-organisation. La communication se fait sur le mode écrit, offrant une meilleure qualité et plus de recul.

Enfin, le debriefing permet d’exprimer ce qui est d’ordinaire inexprimable. Les problèmes se dissolvent en se verbalisant.

Ainsi a-t-on vu s’établir la confiance grâce à un projet commun, à l’importance de la remise en question (la confiance lui sera proportionnelle), à l’apprentissage de l’auto-régulation.

Après la formation, on constate une amélioration des processus d’organisation collective.

 

Alain Taché, psycho-sociologue, qui accompagne différents acteurs de politiques d’insertion, tels que l’ANPE, la Direction du Travail, les collectivités locales, a témoigné d’une méthodologie pour construire la confiance au cours d’une médiation.

Le problème majeur est d’avoir affaire à des demandes fort incomplètes, où chaque acteur gomme une partie de la réalité, et l’autorité des autres acteurs.

Comment construire la confiance, quand la demande de départ est si mal défrichée ?

Alain Taché propose une méthode s’appuyant sur 2 points principaux :

la recontextualisation de la demande, qui réinjecte le contexte, l’environnement, les échecs et les " non-demandes " ; et l’agrégativité des logiques, qui réintroduit les logiques de tous les acteurs dans le travail à faire ensemble.

Il s’appuie sur des groupes de volontaires, auxquels il explique et la demande et la méthodologie.

A ce moment, l’enjeu est la renégociation du cadre de travail et du mode de fonctionnement. L’émergence de logiques souvent divergentes entraîne une négociation plus ou moins longue, mais le repérage et l’énoncé de ces différences sont nécessaires à la construction d’un patrimoine collectif.

Ce travail de médiation permet donc aux acteurs en présence de s’approprier cette co-construction et favorise les décloisonnements, par un langage et des outils communs.

La participation qui en résulte est délibérative, transinstitutionnelle, transdisciplinaire, créatrice de solutions et de symbolisation conjonctive.

Le médiateur doit veiller à faire reconnaître son indépendance, et savoir la négocier dès le début.

Les échanges avec le public qui ont suivi ont porté sur l’intervenant, avec une demande de clarification sur sa position, son rôle, sa méthode.

La position de l’intervenant dans les cas évoqués est apparue comme alimentée par des contradictions. Contradictions entre les institutionnels en présence, contradictions entre les individus en présence, contradictions de l’intervenant avec lui-même.

Sa position demande aussi qu’il gère les contradictions entre son indépendance sauvegardée à tout prix, et sa propre honnêteté, ses propres engagements citoyens, politiques, et éthiques. En fait, se posait là la question de l’objectivité du médiateur : est-elle possible ?

Quelqu’un a suggéré comme définition de cette position inconfortable : " un messager venu d’ailleurs qui vit parmi les autres ! " 

Néanmoins, construire un groupe " qui croit qu’autre chose est possible " doit inciter cet intervenant apprenti-sorcier à rester modeste, à se distancier de sa méthode.

Le questionnement s’est ensuite porté sur le rôle de l’intervenant dans la symbolisation du groupe et ses ancrages dans la réalité.

Il semble que l’intervenant navigue entre méfiance et confiance en permanence. Mais il fait des propositions dérangeantes, créant un véritable craquèlement des réalités de la personne, et des institutions. C’est là qu’il faut utiliser les forces de la " crise " pour que les personnes en présence " disent autrement " la réalité.

On passe du rôle d’expert à celui d’intervenant, qui rouvre la personne à la complexité. Un nécessaire travail de deuil en découle pour chacun et le groupe, qui va permettre à la confiance de s’établir.

Un certain nombre d’outils ont été ensuite énoncés comme catalyseurs d’une symbolisation commune, alliant les savoirs comportementaux aux techniques.

L’écoute et son corollaire : la parole de la " non-demande " ; des concepts à l’opposé de la naïveté ; l’élaboration de contre –propositions ; des mises en forme classiques, telles que fiches, fraisiers, arborescences ; l’acceptation des contradictions, des échecs, des trajectoires non linéaires ; l’importance accordée au temps, au projet, à l’action ; et la modestie sur soi et son action, sur ses repères, à considérer seulement comme des repères, et non comme des états finis.

Avec ces deux intervenants on voit s’élaborer, pas à pas, chemin faisant, une ébauche de méthodologie pour construire la confiance.

 

 

 

B) Repères dans des processus d’accompagnement

 

 

 

Espace 1

J.L. Grolleau : " Repères dans des processus d’accompagnement "

Rapporteur : M.Mack, Transformance.

 

F. SERENI (Université de Tours)

"Accompagner le changement dans les interventions délibérées en situation complexe : quelles connaissances "actionnables" pour quelle prise en compte d'une visée éthique ?"

F. Sereni débute son intervention par une réflexion sur les termes "délibérer", "intervenir" et "accompagner", puis propose, en ce qui concerne ce dernier terme, de le différencier par rapport à deux autres notions voisines, celle de "guidance" et de "compagnonnage". Ainsi :

- Le guide est celui que se positionne devant. Il oriente car il sait où l'autre doit aller. Il se donne pour tâche de protéger la marche de l'autre qui s'achemine vers un lieu que le guide lui aura désigné. Dans une relation pédagogique, le guidé se trouve en position d'assistance.

- Le compagnon, à imaginer dans un travail de compagnonnage, se place en face, ou à côté de l'autre, sur un chemin qui est partagé. Dans cette relation, les compagnons élaborent et construisent le chemin ensemble et, selon les moments, l'un et l'autre peuvent se trouver alternativement devant ou derrière. Dans une relation pédagogique, il y a apprentissage réciproque et co-élaboration.

- L'accompagnateur, dans son sens classique, et par rapport aux deux notions précédentes, se place derrière celui qu'il accompagne. Ce dernier est invité à inventer son trajet. L'accompagnateur, tout en restant en retrait, dans l'ombre, se donne pour tâche de rassurer l'autre, de lui donner de l'audace. L'accompagnateur est en fait en situation paradoxale puisqu'il est celui qui sait et qu'il se maintient en retrait.

 

F. Sereni souligne ensuite tout l'intérêt (et aussi la difficulté) qu'il peut y avoir dans la capacité de l'accompagnant à savoir jouer de ces trois registres, selon les situations.

Elle met en évidence toute la complexité et le paradoxal de la relation accompagnement/accompagné, notamment lorsqu'il s'agit de parvenir à une prise de décision, alors qu'on n'est pas en position de maîtriser les résultats. Notamment aussi quand il s'agit de respecter l'autonomie de l'autre, ce qui amène à proposer de voir cette relation comme paradoxale, nécessitant d'exercer à la fois engagement et retenue.

En conclusion, F. Sereni aborde l'idée d'une "visée éthique" puisque aucune loi ne vient encadrer la relation dont il est question. L'accompagnant doit alors prendre toute la mesure de la responsabilité qu'il engage à l'égard d'autrui.

J.L. GROLLEAU (Directeur Général ALGOE)

"Repères dans les processus d'accompagnement"

J.L. Grolleau indique en introduction que dans le métier de consultant, les connaissances s'élaborent "en faisant" notamment pour la construction d'outils.

Le consultant peut se trouver confronté à différents types d'accompagnements, en amont, où l'on accompagne un travail de conception du processus de changement ou, en aval, où l'on pilote des processus de transformation "en temps réel".

Dans ce dernier cas, le consultant privilégie la démarche par projet : le travail sur des projets amène l'organisation à se transformer, dès lors que cette démarche est pilotée par référence à une vision de l'état futur souhaité.

Qu'il soit en posture d'assistance au pilotage ou de maîtrise d'œuvre, le consultant va organiser avec son client un partage et un questionnement des représentations sur la situation et sur les enjeux. Il va créer la condition de l'émergence d'une solution acceptable par des processus qui combinent participation, délibération et interaction.

En termes de connaissances actionnables, le consultant cherche à élaborer des outils nouveaux ou à faire usage d'outils existants, son art étant celui d'en faire un bon assemblage.

Dans certaines situations, le consultant va être amené à faire émerger des décisions d'action, notamment dans ce que J.L. Grolleau appelle le "champ de délibération stratégique". Ici, à nouveau, on se sert de différents outils, parfois combinés : "vision", "construction chemin faisant", "analyse stratégique".

Dans ces différentes situations, il faut être particulièrement sensible à l'importance du temps et des rythmes ; en d'autres termes, il faut "sentir les rythmes faisables".

 

QUESTIONS ET DEBAT

Au travers des questions posées par chaque intervenant à l'autre et de celles soulevées par la salle, trois grands sujets ont été abordés.

1. L'autonomie. La question centrale était de savoir de quelle manière doit-on juger du degré d'autonomie de l'autre. Qui peut réellement en juger ? F. Sereni avance l'hypothèse selon laquelle "il n'y a que moi qui puisse juger si je suis autonome". Faut-il le regard d'un tiers pour juger de l'autonomie de l'accompagné ? J.L. Grolleau propose l'idée qui consiste à évaluer l'autonomie par rapport à son environnement en fonction de sa capacité de survie.

2. Le temps. La question soulevée par F. Sereni concernait les situations d'urgence. Fait-on, dans ces situations, l'impasse sur la complexité qui voudrait que l'on laisse le temps pour permettre l'émergence. J.L. Grolleau fait remarquer que certaines situations, par exemple le risque d'un dépôt de bilan en entreprise, oblige à agir "à chaud". Il y a consensus sur l'idée que si la situation le permet et lorsqu'on intervient en milieu complexe, le "pilotage par émergence" est préférable.

3. Rôle du consultant

Ce rôle peut évoluer en cours de chantier. Le projet, une fois en cours, permet de choisir. Ainsi, le problème peut se redéfinir au cours de l'intervention.

4. Notion d'expertise.

Même si l'expert peut être vu comme moins "pertinent" dans les interventions en milieu complexe, l'échange a permis de faire apparaître la nécessité de ne pas sous-estimer le rôle utile que l'expert peut jouer. Selon l'un des participants, il convient de "réhabiliter la notion d'expertise".

 

 

 

 

Espace 2

 

  1. Collado : " Repères psycho-biologiques de l’accompagenement

de sujets en état de stress chronique ".

Rapporteur : Gilles Le Cardinal, Université Technologique de Compiègne.

 

Dans l'atelier n° 2 de cette matinée consacrée à l'accompagnement, Monsieur Goyet nous a proposé de réfléchir sur l'expérience de l'association "Objectif : Emploi !" de la Ville de Saint-Denis, dont Madame Gomez nous avait parlé en séance plénière.

Il parle du concept d'accompagnement comme faisant partie d'un système de représentation d'un monde qui meurt, il préférerait le remplacer par la "coproduction poïétique" en référence à Paul Valéry.

L'ère industrielle fait place pour lui à l'ère créationnelle et communicationnelle où l'immatériel et le relationnel vont prendre une place stratégique centrale.

La logique de séparation doit faire place à la logique de conjonction.

Accompagner, est-ce suivre, précéder, guider ou être à côté ? Ce dont il s'agit c'est d'inventer un processus d'intermédiation nouveau. Au "Non à l'Exclusion !", il convient d'ajouter également un "Non à l'Insertion !" dès lors qu'on a compris que l'insert est une pièce de bois destinée à arrêter le flottement de la charpente, qu'on rentre à coup de maillet pour enlever le jeu de la structure. Or, on ne peut consolider une structure qui se délite, ni réinsérer l'exclus dans ce qui vient de l'exclure, en lui tapant sur la tête...

Il faut sortir du cadre, et pour cela inventer un nouveau cadre :

Il faut opérer la reliance du développement de la personne, de la formation et des acquis dans les connaissances métiers, en associant les niveaux de la personne, du collectif et du territoire.

Grâce à un financement européen, on a procédé à Saint-Denis, à un inventaire des ressources économiques disponibles dans les NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication) et réalisé un outil de navigation constituant un système d'information territorial, capitalisation des connaissances et tricottage relationnel qui constitue un nouvel espace d'intermédiation.

Il faut reconsidérer le rôle du passé et du futur sur le présent, travailler sur nos ignorances pour pouvoir les fertiliser.

La solution d'avenir est de se tenir prêt, de faire le guet et de bondir sur les opportunités émergentes. Le réel dépassant toujours la réalité perçue, il s'agit d'opérer une triangulation entre la répétition du passé, le construit projeté dans le futur et l'advenant, hasard qui s'exprime dans le présent à saisir.

Le moteur du processus carbure à l'inachevé, au manque, à la frustration dans un paysage qui fait le chemin, autant que le chemin fait le paysage.

Pour cela, il faut suivre-guider la nature, se poser le problème du changement, de ses processus et de leur identification, dépasser l'accompagnement Homme-Homme, pour s'ouvrir à un co-pilotage prenant en compte la nature, le territoire, et la compréhension des processus d'apprentissage et du changement dans une expérience de débordement de la réalité par le réel.

Christine Collado témoigne ensuite de son expérience de monitrice à la Maison Familiale de Cerisy, structure conventionnée pour les jeunes en difficulté scolaire avec, comme principe fondateur, la formation en alternance dès la classe de quatrième. La pédagogie originale repose sur le triangle :

L'accent est mis sur la motivation à partir des mots clefs suivants : intérêt, mobile, projet, motif.

Le travail de la monitrice fondé sur le concept de pédagogie en deuxième personne de G. Lerbet, consiste à être un médiateur relationnel. Il est fondé sur l'écoute et le dialogue, centré sur l'élève-adolescent, à partir de la construction de son projet au coeur d'un réseau de personnes ressources.

Le travail individuel s'intègre dans un groupe classe fédéré sur un projet personnel et un projet commun, avec des ressources communes. Un équilibre est recherché entre le matériel professionnel disponible et le matériel théorique, dans une logique d'interaction partant si possible du concret vers l'abstrait.

Quatre outils sont développés et mis en oeuvre :

- Le plan d'étude, qui s'appuie sur un questionnaire proposé aux jeunes et qui les met dans une attitude de recherche des réponses conduit avec un esprit critique.

- L'entretien individuel, qui travaille sur les difficultés rencontrées, permet aux jeunes de relier les informations dont il dispose pour avancer dans son projet dans une double démarche d'élève et de professionnel. Reconnaître avec lui le singulier de son projet va lui redonner confiance et le motiver.

- La mise en commun des travaux qui permet aux jeunes de présenter leur stage, d'expliquer les difficultés rencontrées en analysant leur vécu. Acteur de son projet, il devient capable d'interpeller les autres et de répondre à leurs questions. Alors le commun, l'invariant, la règle peut émerger de la confrontation des expériences singulières.

- Les visites sur le terrain qui permettent, face au maître de stage, à la monitrice de découvrir l'élève en situation, de le pousser à formuler un projet d'avenir, d'élucider ses désirs. La visite aide autant l'élève à formuler ses difficultés et ses espoirs que la monitrice à le connaître en profondeur. Le véritable savoir-faire de l'élève est valorisé et pris en compte. Il est poussé à traduire son action en pensée et à produire du sens dans l'affinement d'un projet personnel et professionnel.

Le taux de réussite de 80 % aux examens (CAP, BEP, Bac Pro) est un premier indice de la qualité de la pédagogie. Mais c'est l'embauche du jeune par le maître de stage qui reste le meilleur critère de réussite de la Maison familiale de Cerisy.

Madame Timsit, neuropsychiatre, nous a parlé de son expérience au CITES-Prévert (et non pervers !) qui est un atelier de gestion du stress.

Historiquement, ce centre était dédié à l'exploration cérébrale des potentiels cognitifs et avait mis au point des outils d'évaluation psychologique et cognitif standardisés permettant d'objectiver des déficits suite à des accidents, pour le compte de la justice et des compagnies d'assurance. La logique était celle d'expert-observateur face à la victime observée avec interdiction de communiquer les résultats de l'exploration au patient lui-même.

Un changement décisif a consisté à transgresser la règle et à rendre au sujet les résultats de l'évaluation, de manière à lui permettre de se prendre en charge pour dépasser la souffrance qui fait suite à une agression.

Le stress est une combinaison de processus psychologiques, neurobiologiques et hormonaux qui sont une réponse de l'organisme à une menace, une insécurité, une urgence. Il entraîne une tension émotive, des limitations sensori-motrices, des ruptures de rythmes et des discontinuités dans le temps vécu. Le mécanisme du stress, qui peut être qualifié d'adaptatif, est une réponse satisfaisante s'il reste bref et isolé, mais devient inhibant et hypothèque l'avenir s'il vient à durer.

Face à une agression, le stress peut être un facteur de protection. Il est alors perçu comme un ajustement temporaire à une situation anormale. Mais il peut devenir un facteur de fragilité du fait de sa durée, de son accumulation dans une situation qui tend à devenir permanente.

Les études nous permettent de mieux connaître les réponses hormonales au phénomène de stress. Pour accompagner la personne stressée, on ne propose ni une guidance ni un soutien.

Sur quoi agir alors ? Sur les restrictions qui touchent tout l'être :

- le niveau sensoriel qui se ferme aux signaux extérieurs,

- le niveau moteur qui se réduit au minimum vital,

- le niveau cognitif qui devient incapable d'adaptation et d'innovation,

- l'expression verbale qui se raréfie,

- le choix des stratégies qui se réduit et même, qui disparaît.

L'attitude sera donc d'ouvrir ces multiples restrictions :

- ouvrir les ressentis,

- donner à bouger, prendre conscience de ses gestes, reprendre du plaisir dans son corps,

- stimuler les capacités de réflexion, proposer des activités de créativité,

- faire parler,

- ouvrir des possibles nouveaux.

La mise en oeuvre pratique passe par trois étapes :

- multiplier les points de vue sur le sujet consultant (social, psychologique, neurobiologique, ...),

- rendre le patient participant actif de son évaluation et lui donner, en lui expliquant, les résultats des examens,

- proposer une panoplie de moyens pour en sortir (technique corporelle, atelier en groupe, psychologie individuelle) ; il choisit alors les modalités de la prise en charge et son rythme.

L'accompagnement est vu selon les métaphores musicales et culinaires comme ce qui aide à "mettre en valeur". Les professionnels proposent un cadre et laissent au malade le choix des moyens qui lui conviennent. Ainsi se co-construit une sortie de stress par interaction de rationnalités procédurales ou substantives, celle du cadre et celle du choix, celle du professionnel et celle de la personne stressée.

 

La discussion a porté sur la notion d'accompagnement, concept du passé ou concept d'avenir, appelle-t-il un changement de paradigme ? Quel nom donne-t-on à l'accompagnateur : l'animateur (? l'inséreur), le moniteur (? le professeur), le médiateur (? le psychologue).

Accompagner, c'est d'abord ne pas laisser une personne seule face à une difficulté (trouver un métier, apprendre un métier, le stress). C'est ensuite comprendre le désir de l'autre et créer des conditions qui lui permettent de réaliser son désir. C'est lui permettre de changer de désir s'il ne réussit pas ou lui apprendre à se passer de la réussite si elle n'est pas indispensable. C'est être à la fois assez proche pour comprendre et assez loin pour laisser libre. C'est ouvrir les champs des possibles sans prendre en charge car cela génère une perte de confiance.

C'est mettre en valeur le potentiel de l'autre. C'est bricoler pour trouver des réponses aux problèmes de la société. C'est ne pas occulter les difficultés, ni empêcher les changements structurels ou politiques nécessaires. C'est sortir d'un cadre qui enferme, qui génère de la folie aussi bien chez les aidés que chez les aidants par un mécanisme qui pousse à faire "toujours plus de la même chose".

La question est posée : ce changement de cadre n'est-il pas lui-même une thérapie ?

N'est-ce pas la transgression du cadre ancien qui libère et permet de trouver des alliés nouveaux ?

L'autonomie recherchée pour responsabiliser, ne risque-t-elle pas de culpabiliser ?

Et si on accompagne, ne risque-t-on pas de déresponsabiliser ?

Si on perd ses repères, on a besoin de compétence : peut-on suivre quelqu'un qui ne sait pas où il va ?

Ne doit-on pas se poser la question : contre quoi essaie-t-on de lutter ? Contre la société qui exclut au lieu de donner une place, qui instruit au lieu d'éduquer, qui stresse au lieu de mettre en valeur ?

L'accompagnement est-il le replâtrage d'un monde qui meurt ou une action complexe qui produit un nouveau type de vivre ensemble ?

En cherchant à conclure le compte-rendu, je me permettrai de regrouper les invariants repérés au fil de ces trois témoignages-exposés.

Un questionnement intense sur le concept d'accompagnement mot à la mode, ce qui peut vouloir dire que "la réalité derrière est bien malade". Convient-il d'être devant (je guide), derrière (je suis), à côté (je suis avec) ? (ce qui induit en moi la phrase pastiche "je guide, donc je suis") Convient-il d'aider, d'établir une médiation, de co-construire un cadre et des nouveaux possibles, de mettre en valeur, de motiver en même temps l'accompagnateur et l'accompagné ?

Parler d'accompagnement, c'est parler d'insatisfaction par rapport à une pratique traditionnelle, c'est déjà faire autrement.

"Non à l'exclusion et Non à l'insertion".

"Non à l'instruction et Non à l'enseignement monodisciplinaire".

"Non à une société qui stresse et Non à une société qui dédommage sans informer".

C'est sur une rupture, une transgression, un non qu'ont émergé les trois expériences présentées.

Une rupture qui débouche sur la création d'un nouveau cadre, non pas éphémère mais durable qu'on s'efforce autant à maintenir qu'à faire évoluer.

Accompagner c'est travailler avec le temps, c'est se donner du temps surtout là où c'est urgent, parce que c'est urgent.

Accompagner, c'est reconnaître et fertiliser nos ignorances, c'est découvrir les limites de notre expertise sur le terrain, ce qui nous invite à apprendre sans arrêt et à inventer. C'est toujours reconnaître la singularité des personnes, des situations et des réponses sous l'universalité des questions et des valeurs.

 

 

 

 

Espace 3

 

Rapporteur : M. Lani-Bayle, Université de Nantes, Transform’.

 

 

Un seul intervenant, Bruno Tricoire, était présent lors de cet atelier, ce qui lui a laissé plus de temps pour présenter sa contribution sans pouvoir ouvrir de débat avec Roger Declerck, empêché.

Présentant les missions de Kairos, association répondant initialement à des demandes de formation dans le champ du travail social, Bruno Tricoire a fait part de changements fondamentaux qui amènent maintenant son service à redéfinir son projet car étant, de plus en plus, sollicité par les institutions pour mener une réflexion dans le cadre d'un accompagnement au changement.

Pourtant la demande, souvent indéterminée, est rarement énoncée clairement comme cela. Ce qui est manifeste, c'est plutôt un décalage entre son énoncé explicite et ce qu'elle révèle implicitement. Les protagonistes en jeu sont les destinataires (qui ne sont pas toujours les demandeurs) ; la commande (qui n'émane pas toujours de l'institution sur laquelle va porter l'action) ; et Kairos, sollicité officiellement comme intervenant dans un objectif de formation. Les décalages créent alors pour Kairos un dilemme permanent, entre répondre à une situation-problématique, ou répondre d'une situation-problématique. Cette réponse est à distinguer de la responsabilité engagée.

Les modèles de référence des finalités d'accompagnement proposés alors se rattachent au constructivisme c'est-à-dire à une conception de la médiation, et non au positivisme comme expertise. Il s'agira donc de jauger de leur pertinence et de leur utilité en situation : l'intervenant a des obligations (et non des exigences) à l'égard des personnes, il est leur obligé (ce dont l'expert se dispense, cela n'étant pas pertinent pour lui). En effet, celles-ci sont capables de penser des choses par rapport à ce que l'intervenant veut pour elles, et ce qu'il proposera aura des effets durables dans leur existence. Ainsi n'y a-t-il pas d'expert dans l'accompagnement social, et l'accompagnateur est confronté en permanence à ce qu'il ne sait pas, c'est sur cela qu'il doit s'appuyer pour travailler, situation particulièrement inconfortable.

Bruno Tricoire a fait part ensuite d'un souvenir douloureux, vécu comme exténuant, "que je ne voudrais pas revivre", avoue-t-il. Trois heures de silence où la seule expression est que les gens restent, trois heures de non-dit pour dire que l'on ne se sent pas entendu, trois heures où l'on tente d'aller jusqu'au bout sans savoir le bout, trois heures pour montrer que l'on ne veut pas de vous, vous voyez bien... L'expert alors dirait : "OK, j'ai compris, mais puisqu'on est ensemble, négocions." Le médiateur entend le silence et le respecte en n'intervenant pas, ainsi contribue-t-il à la conscientisation du dilemme. Il ne peut partir, ce qui reviendrait à fuir la situation et à nier la commande. Mais de celle-ci il doit restituer quelque chose en répondant de la situation. Dans l'incertitude totale il prit ici rendez-vous avec la direction, et la saisie inopinée d'un "moment opportun" lui permit de retourner la situation d'une façon totalement imprévue et imprévisible. Le lendemain, c'est la directrice elle-même qui a "accompagné" l'accompagnateur auprès du groupe, par un retournement qui a contribué à dégeler la situation.

Il faut donc à la fois savoir se préparer et pouvoir abandonner sa préparation, savoir renoncer. Pour cela, la "négociation cognitive" a une part importante, qui permet une connaissance mutuelle avec demandeurs et commanditaires, et procure des repères méthodologiques essentiels. Toute défaillance dans cette négociation (par paresse, intérêt...), expose à retrouver le refoulé comme symptôme dans le vif de l'intervention.

La première question de la salle a repris l'idée de démocratie cognitive, sans que personne ne sache à qui (un Américain ?) en attribuer la paternité. Puis la fonction de l'erreur a été posée. Comment en tirer parti, comment atteindre l'enseignabilité de ce que l'on fait, comment transférer ces compétences acquises par l'action ? N'y a-t-il pas plus de retour d'expérience à partir des erreurs qui apportent des informations nouvelles, qu'à partir des succès ? Les erreurs génèrent en effet un effet-rebond qui ressource et oriente vers des stratégies futures...

Mais Bruno Tricoire ne réfléchit pas ces situations en termes d'erreur, puisqu'il n'y a pas de modèle préétabli (pas d'expertise). L'accompagnement se situe toujours dans une zone d'entre-deux, comme dilemme ou indécidabilité. Les deux choix sont toujours également possibles, ce qui confronte chacun à son insu, à ce qu'il ne sait pas. Il s'agit donc d'une tentative fatigante de rester fidèle aux possibles, à ce qui nous échappe, où il faut rester consistant alors que l'on vit dans l'inconsistance. Ce que cela apprend, c'est que l'on peut travailler à partir de ce que l'on ne sait pas, aller vers un possible à créer avec l'autre. Pour autant il y a à savoir, il en est qui cherche à tout embrasser (cf. les voyages de Michel Serres).

La notion d'"improvisation réfléchie" de F.V. Tochon appliquée à l'enseignement a alors été proposée par André Geay, mais on n'a pas toujours la capacité de prendre le risque de l'assumer dans un tel cadre (ce qui pourrait faire perdre la convention). C'est pourquoi l'on se réfugie souvent dans le modèle de l'expert (sauf à considérer, comme Francisco Varela, que l'expert c'est le bébé, pensai-je). Où passe donc la contradiction ? Elle est transférée ailleurs, vers les modèles les plus faibles de l'institution interprétés alors comme symptômes. Il convient donc d'être vigilants. Mais le dilemme ne comprend pas de réponse prescrite et savoir qu'on ne sait pas est déjà savoir quelque chose, insiste Bruno Tricoire.

Je n'oublie pas, ajoute-t-il, que je prends une place de maîtrise, une place de réponse, même si pour cela je dois prendre sur moi et tâcher de ne pas m'y installer. Comme le dit Woody Allen, la réponse est oui. Mais quelle est la question ? Il s'agit d'assumer un supposé savoir (il y a une fiction) comme le médecin, tout en ne trichant pas, et c'est très contraignant. Une véritable démarche de sage, alors... (que j'associe, du silence de ma fonction de rapporteuse, au pas-sage).

Maintenant, on lie connaissance et action. Avant, la connaissance se développait dans l'harmonie indépendamment de l'action. On jouait son savoir-être sans relation avec le savoir actionnable. Dans la confrontation à l'humain on parle de savoir de médiation, qui relève plus d'une connaissance de l'intérieur que de l'actionnable, ce qu'aucun savoir technique ne permettrait par rapport à un individu lambda, instancié.

Sont-ils tellement opposés, demande alors André Geay ? C'est une question de démocratie. Pour décider d'un barrage, on a besoin d'un expert, c'est la finalité qui préside au choix, mais pour la construction de ce barrage-là, une fois décidé. En amont, pour la décision de la construction par rapport à l'économie et à l'avenir de la région, il y a besoin d'un médiateur. Il apporte un consentement éclairé, il choisit en fonction de multiples critères.

La fameuse troisième voie est alors invoquée, celle qui prend place d'un principe supérieur entre la moitié qui dit non et la moitié qui dit oui. Il s'agit de provoquer une cohérence entre la connaissance pour agir, et celle pour être en harmonie.

Le groupe a terminé sur l'éloge du vide et évoqué le dictionnaire de l'ignorance dressé par les sciences dures. On saute en une fois au-dessus d'un gouffre, a-t-on entendu avec lucidité, il faut rester dans le lâcher-prise.

Mais par dessus tout, on manque de connaissance du vide.

 

 

En résumé, Bruno Tricoire a voulu essentiellement pointer la différence fondamentale entre accompagnement et expertise, même et surtout si la demande officielle d'intervention est d'une forme d'expertise. Il s'agit donc de décoder cette demande au-delà de son expression, et de traiter avec l'incertitude et le non-savoir reconnus qui caractérisent la fonction d'accompagnement : celle-ci ne se décrète pas dans l'avant-coup et se dévoile en se faisant, parfois avec des décalages, délicats à assumer.

Soucieux des mots et de leur usage, Bruno Tricoire nous a invités à les écouter avec attention, quêteur de sens à renouveler au-delà des habitudes sécurisantes un rien figées des prêts-à-penser qui circulent dans l'erre du temps. Nous avions perdu Madame Freud que Roger Declerck nous incitait dans son résumé à ne pas oublier, en invitant à un accompagnement international au long cours : "y aura-t-il des Madames Freud qui pourront accueillir, partager les expériences des solitaires temporaires ?", questionnait-il. Nous avons entendu cette solitude et ressenti ses interrogations fondamentales à travers le récit d'expérience proposé par l'intervenant de cet atelier, rendu solitaire par l'absence de ce co-intervenant mettant ainsi en acte son texte.

Ce dont je joue reconnaît le flûtiste, c'est du vide avec des trous.

 

 

 

Espace 4

 

  1. Peyré : " La notion de connaissances actionnables en situation d’accompagnement : entre le savoir et l’action, construire ses attitudes "

Rapporteur : M.Monroy, Psychiatre.

Philippe Deshayes, directeur adjoint de l’Ecole Centrale de Lille, nous a parlé d’une réévaluation de la pédagogie qui a été menée dans cette Ecole pendant quelques années, avec la particularité que le but de l’opération n’était pas défini, et que la synthèse réalisée s’était révélée un échec.

On a donc adopté une autre méthode : créer le réel selon la démarche de chacun.

L’intervenant a retracé quelques éléments-repères, dont il a précisé que n’étant pas forcément transférables, ils ne constituaient pas des savoirs actionnables dans une autre situation de créativité.

Au nombre de ces repères donc figurent : la multiplicité de ses actes, fonctions, rôles, " unitas multiplex " , à lui, comme intervenant ; mais aussi conception et élaboration plurielles des rôles de chaque acteur, étudiant, enseignant, directeur, rendant floue la frontière accompagnant/accompagné ; enfin pluralité temporelle, réintroduisant l’aléa et le fortuit comme un élément de transformation inopinée du processus.

 

Pierre Peyré, pour l’heure Professeur en Sciences sanitaires et sociales à l’Université de Pau, a retiré de ses multiples expériences et fonctions dans ce secteur, 3 dimensions pour l’accompagnement : empirique, scientifique, opérationnelle.

De la dimension empirique, il retient l’incertitude des résultats ainsi que l’incomplétude des dispositifs institutionnels, qui font à eux seuls échouer un projet où accompagnant et accompagné réussissent !

Dans la dimension scientifique, accompagnateur, accompagné, accompagnement, et produit de l’accompagnement sont inséparables. Comment dès lors penser l’accompagnement d’un point de vue épistémologique, l’articulation entre le savoir et le faire ? Sait-on toujours ce qu’on fait, et fait-on toujours ce qu’on sait ? Dans quelle mesure ces 2 paramètres s’enrichissent-ils et s’opposent-ils dans la pratique ?

La dimension opérationnelle a ouvert le débat avec l’assistance : l’accompagnement trouve-t-il en lui-même sa propre finalité ou n’est-il qu’un moyen ? Pour Pierre Peyré, il ne peut se constituer en objectif, d’où la difficulté qu’éprouvent les praticiens à le modéliser. Ce qui donne quand même naissance à 2 types de praticiens : ceux axés sur la modélisation, et ceux axés sur la personne.

C) Repères dans la construction de cognition collective

 

 

Espace 1

A. Colas : " Conditions pour actionner une connaissance collective "

Rapporteur: A.C. Martinet, IAE de Lyon 3, Directeur d’Euristik (CNRS 5055).

 

L’atelier a permis d’entendre A. Colas (expert facteurs humains, parc nucléaire EdF) sur le thème " Conditions pour actionner une connaissance collective " et M. Mack (Transformance) sur " le dialogue exploratoire : processus prometteur de cognition collective ".

* A. Colas retrace l’évolution d’un processus descendant où la compétence - mieux que connaissance car l’engagement est fort - est considérée comme devoir être transférée à des opérateurs censés en être dépourvus, vers une situation actuelle où il est impératif de prendre en compte les compétences de ces opérateurs qualifiés, conscients des risques et impliqués. D’où la nécessité d’adapter le management dans le sens de l’écoute, de la compréhension, de l’abandon du déni de compétences de la base comme du déni de risque chez les conducteurs de réacteurs.

Dans ce contexte, l’auto-diagnostic est capital pour que, sur site, soient analysées les situations et proposées les solutions. Les modes de fonctionnement " tribaux " ou " claniques " classiquement dénoncés par les superstructures doivent à cet égard être plutôt reconnus puisqu’ils constituent une part de la connaissance collective.

 

* M. Mack remarque, en tant que consultant, le fort regain d’intérêt pour le dialogue depuis Niels Bohr et les travaux récents de Peter Senge et Bill Isaacs au MIT sur l’entreprise apprenante.

Il rappelle les quatre temps du cycle d’apprentissage et de création de valeur : perception d’opportunité ==> développement de solution ==> diffusion de la connaissance ==> intégration et intériorisation de cette connaissance, en le resituant par rapport aux critères de codification et de diffusion de la connaissance.

Il présente son expérience des groupes de dialogue : 15 personnes en cercle qui développent quelque chose qui se rapproche de l’orchestre, à charge de respecter des " règles du jeu " (pas de critique, parler au centre du cercle, générer une énergie circulaire...), et le rôle de l’animateur qui donne le ton, donne forme aux idées, voit ce qui est en train de s’ébaucher.

Le dialogue permet d’explorer le non encore connu, de créer des visions et connaissances partagées, d’expliciter des schémas mentaux, de développer une intelligence collective.

 

* Le débat permet d’aborder le problème du langage, A. Colas confirmant que 37% des difficultés sont dus dans des systèmes complexes à des incompréhensions de communication opérationnelle, le " jargon " s’il est partagé pouvant être utile.

Apparaît aussi la dialectique retour à la règle / interprétation autonome, en particulier s’il y a stress. Là encore, il semble important qu’une situation vécue puisse être débattue en oubliant les positions hiérarchiques. La détection des erreurs repose largement sur l’organisation et donc la compréhension explicitée des situations à partir d’échanges inter-sectoriels (avec les Compagnies aériennes par exemple).

Sont aussi largement évoquées les conditions du dialogue : suspension des codes et a priori mais règles du dialogue, échange silencieux d’Herodote (on dépose au centre du cercle pour que quelqu’un s’en empare et laisse autre chose en contrepartie), écoute, silence, bienveillance...

Diverses questions s’intéressent aux situations de démantèlement des centrales nucléaires qui constituent un nouveau métier, à la distribution dans l’entreprise du tribal et du clanique et aux relations entre la socialisation et l’explicitation que crée le dialogue.

 

 

 

 

Espace 2

 

Rapporteur : E.Biausser, Journaliste.

 

La construction automobile veut sortir de l’approche fonction, et la remplacer par une approche-système réintroduisant du sens à chaque étape.

Raymond Gonard, Sous-directeur de la Recherche à PSA Peugeot-Citroën, a illustré cette finalité par les innovations instaurées au niveau du produit, des modalités et des buts qu’offre sa société par ailleurs en pleine agitation créatrice.

Pour considérer l’automobile comme un système en rapport avec son environnement, PSA a créé un  plateau de créativité , où la phase de délibération convergente est passée de 5 à 3 ans. Ensuite, la phase d’innovation s’est organisée en projet, ce qui permettait déjà de partager une vision élargie.

Mais plus de transversalité encore s’avère nécessaire figurée par une organisation en réseaux. Deux expériences l’incarnent. Un système de veille technologique par réseaux, mixant 120 domaines de compétences ; et le choix d’une vingtaine de thèses par an, réalisés par des conseillers internes, construisant de nouveaux liens dans l’entreprise en même temps que l’esprit de réseau. Le réseau devient ainsi le troisième axe du dispositif, qui, croisé avec la hiérarchie et le projet, amplifie l’innovation. Un cycle de conférences la complexité complète l’ouverture au changement.

 

Comment faire pour que les ingénieurs soient autre chose que des ingénieurs ? !

Derrière cette question repose tout le procès à ces formations vers un métier que l’on veut adapté à une réalité pour l’instant inconnue.

Régis Ribette, professeur honoraire au Conservatoire National des Arts et Métiers, a retracé le fruit d’une commission de réflexion qui a travaillé 2 ans sur la formation d’ingénieurs. Afin que ceux-ci se transforment en " pilotes de systèmes complexes ", il convient d’optimiser, outre leurs savoirs techniques, leur valeur humaine et culturelle. Ce changement de regard sur la profession s’accompagne bien entendu d’une modification des méthodes, auxquelles ont souscrites certaines écoles. Le système s’articule autour de l’échange d’expériences et d’une action en réseaux, il est décliné dans une charte-projets " relative au développement du Génie des processus de l’Innovation ". L’hypothèse de départ est que la construction de repères est d’abord individuelle, et que les nouveaux ingénieurs doivent intégrer par un travail sur soi la dialectique entre dynamique personnelle et dynamique collective.

Le public a ensuite questionné deux aspects prolongeant les informations données : la formation des ingénieurs et les valeurs qui les animent.

Concernant la formation, les critiques sont sévères : par minimisation des interactions diverses composant un projet, la complexité s’est retrouvée purement et simplement annulée. Sous l’image de l’ingénieur le spectre de la société industrielle et de ses carences n’est jamais loin. On a donc évoqué la " production d’exclusion " en sécrétant un savoir non régulé socialement. L’innovation ne semble toujours que technique, et l’on s’interroge sur sa valeur citoyenne ajoutée… Quant aux formations de l’être, elles apparaissent à certains que comme des couches superficiellement rajoutées aux modes cognitifs rationalistes, et non véritablement transversales.

Les réponses des ingénieurs ont mis en avant la construction lente et difficile d’un changement paradigmatique. En fait, tout un chacun voudrait une grille codée pour répondre à l’avenir…Elle n’existe évidemment pas, les modèles sont caducs, et la bonne pédagogie semble être celle qui laisse à l’apprenant le choix de son chemin, et sa propre durée, au sens bergsonien. C’est un véritable parcours apprenant que la formation d’ingénieurs, avec ses tâtonnements inévitables. En ce qui concerne les choix de société, quelqu’un a cité son expérience d’aménagement de locaux pour handicapés, qui en demandant de tout repenser pour que le plus démuni soit intégré, permet un changement de regard réconciliant la société de production et la société à visage humain.

Et faisant une association avec les circuits détournés du Parc de Versailles, qu’un participant rapprochait du parcours des ingénieurs, la conclusion a cheminé vers l’idée que si le parcours est long et complexe, c’est peut-être qu’on ne peut pas y arriver autrement…

 

Espace 3

 

Rapporteur : J.Miermont, Psychiatre.

 

NB : Pour ce Dossier qui se veut être un élément de mémorisation collective des échanges du Grand Atelier, J. Miermont a préféré nous communiquer l'ensemble des notes qu'il a prises au cours de cette séance plutôt qu'une synthèse des discussions, forcément réductrice, chacun ayant ensuite la possibilité de se construire sa propre synthèse à partir de ces notes.

Dominique Pagès

Coredge : filiale du groupe INSEP Management. Praticienne d'entreprise, consultante. Pilotage de projets. Entreprise de grande taille : 10 milliards de chiffre d'affaires.

Nouvelles technologies de l'information. Expérimentation dans le cadre de France Télécom.

Ingénierie de la connaissance. Mettre ensemble :

- idées, impressions, intuitions,

- envies, motivations, passions.

Utopie du " cerveau collectif ", du réseau neuronal.

Mission de l’entreprise : gérer le trafic du réseau public, l’améliorer par la voix, les images, les sons.

Construire un Intranet s’intégrant dans une démarche de qualité totale.

Système de capitalisation des connaissances, volonté politique de créer et de développer une culture à partir de ce réseau Intranet.

Stratégie de l’entreprise : souci de cohérence.

Plusieurs phases :

1/ partir des acteurs avec leurs espoirs, leurs attentes

- besoin d’information sur le passé et le présent mises en perspective de l'avenir

- réflexion sur l'outil à construire, où intervient une part de rêve

2/ approche par les usages :

- faciliter la recherche d'information

- développer une communication collective

- effets de socialisation : mémoire collective, définir qui fait quoi, dans quel but, etc.

3/ qualifier un certain nombre de thèmes

4/ réaliser des Forums

- réaliser un Forum acheteur en vue de l'appropriation de la fonction " acheteur " par les diverses unités de travail.

- réaliser un Forum des manageurs : créer de la complicité, fondée sur une communauté de milieu.

Site Intranet de la Division : triple objectif :

- fédérateur,

- identitaire : pédagogique,

- intégratif : lieu d’intégration des sites et des forums.

5/ Phase d’organisation et d’animation du dispositif :

- fonction d’intermédiation entre l’offre et la demande, sur un plan qui n’est pas seulement technique,

- mixte nouveau de compétences : écoute, ouverture, animation,

- outil méthodologique qui donne des règles précises : partitions : projets - processus - news - métiers et équipes

- DVRN

C’est l’individu, la personne qui est le terrain, le support de la connaissance collective, permettant le transfert de connaissances.

 

Jeanne Mallet

Développement et apprentissage des personnes.

Transformation dynamique des personnes et des organisations , des construits sociaux.

Cognition collective, organisation apprenante : propriété émergeante.

Thème plus que jamais d’actualité : situation instable, dynamique et changeante.

Evolutions technologiques, outils de communication qui créent des opportunités nouvelles de mise en réseau de personnes distantes, des modalités de changements compétition-coopération

Quelque chose qui prend vie dans le temps.

Agression des collègues : " a-t-on le droit de parler d'apprentissage au niveau collectif et organisationnel ? "

Question et réflexion : comment se fait-il qu'une telle démarche ne fonctionne pas si mal ? On remarque l’existence de freins : ceux-ci l’emportent dans les organisations qui meurent de ne pas savoir participer à de nouvelles modalités d'échanges et d'apprentissages. Ce n’est pas un problème d’érudition : il s’agit de sauter le pas entre l'adhésion intellectuelle et la mise en acte.

Freins épistémologiques ancrés dans une difficulté à être au monde, à partager le leadership. Même si les modèles apparaissent valables, les gens informés semblent incapables de passer à l’acte, de les réaliser.

Questions ouvertes :

- Passage de la cognition individuelle à la cognition collective : s’agit-il du même ordre de phénomènes ?

- Peut-on s’inspirer de la linguistique pour appréhender ce méta-niveau ?

- Comment faciliter cette cognition collective ?

 

Béatrice Vincent, Claude Alia

Connaissances actionnables

Développer des systèmes complexes (Société Airbus)

Stimuler des processus de cognition collective

Préparation des concours (agrégation d’économie)

Management des entreprises et des organisations

Gestion sur Internet

Public particulier : hétérogène, manquant d’informations, ayant besoin d'auto-évaluation, cherchant un terrain d'entraînement.

Exigences multiples :

- niveau de connaissances élevées,

- approche critique,

- savoir communiquer : présenter une problématique, soutenir une argumentation, répondre aux questions.

Les candidats apprennent en faisant ensemble ; cadre théorique et conceptuel :

- concevoir et mettre à disposition un support composite (qualités spécifiques),

- passage d’une conception linéaire à une conception simultanée.

Outils pédagogiques :

- Classes virtuelles,

- Documents actifs d'apprentissage.

Outils de support :

- Internet,

- Hypertextes,

- Bases de données.

Fournir des supports de travail :

- par l’intermédiaire d'un forum : la solution trouvée n’est pas toujours commune

Superviseur qui pilote les groupes :

- groupes homogènes : mêmes difficultés, mêmes problèmes,

- groupes hétérogènes : peut-être plus motivants, plus efficaces.

Cognition collective :

Documentation, à partir de procédés actifs d’apprentissage : passage du document initial à un hypertexte généré.

La cognition collective n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît : apprentissage par essais-erreurs, en essayant d'avoir l’adhésion volontaire des participants.

Ce système reste une vaste question : étoiles filantes : on n¹a pas encore la queue de la comète.

Discussion animée

Jeanne Mallet souligne la difficulté des échanges.

Dominique Pagès remarque que l’on construit le chemin en marchant.

Georges Lerbet critique la notion de cognition collective, en soulignant sa valeur analogique relative : dans les faits, ce sont toujours des personnes qui apprennent.

Jeanne Mallet reconnaît qu'il s'agit d’un champ balbutiant : est-ce que des sujets en interaction peuvent donner vie à quelque chose qui se situe à un niveau "méta" ?

Béatrice Vincent souligne qu’elle n'a jamais "vu" de cognition collective.

Jacques Miermont suggère l’hypothèse d’épistémès propres à chaque groupe d'appartenance (familles, entreprises, nations, mondes culturels, etc.).

 

 

Espace 4

 

E. Andreewsky : " Langage et construction de cognition collective "

Rapporteur : J.F. Lemettre, Université de Versailles.

 

L’organisation de cet atelier offrait la confrontation de deux approches différentes de la cognition, l’une très conceptuelle et méthodologique, l’autre partant d’une application particulière. La discussion qui a suivi leur présentation a permis d’en tirer des enseignements communs.

1 Le premier exposé était proposé par Mme Evelyne Andreewsky, directrice de recherche à l’INSERM, et portait sur "langage et construction de cognition collective".

Le langage est posé comme "une connaissance collective actionnable par tout le monde". Tout individu y a accès, même si les différents individus n’y ont pas un accès égal. Le langage s’inscrit parmi les registres cognitifs (au sens de Forster) par lesquels s’expriment la pensée et le lien social.

La construction du mot et celle de la phrase dans laquelle il s’inscrit accompagnent celle de la cognition de l’individu dans un processus récursif. " La cognition se reflète dans le mot comme le soleil dans une petite goutte d’eau " [Vygotsky, 1985].

Peut-on alors parler de cognition collective ? C’est ce que propose Evelyne Andreewsky, et qui sera contesté dans d’autres ateliers. Elle retient le postulat d’un quasi-sujet collectif dont la cognition se construit et se reflète dans cette connaissance collective qu’est le langage. Ainsi semble-t-elle vouloir inscrire en contrepoint des individus un collectif qui est plus que chacun d’eux.

Comme la cognition individuelle, la cognition collective se construit " en contexte ", c’est-à-dire à partir d’un objet et dans une relation à une identité collective.

C’est pourquoi la métaphore d’un langage formé de briques que seraient les mots et les règles de syntaxe et de grammaire ne lui parait pas adaptée. Une même phrase prend des sens différents selon le contexte dans lequel elle est prononcée. Ainsi l’expression " il vaut mieux donner que recevoir " ne signifie-t-elle pas la même chose selon qu’elle est prononcée par un prêtre en chaire ou par un entraîneur sur un ring de boxe.

E. Andreewsky lui préfère la métaphore de la résonance comme signifiant " on est sur la même longueur d’onde " ou " on se comprend à demis mots ". La cognition collective se forme, dans un contexte défini, à partir d’un objet qui amplifie le sens des mots ou leur donne un sens particulier. Le mot et la phrase prennent leur sens à partir des interactions individuelles autour d’un objet commun.

L’exemple des groupes de créativité, de brain storming, ce qui se réalise dans le Grand Atelier du programme MCX en sont l’illustration.

 

2. L’intervention de M. Benoît Journé, qui achève une thèse au Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique, avait pour sujet : " relève et briefing dans les centrales nucléaires ". Il y analyse deux moments complémentaires d’information dans le fonctionnement des salles de contrôle.

La relève permet des échanges entre " pairs ". Chaque membre de l’équipe sortante communique les informations sur les événements qu’il a connus pendant le poste qui s’achève et transmet les consignes. Le risque de perte d’information est alors important. Le briefing a pour objet de le limiter. Il intervient 20 minutes après la relève, quand l’équipe sortante a décanté les événements du poste et l’équipe entrante pris possession de la salle de commande. Tous les membres de l’équipe sortante apportent alors l’information à l’ensemble de l’équipe entrante. L’information transmise entre semblables s’élargit à celle transmise entre différents. Alors que la relève consiste pour l’essentiel en une communication unilatérale des sortants vers les entrants, le briefing est un moment de discussion et d’échanges qui peut révéler des questions ou des incidents qui n’ont pas été évoqués pendant la relève.

 

3. La discussion qui a suivi s’est d’abord organisée autour du thème de la résonance proposé par Evelyne Andreewsky.

Michel Monroy l’introduit par une comparaison entre thérapies familiales et pratiques sectaires. L’une et l’autre se construisent autour de fictions, de langages, de résonances construits. Mais elles présentent des différences :

Cette proposition articulant langage, objet et contexte dans la formation de la cognition est suivie de plusieurs interventions. E. Andreewsky évoque " l’effet Oedipe " comme prophétie auto-réalisatrice : Le résultat global obtenu résulte de la prédiction de résultat. L’attente (espérée ou crainte) de ce résultat structure le processus d’activation du langage.

Sur la résonance Bruno Philippe répond à une question posée sur son expérience de musicien. Dans un orchestre les musiciens ne s’entendent pas individuellement. Quand l’un d’eux change sa façon de jouer, les autres entendent et infléchissent leur propre jeu. C’est le résultat d’ensemble que chaque musicien entend.

 

4 A la question de la résonance cognitive dans la séquence relève-briefing, Benoît Journé répond qu’elle est plutôt standardisante autour des règles, notamment des règles de sécurité, qui ordonnent le contrôle des centrales nucléaires.

Les règles dans une centrale sont très strictes et n’accordent qu’une liberté faible aux individus. Elles concrétisent des décisions prises ailleurs et leur respect exonère les opérateurs du stress. Par exemple, face à un dysfonctionnement la sécurité prime sur le reste. On peut donc prendre le temps nécessaire au détriment éventuel de la productivité et du résultat économique.

Dans un dispositif aussi complexe qu’une centrale nucléaire les règles sont nécessaires pour rendre les individus substituables. Les processus et la sécurité ne peuvent dépendre de connaissances individuelles mais nécessitent des savoirs collectifs.

B. Journé revient sur le thème de la confiance, abordé la veille. La règle est d’autant mieux acceptée et respectée que ceux à qui elle s’impose ont confiance dans ceux qui les édictent. C’est le cas dans une centrale nucléaire où les subordonnés reconnaissent une compétence technique et des savoir-faire à leur encadrement. La forte composante technicienne de ce dernier facilite selon lui cette confiance. Doit-on en conclure à sa suite qu’elle est ce facteur amplificateur de la résonance ?

 

D) Qu’est-ce qu’un repère

pour l’intervention délibérée en situation complexe ?

 

 

Espace 1

 

R. Delorme : " Agir en situation complexe "

Rapporteur : B. Tricoire, Directeur Kairos, psychologue cogniticien.

 

 

CE SERAIT COMME UN TRAVAIL D’ARTISTE…

Ainsi pourrait commencer l’histoire racontée par A.C. Martinet et R. Delorme et sa possible actualisation "stratégique" ou "économique" : l’acteur est inséparablement l’auteur incertain d’un texte qui s’écrit dans l’acte de sa représentation, d’un con-texte donc.

 

 

DES REGLES DE L’ART

Si l’histoire est interactive, procédurale, situationnelle – et donc relative et contingente - elle n’en est pas moins finalisée par la production d’un sens, d’une utilité. Elle engage donc l’intervenant dans ses suppositions axiomatiques, dans ses modélisations et dans ses actes, au sein d’une "Ethique des situations" (A. Badiou). C’est à expliciter l’état de leur art, et donc à prendre le risque d’affirmations "infondées en preuve" que s’attachent A.C. Martinet et R. Delorme pour rendre compte d’une intelligibilité et d’une pertinence "stratégique" et "économique".

D’UNE EMERGENCE

"… n’allons pas croire que l’obtention de la simplicité soit elle-même simple…"

Ce propos d’A. BADIOU exprime avec justesse l’exigence et la modestie d’A.C. MARTINET et de R. DELORME qui tentent de "penser selon le réel de la situation" plutôt que de "faire la leçon au réel".

 

Aussi s’accordent-ils sur la nécessaire "liaison du su par l’insu" (A. Badiou) qui implique de "maîtriser la volonté de maîtrise", et sur l’affirmation naguère posée par J. Jaffelin : les concepts et les modèles ne sont des tableaux de rien ; ils n’ont de sens et d’utilité possibles que rapportés aux "projets humains de transformation" qui les fonde.

 

Espace 2

 

G.Y. Kervern : " Recherche d’une axiomatique de l’actionnable "

J. Miermont : " Jusqu’où pouvons nous délibérer en situation complexe ?"

Rapporteur : F Sereni, Sciences de l'éducation, Université de Tours.

 

 

Cet atelier devait mettre en débat les contributions de J. Miermont et de Georges-Yves Kervern. En l’absence de G.Y. Kervern, c’est Jean-Louis Le Moigne qui s’est fait porte parole de sa contribution, demandant aux participants de bien vouloir réagir à son texte et lui faire part des questionnements qu’il leur semble soulever.

C’est tout d’abord J. Miermont qui a exposé ce qui lui semble pouvoir constituer des connaissances fonctionnant comme d’éventuels repères pour délibérer une action en situation complexe (" Jusqu’où pouvons-nous délibérer en situation complexe ? "). Il a tout d’abord précisé en quoi le contexte particulier du médecin thérapeute familial met de facto dans la complexité : contexte de l’élaboration des connaissances dans sa discipline (la médecine psychiatrique étant à la fois multi-trans-inter disciplinaire), et contexte des situations interpersonnelles que les familles où se joue de la maladie mentale imposent aux médecins, et articulation de ces deux contextes. Il y aurait même comme une impossibilité à construire une quelconque intelligibilité universelle de la maladie mentale, puisque - d’une culture à l’autre, les signes d’identification sont différents, - la reconnaissance de processus inconscients, qui créent des dysfonctionnements graves, amènent à concevoir des interventions qui doivent tenir compte de processus qui ne sont pas de l’ordre du délibératif.

Néanmoins, J. Miermont propose un repérage à partir d’un triptyque qui permet d’interroger les situations relationnelles complexes et d’y intervenir :

J. Miermont a prolongé l’axe épistémique par une formalisation qui peut être opérationnelle en termes de " matrice des états cognitifs ". En fonction des processus de " conscience ", " volonté " et " intention ", repérés comme positifs ou négatifs, on pourrait envisager d’appréhender d’une manière plus fine la façon dont on peut coopérer.

Il a enfin évoqué la possibilité d’un repérage qui prendrait plus délibérément appui sur l'organisation temporelle des personnes, la façon dont chacun, individuellement et en groupe, investit son rapport au présent, au passé et au futur, pouvant aider à construire sa délibération pour intervenir en situation complexe.

 

Jean-Louis Le Moigne a ensuite pris la parole pour nous transmettre le texte de G.Y. Kervern : " Recherche d’une axiomatique de l’Actionnable ". Le fondement de cette contribution est le suivant : si nous considérons que l’axiomatique aristotélicienne n’est pas exactement pertinente pour penser ce qui relève du complexe, et particulièrement du complexe action /connaissance, essayons de formuler une axiomatique nouvelle pour fonder notre réflexion dans le paradigme constructiviste. G.-Y. Kervern développe ainsi successivement 8 axiomes de l’épistémologie constructiviste des Réseaux, 5 axiomes de la rationalité collective à l’oeuvre dans les réseaux, 7 axiomes qui fondent la cyndinique (science du danger). Ces axiomes constitueraient donc les nouveaux axiomes, repères, sur lesquels nous pourrions nous appuyer pour construire nos interventions, nos rencontres, notre intelligibilité, bref notre référent constructiviste de pensée individuelle, socialisée et socialisable.

Enfin, il nous propose 6 axiomes de l’actionnabilité, destinés à outiller, baliser, expliciter les nécessaires aller-retour entre connaissance et action :

    1. Axiome du champ d’action
    2. Axiome du champ des connaissances
    3. Axiome de précaution (qui renvoie aux " seuils " admissibles pour définir une action)
    4. Axiome de la validité du champ des connaissances
    5. Axiome de la durabilité de l ‘action
    6. Axiome de la nocivité de toute action.

Le débat a été riche, animé, parfois même franchement virulent. Il a mis en question le fait de savoir si un diagnostic est un champ de connaissance, ou, plutôt, à quoi il sert dans le champ des connaissances, puisque dans le champ de l’action, il se révèle éventuellement contre-productif....A moins qu’il ne fonctionne comme " ritualisation " pour le médecin. J. Miermont a également été sollicité pour apporter des précisions concernant sa " matrice des états cognitifs ", et les articulations entre ses différentes composantes.

Une discussion s’est ensuite ouverte, qui opposait les perspectives de l’action/connaissance par résonance (cf. M. Elkaïm) et par raisonnement (en référence par exemple à W. James, ou à Dewey), discussion résumée par une question considérée comme faisant partage : reconnaissons-nous ou non l’existence de l’inconscient ?

Les propos de G.Y. Kervern sont apparus comme peut-être trop linéairement présentés : l’idée de succession et d’ordre qui accompagnent sa formalisation ont été discutés, et il semble que ce qui est en jeu fait aussi intervenir de la récursivité, du bouclage, entre ces axiomes. Formaliser une axiomatique dans le paradigme constructiviste pourrait peut-être signifier d’inventer une autre représentation que celle opérationnelle dans le paradigme disons positiviste, où la séparation stricte est de mise.

Enfin, une discussion très vive à propos du film " Douze hommes en colère " a clos cet atelier : comment chacun de ces hommes a-t-il délibéré ? Comment ensemble ont-ils délibéré ? Sur quels ressorts individuels et collectifs s’est appuyée la décision du groupe ? Y avait-il intention, volonté d’accord, ou, à un moment donné, lassitude, pression insupportable, qui amènent finalement à " trancher " sous forme de décision pour l’action, en tenant au fond assez peu des arguments rationnalisés précédemment débattus. Heureusement, malgré tout notre acharnement et toutes nos connaissances en action, on ne sera jamais sûr de savoir, au fond, ce qu’il y a dans la tête de notre voisin, qu’il soit ou non notre ami.

 

Espace 3

Rapporteur : N.Tangy, Directeur adjoint EDF GDF Services.

Animateur : R. Ribette, CNAM.

 

NB : Pour ce Dossier qui se veut être un élément de mémorisation collective des échanges du Grand Atelier, N. Tangy a préféré nous communiquer l'ensemble des notes qu'il a prises au cours de cette séance plutôt qu'une synthèse des discussions, forcément réductrice, chacun ayant ensuite la possibilité de se construire sa propre synthèse à partir de ces notes. Celles-ci sont suivies d'une réflexion ex post sur sa propre intervention au cours de cette séance, que nous a transmise M. Lani-Bayle.

 

M. Ribette : ce sont des questions qui sont les plus importantes qu’il va s’agir, c'est de là qu'il émergera quelque chose, donc notez vos questions et écoutons Georges Lerbet sortir de son repaire.

Georges Lerbet : je ne sais pas si je dois m'en tenir à ce papier rédigé en juin et actualisé avec les sous titres que je vous propose aujourd’hui, je n'étais pas d'accord avec ce thème car je m'interroge sur le concept de " délibération " car il encourage des modèles transparents et consistants qui épuiseraient les contradictions auxquelles je tiens.

L’idée de complexité me conduit au concept d'identité et donc de repaire, puis au concept de raison, concept capital à reprendre en cette fin de siècle, et enfin je tente une esquisse d'une pragmatique de la délibération dans cet espace japonais que vous évoquiez et que je mettrais au centre en disant que ce n'est pas l'espace du vide, mais celui de la vacuité, et en disant qu'il y a dans nos actions, nos fonctionnements et nos processus cognitifs quelque chose qui procède du " non totalement consistant ", ceci dès la construction de l'individu et de son identité renvoyant l'auditoire aux travaux de Ricoeur sur le caractère paradoxal de l'identité sur le " soi même ", c’est à dire le même à un moment donné " auto ipse ", et aussi " auto idem ", et on accepte que le discours sur soi même marque sa possibilité de fonctionner et d'être vivant, c’est le propos de Varela et son analogie sur la cellule et les théorèmes de Gödel, et le fait qu'il y a toujours de l'ouvert, de l'espace quelque part, qui fait que les choses continuent de tenir l'une par rapport à l'autre, sinon il n'y aurait pas de connaissance.

Qu'est ce qu'un repère, une référenciation, sinon le jeu de la raison au sens de la mise en rapport dans un espace défini de la logique classique des Lumières et de la belle distinction entre mythos et logos qui aboutit à l'idée que le rationnel provient strictement de la logique tautologique, et que çà a donné les moyens et les technologies du monde de l'artificiel dans lequel nous sommes, du monde de la construction de l'objet, mais qu'il y a aussi la contrainte de la dynamique où nous sommes avec l'analogique comme mise en rapport de deux rapports.

Pourquoi ceci est il intéressant, et bien c'est parce que le sujet cognitif fonctionne avec des repères qu'il va chercher dans l'environnement à la fois de type analogique et tautologique, pour de la connaissance hétéro référentielle, et tout cela pour bâtir un univers artificiel. Et il y a une seconde dimension où, dans la construction du vivant, on a aussi affaire à des processus autoréférentiels et des fonctions fonctions d'elles-mêmes, de la forme x = fonction de x, c’est à dire tout à fait autre chose, avec cette définition de " point fixe aveugle " que définit Jean Pierre Dupuy quand il dit qu’on ne peut pas réduire autrui ou soi même à une notion complètement auto-référentielle. Et là se jouent les débats et les délibérations incomplètes qui ne permettent pas des décisions coupées de tout lien, donc qui seraient absolues et qui ne permettent pas de faire l'économie de ces " points aveugles " qui eux-mêmes permettent de délibérer alors que toute l'ontologie consiste pourtant à arriver à des systèmes complètement consistants sans appel.

Alors qu'est ce que délibérer ?

Je proposerais quatre petits points et des plaidoyers pour l'art de la délibération que je vois comme une pragmatique et non comme un algorithme ...

- la reconnaissance des articulations pour sortir de ce que l'équipe batesonienne appelle le niveau 1 et le " toujours plus de la même chose " ;

- l’acceptation de la règle de non transparence sans pour autant penser qu'il y a désir de cacher, mais plutôt non capacité de dire ; il y a à ce propos une formule malheureuse de Popper autour de cette " pleine connaissance et conscience des choses du monde " à laquelle il aspire, mais ceci a été surtout mal interprété ;

- dernier point qui est ce qui se passe dans ces temps réservés pour faire des choses ensemble, ces moments de re-considération du mythos dans le logos, et que j'appelle les processus non pas d'explication mais d'explicitation réciproque des points de vue, donc des situations où l’on produit des différences, et où l’on accepte de transmettre ces différences.

M. Ribette : Merci Georges Lerbet. La parole est maintenant à Martine Lani-Bayle.

Martine Lani-Bayle : Quelles connaissances faire exister, quelles connaissances actionner, pour actionner, pour faire exister, des connaissances actionnables ?

Cette question ressemble à celle de la poule et de l'œuf, et me renvoie à l'image des musiciens qui se sont exprimés ici. Quand je vois jouer des musiciens, je me demande toujours : " est ce que c'est l'émotion qu'ils ressentent qui génère le son qu'ils produisent, ou le son produit qui génère leur émotion ? "

J'ai repris la question initiale de ce titre à quelqu'un du groupe Transform' dont je suis le porte-parole ici, car il faut dire que nous pensions vous parler en collectif et que ça ne s’est pas concrétisé pour des raisons matérielles. Je vais donc essayer de le faire seule. Je suis rassurée car on parlait tout à l'heure de l'importance de la mémoire et de l'écriture, et j'ai amené ici dans ce classeur la mémoire de notre groupe depuis qu'il s'est formé. Cette histoire particulière a commencé quand le Président de l'Université de Nantes, membre de MCX, m'a proposé de relever le défi de mettre en place à Nantes un congrès mettant en œuvre la pensée complexe dans un contexte universitaire parfois hostile à ces idées, où leur accueil est différent de celui que nous trouvons ici. La question qui se pose est alors : " comment apprivoiser des collègues pour qu'ils acceptent d'échanger en les "perturbant" (systémiquement parlant) modérément et fermement à la fois, et comment organiser tout cela ? "

Quand Jean Louis Le Moigne m'a accueillie ce matin avec son grand sourire, en me demandant s'ils ne m'avaient pas encore "cassée" à Nantes, j'ai pensé à l’histoire du chêne et du roseau – donc encore une fois à la musique – alors que mon envie ici aujourd’hui serait plutôt de me taire et de vous écouter sur le sujet, avec l'évocation à nouveau de ces espaces japonais de vacuité qui appellent à la méditation. Je me trouve en fait prise dans des dilemmes dont je ne sais pas comment je vais les résoudre ou plutôt les biaiser.

On nous a proposé le congrès en " kit " style usine à gaz prête à fonctionner, ce qui pouvait me plaire en tant que descendante directe de Charles Lebon, l'ancêtre d'EDF, mais ça n'allait pas avec la complexité. Je préfère tenter de partir avec une boussole, de l'audace et de l'humour, mariant jazz et quatuor comme ce matin, composant avec clans et tribus dans une Université incluant des exclusivités excluantes. Mais comment articuler les savoir savants, les techniques, avec les pratiques dans une région, les biosavoirs, les savoirs de vie, comment articuler aussi chaque savoir à l'intérieur de lui même avec des cloisons partout qui sont aussi des cloisons nécessaires mais qui sont parfois étanches – voire rejetantes.

Les pistes qu'on avait envie de saisir en cette entreprise étaient de chercher à illustrer le message de la complexité par des témoignages, mais ça ne se fait pas facilement, et moins encore sur commande. Alors nous pensons amorcer ces témoignages par des dialogues, les scénariser, aider des universitaires à parler de leurs pratiques et préoccupations. Mais il est vrai que maintenant, j'ai plutôt envie de vous entendre réagir et je me tais.

Question de M. Pierre Millerat d’EDF DER : sur le ton de la boutade une usine à gaz c'est propre, c'est nickel, c'est compliqué mais c'est construit sur des principes simples, sur des lois de la physique de base.

Mme Lani-Bayle : pourquoi pas, on peut le faire ...

Pierre Millerat : c'est vrai que dans le discours dire une usine à gaz c'est quelque chose de moche.

M. J. Viers EDF Service Prévention et Sécurité : s'il y avait un gazier ici il aurait réagi, car les gaziers vivent mal ces remarques, et ils renvoient à la complexité de la centrale nucléaire.

Mme Lani-Bayle : le gaz, ça a aussi donné la gazette...

M. Goyet : je fais un simple dépôt ici pour dire le rapport de tout ceci à la " palabre africaine " et demander comment se constituent des dispositifs liés à une société de survie qui ne peut pas se payer le luxe de voter constamment à 49 % contre 51 %, et qui constitue des rituels d'occupation du temps et de l'espace pour que l'identité de chacun organisée entre " je " et " nous " se constitue à partir du centre et des points de vue et pour que la future force d'intervention et d'adhésion de tous se produise dans le consensus, donc en relation, en pensant que ce sont des sociétés sans écrit et purement de mémoire orale.

Il y a ici une grande différence dans ce que nous cherchons, en ce sens que nos institutions font confiance à l'écrit.

Georges Lerbet : je pensais à la question de l'outillage linguistique de la délibération, et du médium, car je suis persuadé que ce rôle que peut jouer la délibération pour le changement de niveau de maîtrise de la situation par les individus qui y sont confrontés est majeur, lorsque la question est de passer par autre chose que de l'oral, sachant que l'on peut revenir sur du non oral et qu'on peut le travailler, et donc il faut prendre en compte le changement cognitif introduit par l'écriture et cette comparaison avec la pompe à chaleur " air-eau " qui consomme beaucoup d'air pour chauffer si peu d'eau.

Je reviens sur le changement identitaire à partir de Ricoeur et de cette identité narrative, et je reviens sur le fait que l'individu conserve une trace d'un moment donné car il n'y a pas un effacement, un tassement mnésique pour que tous les processus soient connus et le restent, par exemple dans la psychanalyse, il y a tous les processus d'oubli, de déni que celle-ci révèle. Je voudrais dire que quand il y a trace, on peut travailler pour changer. Je voudrais dire aussi qu’il existe ces excellents colloques purement écrits avec des montées en puissance parfois bien supérieures à ce que procurent des modalités comme celles que nous vivons ici, est ce que l'oral permet de monter en abstraction, c'est peut être une limite contre quoi lutte la palabre africaine justement ?

On a aussi des réussites éducatives qui passent par des processus de production, et non par la consommation des heures en raison des difficultés rencontrées par les élèves, mais par d'autres démarches délibératives qui arrivent à un même niveau d’abstraction en faisant l'économie de l'analogique.

Les trois principes de logique sont aussi extrêmement artificiels et contingents. Le problème c'est que l'école est faite par d'anciens bons élèves qui comprennent très tardivement tout cela.

A partir du moment où Platon oublie le poème de Parménide et entre dans le discours clos de la logique, l'analogique est discrédité. Et pourtant un individu sans imaginaire n'existe pas, et s'il peut le dénier ou simplement l'oublier avec toutes les formes de pathologie entre les deux çà ne change rien. Interaction complexe donc, retour aux processus plus qu'aux états, et à l'intérêt porté à la continuité.

Partager commence par poser l'idée qu'on rompt le face à face par l'interface, ce qui porte du sens.

Question : il y a quelque chose qui m'a frappée sur la question de l'espace qui dans la tradition donne du relief à ce qu'il enferme, car on voit l'espace qui entoure l'objet plus que sa forme, on a tendance à tourner en rond avec les questions alors qu'il faudrait du temps de latence pour que la réponse émerge, et selon moi une connaissance actionnable ne peut pas être uniquement concentrée sur l'esprit, et donc elle doit pouvoir être manipulée, d'où ces propositions de Georges Charpak.

Nous nous coupons de la matière car nous, nous faisons très bien fonctionner notre intelligence.

Georges Lerbet : le sensori-moteur que nous oublions en fait c'est une castration que nous nous faisons à nous mêmes.

M. Ribette :  l'artiste figé qui bride son corps ne peut pas communiquer, la communication c'est aussi le corps et un complexe.

Claude Fromageot : dans un monde sans repères, le mythe n'est il pas une grande opportunité ? Est ce que les gens ne sont pas à nouveau prêts à cela ? Est ce que cela se fait ?

Georges Lerbet : oui par nécessité vitale, mythe, récit avec des mécanismes à l'œuvre dans toute démarche d'invention donc hors reproduction ou mise en œuvre du déjà écrit connu invention, tekné, pragmatique, mettent en œuvre des processus du mythe dont les éléments sont reliés. Ce sont les heuristiques chez Simon, saturées de pensée mythique, ce qui pose une question sur la suite des séquences de fonctionnement de l'esprit. Sur cette question de l'émergence, reconnaissance, résolution des problèmes, nous travaillons sur la problémation et pas du tout sur la problématisation, incapacité à générer des chercheurs du fait de cette économie depuis la maternelle.

Question et apport : sur la problémation et la problématisation, je me suis confronté avec mes collègues et nous avons tenté de trouver des modus vivendi.

Les collègues ont réagi sur des questions comparatives avant de revenir à des questionnements plus fondamentaux et donc ils ont souhaité faire réagir les étudiants et les enseignants.

Question (de Claude Fromageot) : quelle est l’importance de la fête associée au travail dans l'amélioration des processus cognitifs ?

Georges Lerbet : une société festive je pense que c'est un système très régulateur, fête et rêve sont des fonctions biologiques et sociales qui remettent en place des choses.

Question (à Claude Fromageot) : quel est le lien entre le plaisir du musicien et sa compétence professionnelle ?

Claude Fromageot : le travail de l'instrument est très différent selon que la musique est liée à la fête ou au statut.

Georges Lerbet : sur ce que dit Martine sur le conformisme universitaire je me demande ce que l'on fait ici, car dans la fête il y a une marginalité sécante, la fête c’est " pas dehors et pas dedans complètement ". Sa situation demande un essai de paradigme qui met en cause le paradigme dominant, ainsi sommes nous voués à demeurer des marginaux sécants récupérés par les institutions appelant concepts des choses qui n'en sont pas, ou bien sommes nous des prémisses de changement de situation ? Piste d'interrogation avec le clivage que propose Michel Maffesoli dans son Eloge de la raison sensible qui distingue tragique et dramatique en ce sens que le drame court et postule l'idée qu'avant ou après le drame le paradis terrestre ou les lendemain qui chantent sont toujours promis, il y a, il y aura toujours un monde parfait et une idée de progrès, et le dramatique en fait espère et postule un état pur et sans tache dans la plus parfaite harmonie, tandis que le point de vue tragique laisse les choses ouvertes sans jamais arriver à de la consistance comme pour cette arithmétique impossible de Whitehead et Russell.

Est ce désespérant ? Je dirai non, je suis un optimiste tragique comme disait Mounier.

Il est impossible d'aboutir à du parfait. Mozart et Bach c'est cette idée que le monde n'est que tragique, mais après tout ce n'est pas un drame.

Les processus d'euphémisation qui disent que nous sommes tous des acteurs, qu'il faut être cool, et qu'il y aura de l'égalité, sont pour moi du déni du tragique et ils récupèrent et ils entravent la pensée complexe dans la première cybernétique, alors que les difficultés viennent avec les processus auto-référentiels.

M. Goyet : quelques mots sur le combat de Madame. On essaie de parler, cela peut être douloureux dans le tragique, mais si en plus cette confrontation nous retient dans le système antérieur alors c'est complexe : quelques mots de témoignage dans votre propre combat nous aideraient nous aussi ...

Martine Lani-Bayle : c'est un témoignage balbutiant que je viens de proposer, car il se joue en ce moment. On n'est pas encore dans la dimension "tragique", mais on va essayer de maintenir ce cap là, du tragique, en vue de ce que ça va susciter dans le temps, plus que du résultat immédiat.

M. Goyet : (précise que lui-même est virtualisé dans le CNRS depuis 1981 : il ne figure plus dans l'annuaire...) donc, cela pose la question de l'acceptabilité de cette aventure et de combien de temps ça peut va durer.

Martine Lani-Bayle : pas en ces termes car ce qui est nouveau ici, c'est que la stimulation vient de l'Université via son Président.

Tout ce qui se discute peut nous aider à ne pas nous enfoncer, nous ne nous engageons pas dans une perspective de combat, nous ne sommes pas non plus dans l'idée d'aboutir, nous sommes cette illusion qui dit "je pars avec cette idée d'enrichir notre groupe par la délibération en répondant à la demande du Président, avec nécessité d'un résultat qui n'est pas à portée de la main. "

Georges Lerbet : je plaide pour la variété, pas pour la disparition de l'autre.

Claude : la place de Marrakech est la plus grande place d'Afrique et ses évolutions et interactions dans la journée, rythmes, configurations évoquent bien cette situation.

M. J. Viers EDF SPS : combat et projet tragique me font penser et réagir à la question de la dérision comme solution pour amorcer le débat par le théâtre, les clowns à partir des défauts, des excès. Nous l'utilisons en entreprise.

Commentaire : ces points de vue montrent la tension du milieu universitaire, l’effet pervers de tirer dans un sens et de ceux qui vivent isolés, publiés, démarqués par rapport à une communauté qui vous rejette, il faut donc en effet avoir du jeu dans l'interstice, et il y a aussi une prise de risques individuels et peut être même la dimension tragique de l'illusion individuelle en cause dans cela.

Martine Lani-Bayle : on va travailler cette question du jeu et du risque dans la quadruple stratégie " entreprendre, apprendre, comprendre, surprendre " (cf. Henri Desroche).

M. Goyet : c’est l’usage de la Métis, à la fois ruse et hérésie.

M. Ribette : au CNRS dans les sciences de l'univers, je suis plongé dans une injonction de constructivisme plutôt réussie. Donc ça peut marcher.

Martine Lani-Bayle : il s'agit pour cela de mettre les personnes en flagrant délit de complexité, de jouer sur l’espace, le temps, le délai.

 

 

Martine Lani-Bayle : Propos dans l'après-coup sur mon intervention pendant cette séance.

Mon objectif en proposant cette intervention était de chercher des repères dans un vaste projet de construction d'un colloque sur la complexité : comment ne pas tomber dans la complication, face à une telle entreprise ? Comment mettre en adéquation la forme et le fond, jouer de leur enchevêtrement fécond sans se laisser glisser vers la sécurisation du colloque prêt-à-parler, je déclenche le chrono et l'arrête avant que la pensée ne soit dite et le dialogue possible ?

Au départ, nous devions proposer cette discussion à plusieurs, à savoir les quelques membres MCX impliqués dans cette démarche. Notre projet initial était de réaliser en public un de nos débats, le prenant au point où nous en étions dans la préparation de ce congrès. Ces discussions parfois passionnées et contradictorielles étaient en soi dignes d'intérêt et pouvaient être considérées comme dans le projet. D'une telle mise en scène, avec les retours attendus de personnes déjà dans la complexité mais en dehors de cette aventure, nous attendions beaucoup – des repères – et avions fait des répétitions impromptues. Puis des raisons matérielles et d'organisation ont renvoyé sur mon seul personnage la tâche de faire passer cet échange. De quoi se sentir un rien écrasée...

Avant de présenter cette affaire le temps était déjà compté sinon fortement entamé et j'avais escompté sur la lecture préalable, par les quelques personnes de la salle, du petit résumé annonçant le dilemme. J'ai ainsi ouvert encore plus tôt que de coutume sur une discussion pas assez amorcée ni circonscrite, alors qu'il y avait encore des attentes de nourriture. Sortant trop tôt des règles du jeu, j'ai sans doute mis fin au processus avant de l'avoir véritablement enclenché.

Plus adroit, mon brillant co-intervenant avait lancé la réflexion sur le retour du mythos à l'encontre du triomphe du logos, me laissant coite. J'entendais ce que je tentais, ce qui me tentait, la démarche délibérative, la place de l'imaginaire, les heuristiques, l'invention, j'écoutais ce que je souhaitais mettre en œuvre mais j'ai entendu aussi, par exemple, que l'école ne permet pas la problématisation alors, comment sortir la complexité du dramatique où elle paraît sinon s'enfoncer, du moins parfois se complaire dans des moments de fatigue ou même d'épuisement ?

Le violoniste a alors rappelé la fête quand on évoquait le tragique, merci de nous le proposer avec des notes. J'ai de fait, et sur la lancée, choisi de repartir sur une clé de fa plutôt que clouée au sol, la Métis me convoquera peut-être par là, on verra. En tout cas de cette rencontre au Futuroscope j'ai tiré des tas de leçons sinon des indications, je ne sais ce que nous déciderons mais on nous attendra bien au tournant pour mesurer l'opérationnalité de ce que l'équipe de pilotage du congrès proposera. En guise de repère en tout cas, pour ce que je glane dans mon environnement maritime actuel je parlerai plutôt d'amer. C'est ce sur quoi les marins se fient pour conduire leur embarcation, car sur l'élément liquide "il n'y a pas de chemin, seulement des sillages sur la mer", nous souffle Machado.

Histoire donc à suivre aussi avec le poète qui je l'espère accompagnera le musicien en chemin...

 

 

Espace 4

 

R. Teulier : " Des connaissances opérationnelles pour l’action coopérative ".

Rapporteur : Philippe Deshayes, Ecole centrale de Lille, LAREA.

Les deux interventions lançant la session étaient particulièrement intéressantes et importantes dans la mesure où l'une confrontait directement la notion de repère à celle de connaissance et l'autre introduisait un domaine particulièrement propice à la notion de repère dans et pour l'action.

La première communication, faite par Mme Régine Teulier du CNRS, était intitulée "connaissances opérationnelles pour l'action coopérative". Elle renversait la question du lien entre connaissance et repère en revenant sur la thématique de la cognition collective, mais du point de vue des sciences cognitives : quels éclairages et mises en questions les acquis de ces sciences suscitent-elles à l'endroit de l'expression de "cognition collective" et qu'est-ce, alors, qu'un repère ?

La seconde intervention, faite par M. Serge Diebolt dans le domaine de la philosophie du droit, était intitulée "qu'est-ce qu'un repère pour invoquer, dire, écrire le droit ?". Elle abordait un domaine jusque-là peu présent dans les interventions et discussions du Grand Atelier et pourtant incontournable, à mes yeux du moins, en matière de "repère" : le droit qui fournit des repères fondamentaux à nos sociétés (du moins pour nos États dits "de droit") comme à nos actions immédiates ou professionnelles.

Dans la mesure où la discussion a constamment imbriqué les deux interventions, on rendra d'abord ici compte des deux exposés avant de revenir sur certains moments clefs de la discussion.

Exposé de Mme Teulier :

La première partie de l'intervention renvoyait à une sorte de "mise en abîme" de l'expression de "cognition collective". Trois propositions fortes ont en effet été énoncées dans ce sens :

Autrement dit, par ces préliminaires et quitte - comme elle l'a dit elle-même - à provoquer, Mme Teulier propose d'évacuer la notion de cognition collective et de retenir l'expression d'intelligence collective pour exprimer - sinon spécifier - ce qui se passe dans l'action coopérative.

A la suite, Madame Teulier a présenté la notion de "cognition située", en prolongement des travaux de Lucie Suchman dont les références sont dans son texte écrit. C'est dans l'action que la cognition se fait (ou se noue) et les repères sont donc nécessairement liés aux acteurs eux-mêmes, en situation.

Cette position a alors des implications majeures en regard de l'idée même de connaissance actionnable : dans la mesure où il n'existerait pas de lien direct entre connaissance et action, il n'existerait pas, a fortiori, de "connaissances actionnables" - sauf à parler de "recettes" - et cela même si le besoin s'exprime d'en avoir.

Ces connaissances se fonderaient alors dans une sorte de creuset - ou de réservoir - construit par les individus (des connaissances parmi les connaissances de l'individu), certaines d'entre elles étant plus ou moins opérationnelles. Chacun serait en sorte un "artisan" de la connaissance et chacun de nous, artisan de la connaissance, disposerions ou construirions autant de "réservoirs" de connaissances.

Le partage ou la mise en commun des connaissances dans l'action coopérative s'appuierait alors sur des processus de partage (le "mutual awareness") ou de vérification de tels partages (le "grounding").

Bien que cela n'ait pas été exprimé par Mme Teulier elle-même - ni introduit dans les discussions -, on a envie de rapprocher cette idée de "réservoir de la connaissance" de l'idée exprimée ailleurs (in Dossier MCX n°12) par André Demailly (à propos de la conscience) d'un "marché de la conscience" : un "marché" où il faut conclure au mieux et qui puisse être des plus achalandés en représentations symboliques et relié au plus grand nombre possible de marqueurs somatiques et mnésiques...

Exposé de M. Diebolt :

Le juriste "jongle" avec des repères. Cette expression introductive nous a frappés dans la mesure où, par ce terme, il semble que les choses aillent de soi : le juriste aurait pour mission d'énoncer des repères (l'écrit du droit par le législateur), de les invoquer (plaider), de les dire (juger)... Le droit ne serait donc que repères... Ceci, qui renvoie au texte écrit de M. Diebolt, n'a pas été développé oralement au profit d'exemples de repères, de certaines de leurs logiques d'utilisation et d'une esquisse de typologie. Sa conclusion nous a ouvert vers une double relativisation fondamentale de cette représentation sans doute trop canonique.

On retiendra ici un exemple de repère qui nous a tous a frappés et qui a alimenté, par ailleurs, la discussion. Soit une tondeuse à gazon qui, mal bloquée dans un jardin privé en pente, la dévale pour se retrouver sur la voirie voisine et renverser un piéton. Cette situation banale l'est moins en termes de droit dès lors que l'on s'interroge sur le définition de la tondeuse à gazon. Selon, en effet, que l'on envisage cette tondeuse comme telle ou, différemment, comme véhicule terrestre, le processus juridique sera en effet différent. Dans le premier cas, c'est la responsabilité civile du propriétaire qui sera invoquée tandis que, dans l'autre cas, le processus nous renverra aux dispositions régissant les "accidents de circulation". Autrement dit, un repère exprimé en termes de définition a des effets processuels. Et, pour le plaideur par exemple, le repère sera à la fois lié à la définition et au processus qu'elle permet...

Cette entrée en matière a conduit M. Diebolt à montrer l'existence de définitions processuelles et de processus impliquant telle ou telle définition. De beaux problèmes de récursivité rejoignent ici la notion de repère.

Dans une seconde partie de son intervention, M. Diebolt a différencié deux systèmes principaux d'utilisation de tels repères. Le premier, d'ordre axiomatique, est celui dans lequel nous fonctionnons en France et, plus largement, sur le continent européen : on part de principes en nombre limités qui se déclinent selon les contextes (y compris les juges...). A ce système logico-déductif s'opposerait un système inductif, plus caractéristique du monde anglo-saxon, qui s'appuie sur une jurisprudence ré-alimentant, sans cesse les repères. A des principes limités auxquels se réfèrent des situations, s'opposent donc des situations qui impliquent d'être minutieusement référées au corps de repères que constitue la jurisprudence.

En troisième partie, M. Diebolt nous a conduits vers un autre regard sur ces questions de typologie. On peut en effet considérer aussi les repères sous l'angle de leur caractère exogène ou endogène relativement aux acteurs et aux situations. Les premiers renvoient à des figures extérieures (des transcendances comme l'État par exemple) tandis que les seconds seraient plus directement liés aux groupes sociaux eux-mêmes et auraient un caractère plus spéculaire.

En conclusion, M. Diebolt nous a alors, si l'on peut dire, renvoyés à nos propres cordes et suggéré deux questions. Peut-on, en premier lieu, envisager des compromis entre justice immanente et justice transcendante ; entre repères immanents et repères transcendants ? En second lieu, et sur un tout autre plan, la stabilité des repères du droit ne serait-elle pas liée à l'instabilité de nos repères...?

Discussion :

Parmi les multiples échanges qui ont suivi ces deux interventions, on retiendra ici, au risque évident d'être réducteur, les trois thématiques suivantes relatives aux trois mots et expressions clefs de "repère", de "cognition collective" et de "connaissance actionnable" :

 

 

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III) CONTRIBUTIONS DE PARTICIPANTS

 

 

 

Cette troisième partie se compose des textes d'intervenants dans le Grand Atelier qui ne nous étaient pas parvenus avant la Rencontre, ainsi que d'un certain nombre de textes qui ont été revus par leurs auteurs après leur présentation dans le Grand Atelier à la lumière des discussions qui ont suivi leur présentation.

 

 

A) Repères dans des processus de construction de confiance

Confiance - connaissance - co-développement

Repères dans des processus de construction de confiance

 

Rosita Gomez (Association "Objectif : Emploi !")

Il m’a été demandé, pour ce séminaire, de faire un essai de repérage de processus construisant des éléments de confiance.

Dans un premier temps je partirai de quelques caractéristiques de la Ville de Saint-Denis et de l’Association "Objectif-Emploi" ; dans un second temps, de mon parcours professionnel plutôt atypique (celui que je connais le mieux), de la réflexion qui m’a permis de mettre à plat comment la confiance s’y est jouée tout au long de celui-ci (confiance individuelle/collective), et vous ferai part des processus que j’y ai repérés.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à exprimer ma conviction que sans socialisation du savoir, il n’y a pas de socialisation du pouvoir, et que sans cette socialisation du pouvoir, il n’y a pas possibilité de construction d’une relation de confiance durable dont le co-développement est, pour ce qui nous intéresse, une des résultantes.

On ne construit pas dans la méfiance, mais dans la confiance. C’est autour de la triangulation confiance-connaissance-co-développement que j’ai construit, déconstruit et reconstruit cette intervention qui je l’espère sera compréhensible, car il est difficile de parler d’un sentiment qui se construit sur la durée et de façon non linéaire.

Je vous demande donc toute votre indulgence qui je l’espère participera à la mise en confiance nécessaire à une production vraie dans le groupe humain que nous représentons aujourd’hui.

 

Préliminaire : l’approche du territoire de Saint-Denis et de l’Association "Objectif-Emploi !

Le territoire-terreau de Saint-Denis

Saint-Denis est une ville de banlieue qui se présente comme "populaire, dynamique et solidaire". C’est surtout une ville historique, capitale religieuse de la France, à deux pas de la ville politique qu’est Paris.

Au niveau urbain, c’est une ville éclatée et morcelée, en mutation profonde et paradoxale, au fort potentiel de développement économique (700 ha de sol industriel qui a été au temps de l’industrialisation la première zone industrielle européenne) et au risque important de paupérisation de sa population. Dans le passage du modèle industriel au post-industriel, avec ses 92 000 habitants, elle compte l7 % de taux de chômage dont 21 % de jeunes et 38 % de chômeurs longue durée, c’est-à-dire 8.600 chômeurs et 3 000 bénéficiaires du RMI. Sur cette population, 30 % sont de nationalité étrangère et l’on peut compter environ 40 ethnies qui cohabitent sur ce territoire. Parmi la population active, 17 % de professions libérales, 8 % seulement de cadres supérieurs, 33 % d’employés et 37 % d’ouvriers. Sur ces 70 % de population active, une personne sur 2 est non qualifiée.

C’est aussi une ville de contrastes, au passé structurant, au présent morcelé et déstructuré, au sentiment fort d’appartenance à la mémoire collective du mouvement ouvrier, aux traditions de brassages culturels depuis l’apport des pèlerins au Moyen-Age jusqu’aux des vagues successives d’immigration depuis le début de l’industrialisation. C’est une ville en perpétuelle construction, à l’activité économique vivante, où la cohésion sociale et urbaine se sont construites autour des luttes sociales et pour la conquête de la dignité (banlieue rouge) où la valeur travail tient une place prépondérante.

La déstructuration économique et sociale, le morcellement du territoire, et les ruptures diverses ont eu pour conséquence, comme sur bien d ‘autres territoires, le délitement des liens et la condensation des dérégulations sociales, économiques et politiques.

Dans la difficulté de réguler la complexité des situations et des histoires, les diversités d’acteurs et la multiplicité d’individus il s’agit de construire ou d’identifier un projet territorial fédérateur. La collectivité locale y joue un rôle porteur d’un grand nombre de projets qui s’inscrivent à des degrés divers dans les axes politiques définis au contrat d’action communale. Par ailleurs, si l’on parle de prospective, on peut dire que Saint-Denis préfigure la ville multiculturelle du XXIème siècle, par la multiplicité de ses cultures, de ses savoirs, de ses économies et des représentations existant en son sein.

L’enjeu auquel se confronte cette Ville est celui de VIVRE ENSEMBLE dans la recomposition de ce qui a été déstructuré. Faire société suppose non seulement la co-construction d’une vision d’avenir mais aussi a participation de tous à la définition d’un nouveau contrat social.

 

L’Association "Objectif-Emploi"

J’anime actuellement la "cellule prospective-projet" de l’association "Objectif-Emploi !". "Objectif-Emploi !" est une association créée à l’initiative de la ville de Saint-Denis, qui a comme finalité de lutter contre l’exclusion par l’emploi et le développement territorial intégré.

Ses objectifs sont la coordination et la mise en cohérence des initiatives locales économiques porteuses d’insertion, qu’elles émanent des acteurs économiques, associatifs, sociaux ou institutionnels. Elle gère aussi des dispositifs d’intervention en faveur de l’emploi : mission locale, plan local d’insertion par l’économique et dispositif RMI.

Pour créer des nouvelles formes et permettre le passage de la notion de gestion de dispositifs d’insertion de publics en difficulté, à la notion d’animation et de développement territorial intégré, cette cellule se doit de cheminer en composant avec les disjonctions produites par la catégorisation des personnes et des actions inhérentes aux dispositifs de traitement du chômage ; de capter les signes, les évoluions et les projets à l’oeuvre ; de concevoir, formaliser, accompagner la mise en oeuvre d’actions innovantes et partenariales. Mettre en

réseau des expériences, des compétences, de projets émergents et des territoires, favoriser la fertilisation croisée des logiques en présence est son quotidien.

Son but est surtout de sortir du tuyau taylorien (gestion industrielle du chômage via les dispositifs) et de reconquérir la pratique des process de la chaîne de production afin de créer de nouvelles formes (conception assistée par l’usage) qui va depuis la compréhension de la demande des personnes et des acteurs locaux, de leurs pratiques, compétences et enjeux ; par la co-conception et la mise en oeuvre de projets ; la recherche de moyens nécessaires ; la dissémination la valorisation des méthodologies et des résultats et surtout des personnes qui les ont co-produits.

Elle s’organise comme un élément de production d’intermédiations dans un processus d’épreuve collective (processus initiatique), dans une démarche chemin faisant, où l’ensemble essaie de dépasser les frontières ou les cadres imposés ou supposés imposés. Positionnée dans un modèle institutionnel, elle gère la tension entre ses orientations fixes et les intentions et particularités des acteurs ainsi que l’embrayage sur une multiplicité de singularités ; où comment gérer l’inattendu, le resituer dans un contexte mouvant, et simultanément le remettre en perspective : ce que nous appelons la co-construction d’une vision d’avenir .

Le critère d’évaluation le plus significatif de cette organisation est sa capacité génératrice de reliance et de portage de l’animation des fruits de cette reliance

sur le territoire.

Cette mise en relation autorisant de la genèse et de la création se constitue dans une certaine philosophie c’est-à-dire à partir l’analyse de ce qui a été viable économiquement et socialement, tout en sachant que la viabilité de ce qui a été généré est tributaire de la capacité d’animation et d’imagination des acteurs.

Ce processus participatif s’appuie sur deux piliers : d’un côté le triptyque élus/ techniciens/citoyens et leurs fonctions respectives dont la mise en mouvement et les débats qu’il suscite sont l’énergie nécessaire au moteur du deuxième pilier, la démarche territoriale qui travaille à la production d’une vision d’avenir partagée dans laquelle se construit la confiance pour dépasser la crise (se mettre en présence et entre-prendre ensemble) par la compréhension des enjeux réciproques et leur mise en tension/négociation/contractualisation( apprentissage, impertinence,co-responsabilité).

Ce processus de construction de la confiance est sans doute ce que Monsieur Cazenave appelle l’utopie conductrice qui pourrait nous amener à ce que nous nous appelons une société apprenante et compétente, entreprenante et responsable de la production de son avenir.

 

société apprenante/compétente

Elus Territoire Entreprenant

Techniciens Citoyens Territ. Impertinent Territ. apprenant

 

L’éclairage de processus de construction de confiance par un parcours professionnel singulier

Cette entrée me permet de parler de la construction de confiance, en passant par une introspection autour de mon parcours professionnel caractérisé par la permanence de changements de cadres, de statut, de lieux et parfois de ruptures fortes. Elle me permet également de rendre compte du pourquoi de la fonction que j’occupe aujourd’hui à Saint-Denis ; ainsi que du comment je participe à ce que se fasse le passage d’une conception de l’insertion dominée par le seul modèle d’économie marchande, à celle de développement territorial durable, où genèse, impertinence et création, sont autorisées et même recommandées comme conditions incontournables pour permettre à tout individu de construire et de trouver simultanément sa place dans ce mouvement plus ouvert s’inscrivant dans une temporalité plus large.

Dans ce passage d’une conception à l’autre, il ne s’agit plus que l’individu soit sommé de s’insérer, mais que dans ce mouvement de développement territorial se mette en place une stratégie collective de lutte contre l’exclusion de tous territoire, entreprises, individus ...) par l’action collective sollicitant l’intelligence de chacun.

En ce qui me concerne, ce long voyage, ponctué par plusieurs passages obligés sur fond de mutations diverses, chaque fois plus mouvantes, accélérées et angoissantes, me permet aujourd’hui de me positionner à l’encontre des sentiments de peur et de repli inspirés à beaucoup d’entre nous par ce que l’on appelle la crise et qui paralysent faute de confiance le dépassement.

A ce stade-là je repère la dialogie entre crise de confiance dans les systèmes constitutifs de cette crise et la confiance en soi pour dépasser la crise.

Pour moi "la crise" est un symptôme des mutations dans la mutation qui, dans les désordres et les débordements qu’elle produit, peut permettre à chacun, et à certaines conditions, de repérer s’il est capable individuellement ou collectivement de construire et/ou de reconstruire le/son chemin.

Je pense en effet que c’est la construction de ces conditions qu’il s’agit d’inventer sans perdre de vue que ce qui est important c’est d’avoir comme ambition la réussite de projets ambitieux, attractifs pour l’autre et pour soi. C’est aussi l’articulation des terreaux et des confiances réciproques qui sont le moteur/moyen indispensable à la réussite de cette ambition.

Ma pratique quotidienne est le fruit de cette expérience et de la conscience de mon rapport à ma place au sein du système de production dans lequel nous sommes tous contemporains et j’essaie de construire avec d’autres complices et alliées des process producteurs de reliances, de recomposition, de conjugaisons. Le contrat de confiance est ici implicite et soumis à beaucoup d’aléas.

Par ailleurs, même si j’aime à m’imaginer que ces reliances construisent de la société, je ne suis pas dupe (attention et méfiance) du fait que je peux aussi participer, contre mon gré, au développement d’un nouveau système d’exploitation de la créativité et de l’innovation des autres, et que je peux me retrouver avec eux à une place et un rôle de "prolétaires du concept" (dépossédés de la création) même si celui-ci est encore enrobé d’un statut confortable.

 

Ecouter cette intuition qui pousse à une vigilance féroce et constante des dérapages et trahisons possibles est un autre élément constitutif de la pérennité et du développement de la confiance/estime de soi et des autres.

En effet l’accumulation de mes expériences m’amène à me considérer comme "une vieille routière" d’un parcours caractérisé par un tentative de composition entre le social, l’économique et le culturel qui s’est jouée à des époques et âges différents et qui m’ont mise face à des situations où le dépassement du sentiment de méfiance vis-à-vis des autres et de vigilance vis-à-vis de moi-même est récurent et où la prise de conscience de ce qui se joue "vous en colle à perpète".

 

 

Pendant l7 ans j’ai travaillé dans le milieu industriel, dans des filières et à des postes divers, dans des entreprises du secteur privé ou prédominait bien entendu l’économie de marché.

Ensuite j’ai fait partie pendant 8 ans du groupe d’individus qui se sont lancés dans l’expérimentation des premières entreprises intermédiaires. Celles-ci sont devenues depuis, à notre grand regret, des "entreprises d’insertion" où cette notion stigmatise plus l’individu mis en situation de s’insérer plutôt que de rendre visible le système qui l’a exclu ou pas encore inséré. La notion d’intermédiaire révélait bien cette économie de l’entre-deux où s’articulaient argent public-argent privé, et où l’entreprise co-produisait pour elle-même et les personnes qui la constituaient les conditions d’intégration de tous par son positionnement technique et éthique dans le tissu productif. Ces entreprises ont été transformés depuis en dispositifs parmi tant d’autres.

Depuis l3 ans je travaille dans des entreprises à vocation publique, où l’économie est de service public soutenant les initiatives à un niveau local.

 

 

Quel est le parcours qui a favorisé la construction de la confiance en soi et de la confiance collective ? Je pense que toutes y ont contribué à un niveau différent ; la culture et le jeu étaient différents, l’aventure avait des connotations diverses.

En effet, dans le premier cas, j’étais sujet-acteur, la culture était la culture d’entreprise où le mode d’organisation de la production ne sollicitait pas la créativité. Ce n’était en ce qui me concernait pas très grave, ce n’était pas mon aventure, mon rôle était clair : il fallait produire. Malgré tout j’étais acteur parce que j’ai lutté pour exister en tant que personne et salariée , contre l’ennui et la répétition dans la production et ses contraintes . Cette situation nous poussait à être dans des collectifs "contre" puisque ce qu’il ne fallait surtout pas faire c’était d’essayer de changer quoi que ce soit au système. Ce "contre" tournait souvent à l’affrontement sur fond de frustration : frustration de ne pouvoir participer à une aventure collective interne à l’entreprise où auraient pu être pris en compte nos idées, nos propositions. La négociation ne pouvait se jouer en final que sur de la revendication salariale et au mieux sur les conditions de travail. Le contrat passé se négociait dans la méfiance, la suspicion.

C’est sur cette impossibilité à pouvoir "participer", que j’ai rompu avec l’entreprise privée, que je me suis retrouvée auteur/acteur, de ma création d’entreprise. La culture ici était une culture de l’alternative, avec ses hauts et ses bas, ses difficultés à exister. L’enjeu allait, au-delà de créer de l’économique, c’était la capacité à créer l’énergie liée à la vie de cette aventure personnelle et pourtant collective. On se l’était autorisée et on s’y lançait, on y croyait. La nécessité d’être et d’exister en relation avec d’autres nous poussait à découvrir et à nous penser sur un territoire, réservoir de possibles, dont le développement sollicitait un certain nombre d’aventuriers. Cette sollicitation permettait de construire ensemble.

 

Autre élément du process de construction de confiance : on se soutient, on s’entraide, on se fait confiance car chacun compte et est indispensable pour l’autre.

C’est ainsi que j’ai intégré la culture du "co" : co-construction, co-pilotage ce qui me permet d’élargir ma palette de rôles : d’un ancien rôle de sujet, je deviens auteur/acteur/animateur et initiateur d’autres processus. Aujourd’hui je me sens dans une culture de l’émergent et de la liberté.

 

En effet, l’intermédiation permet d’installer une relation de confiance entre le service public et le citoyen usager, à condition de pratiquer une écoute fine de celui-ci, et de lui signifier ce qui a été entendu de sa demande ou de sa proposition. L’intermédiation donne du temps et dégage des marges de liberté qui peuvent être utilisées à formaliser et à transformer un certain nombre de choses. Elles peuvent donner lieu au désir d’entreprendre individuellement et collectivement, à la co-construction de réponses innovantes, mieux adaptées à la collectivité.

 

Afin de visualiser plus clairement le mouvement dans lequel nous sommes engagés, je reprends ci-après, sans rentrer dans tous les détails, une des actions qui ont participé à l’apparition de la cellule prospective-projet, forme qui se cherche, se transforme, s’articule, s’adapte au fur et à mesure des événements, des demandes, des intuitions, des débats.

LA GENESE AUTORISEE : à partir d’une opportunité, passer d’une situation de blocage à une dynamique de co-construction

En l993, nous partons d’une demande de la Mission Locale "nous recevons des jeunes et des femmes en difficultés, nous avons nous-mêmes des difficultés depuis plus d’un an à leur faire intégrer la formation prévue par un programme européen". Les métiers relatifs à ces formations sont très classiques : électro-mécanique, bâtiment .... pas forcément attractifs pour des jeunes, d’autant plus que pour certains d’entre-eux ils ont été excluants pour leurs pères !

Un premier stage est défini à partir de cette constatation. Il porte sur les métiers du spectacle, ce qui alors est nouveau dans la culture industrielle locale . Des jeunes s’y inscrivent et nous nous appuyons sur ce qui s’y passe pour mettre en place une procédure qui nous permette d’anticiper une réponse à un nouvel appel d’offre européen. Par ailleurs, une série de voyages en compagnie des stagiaires, et des stages pratiques sont organisés à l’étranger.

 

L’IMPERTINENCE RECOMMANDEE : de l’acceptation de l’impuissance à faire en l’état, au passage à l’acte

Un séminaire est organisé simultanément. Il est destiné aux partenaires locaux et fait appel à un réseau de partenaires français et étrangers qui oeuvrent eux aussi dans la logique du développement territorial / lutte contre l’exclusion. Les débats menés autour de leurs finalités et de leurs pratiques suscitent parmi les participants un désir de travailler autrement cette question de l’insertion.

A la suite de ce colloque es groupes de travail se constituent regroupant des chômeurs, des professionnels associatifs, partenaires du Plan Local d’Insertion par Economique, de la maîtrise d’oeuvre urbaine, des élus. Là aussi leur créativité est sollicitée autour de la question "Si vous aviez du pouvoir et à partir des ressources locales, de quel projet rêveriez-vous ?". De ces réunions riches en "projets utopiques" émane un projet global complexe que nous nommons "Projet formatif pour territoire en transformation". L’objectif est de se réapproprier l’histoire, la tradition, tout en acquérant des savoir-faire pour construire des dynamiques locales porteuses d’avenir. Il ne s’agit plus de "former des stagiaires", mais de mettre en place autour de cette nécessité de penser autrement, un mode de faire qui associe ces multiples acteurs autour de "se former ensemble" en situation complexe et compliquée. Compliquée parce qu’elle rompt avec la conception des stages organisés comme des tuyaux dans lesquels on engouffre des stagiaires, lesquels, en quelques mois, auraient comme obligation de rattraper le retard accumulé pendant des années, de trouver du travail et de s’y insérer. Bien entendu, si le but n’est pas atteint, ce n’est pas la façon de poser le problème ou de former qui sont en cause, mais "la difficulté de l’individu".

Compliquée aussi parce qu’elle porte non pas, via l’emploi, sur l’unique vision économique mais sur l’urbanité, où l’art de vivre ensemble. C’est ainsi qu’autour de fonctions urbaines : se vendre, se présenter, produire (mais ici c’est produire en retrouvant l’intelligence de la main), trois stages d’un an , renouvelables sur trois ans sont organisés autour de 3 filières, le tourisme, les métiers du spectacle, les métiers d’art. Bien entendu nous continuons d’être pris pour des fous puisque, en plus nous faisions le pari d’avoir à trouver collectivement le "comment faire pour que des individus (étiquetés : en difficultés, avec un bas niveau de qualification, etc. etc.), autour d’une opportunité telle que nous la proposions, dans des filières "décalées", soient capables de participer à la construction des réponses à leurs propres questions ? . C’est ainsi que nous avons dû pendant ces trois ans cohabiter, échanger, nous disputer, etc....... pour accepter enfin, parce que les stagiaires avaient fait leur chemin, produit des résultats tangibles , que nous aussi nous avions avancé à grands pas et que, au lieu de tuer nos rêves nous avions commencé à leur donner une existence.

 

LA CRÉATIVITÉ SOLLICITÉE : la perdurance de la démarche participative sans cesse réinventée

Ces grands pas, il fallait les accepter aussi comme une longue marche à poursuivre (ils traçaient le chemin dans un paysage que nous commencions à modeler) mais il fallait aussi oser les transformer en enjambées et les faire monter en puissance. C’est ainsi que nous avons continué la boucle. Nous avons gardé comme élément de "créativité" de cette première histoire le stage métiers d’art que nous avons renouvelé et nous nous sommes engagés sur une filière industrielle, celle des NTCI. Nous nous sommes appuyés sur le savoir faire collectif acquis pendant ces trois ans et sur notre capacité de relier des partenaires autour de la co-élaboration d’un projet fédératif . C’est ainsi que nous avons répondu à un troisième appel d’offre européen autour de la filière cinéma-audio-visuel "Territoire Apprenant et Patrimoine".

Le but de ce projet : mettre en place un Système d’Information territorialisé sur la filière cinéma-audio-visuel s’appuyant sur notre démarche participative et sur le patrimoine de compétences locales. Son objectif : que l’ensemble des acteurs (entreprises, société civile, structures de formation, partenaires institutionnels) partagent leurs informations et leurs connaissances dans ce domaine et développent des actions, des produits, des événements en commun,

Au terme d’une année, dans une filière qui nous était inconnue et dont nous ne savions pas comment l’aborder, nous travaillons avec des entreprises, des organismes de formation, des universités dont une nous a confié une étude sur "qu’est-ce que le maillage territorial, et comment le faire". Le partage de l’information, ainsi qu’une pratique volontariste de se rencontrer, mettre en contact, transférer notre méthodologie, nous a amenés à travailler avec les services économiques de 4 villes alentour. Ce travail a eu comme premier impact celui de réunir 5 villes du bassin d’emploi autour de la signature d’une charte intercommunale pour le développement du pôle audio-visuel, ainsi qu’un protocole de travail où sont déjà fixés les champs et les actions à mettre en oeuvre. Nous avons travaillé à une amorce de plan stratégique de formation conçu par le triptyque entreprise-organisme de formation-association. Ceci bien entendu autour de la question/défi posée au départ sur l’individu et sa place sur un territoire.

Nous voyons comment, sur cette dernière expérimentation nous articulons non seulement les individus (élus, citoyens, techniciens) mais aussi la filière, le territoire, la formation. Comment, par ailleurs s’intègre collectivement cette nouvelle façon de faire autour de trois pôles : "la genèse autorisée" non plus par les institutions mais par les différents acteurs qui s’auto-autorisent à affirmer qu’ils créent de nouvelles formes ; "la créativité sollicitée" pour dépasser les freins au développement ; "l’impertinence recommandée" , non pas comme une forme de contestation mais comme une proposition/intention qui se doit de négocier son innovation avec son environnement et les institutions diverses (donc son décadrage/décalage avec l’orientation/norme décrétée si celle-ci ne correspond pas à ce qui se joue localement).

 

Ce travail en boucle nous permet de retomber sur le premier point de mon exposé, à savoir que pour socialiser le pouvoir il faut socialiser le savoir : la socialisation ne se passe pas sans impertinence (débat autour des enjeux, des contradictions, des représentations). Il nous permet également de voir comment se territorialise cette démarche d’apprendre et d’entreprendre ensemble, qui permet de dépasser cette notion de territoire et la transforme en société apprenante, gage de démocratie. Pour cela il faut OSER, et pour OSER il faut un minimum de CONFIANCE/ESTIME EN SOI ET EN LES AUTRES.

 

ALORS, finalement, comment se sont constitués les éléments de confiance ?

Le premier transparent que je vous soumets servira je l’espère de base pour rendre compte de la complexité de cette/ces histoires.

1° - Je dirais que la confiance s’est construite paradoxalement sur un refus : celui qu’une société de plus en plus riche génère de plus en plus de pauvreté et sur un signal clair et provocateur (impertinent) à un moment où en pleine surmédiatisation des dispositifs d’insertion un certain nombre de personnes osent dire "non à l’insertion, oui au développement" (réactivité) , où des institutions acceptent ce refus bien qu’ayant elles-mêmes à gérer des dispositifs et intègrent malgré tout la possibilité de travailler sur les tensions entre réalité/intuition/conception en investissant cette énergie créatrice ( genèse autorisée, créativité sollicitée ou l’impertinence est recommandée).

2° - Cette confiance faite à la capacité de créativité de la démarche qui émerge et des personnes qui s’y engagent développe la conscience de l’obsolescence du cadre dans lequel est construite la politique d’insertion qui vise à insérer durablement des personnes dans le système qui les a exclues, ce système étant lui même en crise, en mutation.

3° - Elle rend visible la volonté et/ou la nécessité d’avoir à construire une vision partagée non seulement de cette situation mais de l’avenir. Cette vision ne peut se créer seule, elle nécessite non seulement des mises en relation, des temps de mises en vues, et d’acceptation d’oser la création, mais aussi un travail paradoxal entre deuil et genèse.

4° - Elle amène à adopter une posture stratégique "plutôt que de courir derrière ce qui meurt et s’épuiser à mourir avec, investissons des actions génératrices de désir, d’énergie, de vie porteuses d’innovation" mais ces actions sont à construire avec l’usager (conception assistée par l’usage) ainsi que les produits ou services qui en découlent.

5° - Cette posture a besoin d’une inscription stratégique : le "nous" de la co-opération se constitue sur le "je-identité" des acteurs ; mais également d’une inscription territoriale revisitée par l’ensemble, où le territoire devient terreau et ressource, et n’est plus abordé comme une lourdeur véhiculée par les politiques d’insertion, à savoir le territoire-handicap.

 

 

...... et les processus, quels sont-ils

Le deuxième transparent rend plutôt compte de la trame de deux processus repérés par lesquels se construit la confiance.

1° - Le premier processus parle de l’épreuve initiatique collective de co-naissance, co-construite et co-conduite, chemin faisant, où se travaille le travail des frontières (ouverture, dépassement des cadres et des normes) au risque de ..... ne plus pouvoir revenir en arrière puisque l’on met le doigt dans un processus de quête, d’acquisition, de recherche de connaissances.

 

2° - Le second est un processus désirant par le donner à voir. Il prend racine sur le "désirer" et "être désiré" qui font naître et nourrissent la confiance. C’est la mise en présence, la mise en parole, la mise en vue, en écriture qui met les partenaires en situation d’écoute collective et de re-connaissances des identités. Chacun compte pour UN. Le JE existe, s’exprime, se revèle aux autres, à lui-même : enfin le JE peux révéler son propre désir et le négocier avec ou par rapport aux autres.

Cette révélation/re-connaissance dégage un espace possible de création de prises aux, et d’emprise de, désirs. Cette situation devient alors terreau où peuvent se créer des entre-prises non seulement désirées, mais désirantes.

Paradoxalement encore, c’est un processus de confort, là où il y a difficultés et échecs qui s’installe sur fond de culture de la liberté, d’entraide, différente de la culture dominante de mise en concurrence, en compétition quand ce n’est pas de pillage de l’autre.

Il délivre les énergies et les ressources et devient source de patrimonialisation, productrice de gains d’assurances. Dans ce processus on travaille à investir par l’écoute, la compréhension, la traduction, l’attente de quelqu’un pour trouver une voie qui lui permette de dépasser l’obstacle. On travaille aussi à oser dire "je crois comprendre", "je ne porte pas de jugement" ou "je ne sais pas". Sans empiéter sur son chemin ; on lui reconnaît par un premier geste sa difficulté . L’installation de ce processus de soulagement peut permettre un embrayage et le libre dépôt d’un désir constitutif du patrimoine collectif .

Cette façon de faire est tout sauf uniquement économique -au sens monétaire du terme- elle constitue paradoxalement un réservoir de ressources financières mobilisables par l’économie du "faire ensemble".

C’est ainsi que le confort et la confiance produite par celui-ci nourrissent cette patrimonialisation qui autorise l’actualisation de potentialités individuelles et collectives.

 

 

Pour ne pas conclure :

Nous pouvons dire que la confiance se construit dans la triangulation suivante : initiation/confiance/ enjeu

- l’initiation : "je ne sais pas, je comprends" "je suis un sujet grandissant et je prends le risque de la transformation par l’épreuve de la reliance de mon désir/aventure"

- la confiance en moi : "je m’exprime, je fais" "je suis acteur-auteur" et "je mets en vue mon identité singulière mais dans un collectif qui investit la diversité et la différence, où la singularité est attendue

- l’enjeu : le "je" dans le "jeu" , je fais et je suis de la partie, non seulement comme auteur mais aussi comme acteur et animateur-initiateur de ce jeu.

 

 

En guise de conclusion : Ayez confiance en vous et vous vous en prendrez à perpète !

 

 

 

 

 

 

 

 

NB : Pour sa communication sur les processus de construction de confiance Gilles Hériard-Dubreuil (Mutadis Consultants) s'est appuyé sur un cas concret d'intervention délibérée en situation complexe : le Projet ETHOS qu'il conduit en Biélorussie avec diverses équipes de recherche. Le texte ci-après présente ce projet, son contexte, ses objectifs et les principaux résultats obtenus à ce jour. Il est co-signé par les principaux animateurs de ce vaste projet. Celui-ci éclaire non seulement le premier thème du Grand Atelier, celui de la confiance, mais aussi les deux autres, à savoir les processus d'accompagnement et de cognition collective.

Le Projet ETHOS en Belarus

Village d’Olmany- disctrict de Stolyn

G.Hériard-Dubreuil* (1), P. Girard (1), J.F. Guyonnet (2), G. Le Cardinal (2), S. Lepicard (3), P. Livolsi (3), J. Lochard (3), M. Monroy (2), H. Ollagnon (4), V. Pachkievitch (6), A. Pena-Vega (2), V. Petroviet (7), V. Pupin (4), J. Rigby (2), I. Rolevitch (5), T. Schnieder (3).

 

Les objectifs du projet ETHOS dans le contexte de la réhabilitation post-accidentelle

L'objectif du projet ETHOS est de créer les conditions d'une réhabilitation durable des conditions de vie dans les territoires contaminés en s'appuyant sur l'implication active de la population et des autorités locales dans la reconstruction de conditions de vie acceptables dans les territoires contaminés. C'est une approche originale et novatrice qui associe les dimensions techniques et sociales dans une démarche interdisciplinaire incluant différents types de compétence (radioprotection, agronomie, sécurité et construction de la confiance, gestion sociale du risque). L'approche proposée est décentralisée et vient compléter les actions collectives engagées jusqu'à présent. C'est un projet financé par la Communauté Européenne. Il a été construit à partir des résultats du programme scientifique d'évaluation des conséquences de l'accident de Tchernobyl réalisé en coopération entre l'Union Européenne et la CEI (1991-1995).

L'accident de Tchernobyl a gravement affecté la vie quotidienne des personnes qui vivent dans les territoires contaminés non seulement sur le plan sanitaire mais également sur le plan de la qualité de vie (économique, sociale, culturelle, écologique, esthétique, éthique). La réhabilitation des territoires ne peut concerner uniquement la dimension radiologique de cet accident. Elle doit nécessairement prendre en compte les autres impacts (économiques, sociaux, ¼) de cet accident sur la vie quotidienne si l'on veut que cette réhabilitation soit réelle et durable. La protection radiologique s'est traduite jusqu'à présent par de nombreuses interdictions et restrictions qui ont plutôt renforcé cette dégradation des conditions de vie générales des populations. C'est pourquoi il faut s'efforcer de trouver des modalités de réhabilitation qui permettent la protection radiologique tout en favorisant une réelle reconstruction des conditions de vie.

Une autre dimension importante du projet ETHOS est la recherche d'une affectation aussi efficace que possible des moyens alloués à la protection et à la reconstruction des territoires contaminés (optimisation). Pour favoriser l'avenir des territoires contaminés à long terme, il est nécessaire que les ressources consacrées à la protection et à la réhabilitation soient affectées d'une façon aussi efficace que possible pour augmenter la rentabilité des investissements d'une part, mais aussi pour réduire la dépendance structurelle de ces territoires dans l'avenir d'autre part. Dans cette perspective, l'implication des acteurs locaux est essentielle pour construire des solutions adaptées aux spécificités de chaque contexte local et qui répondent à leur propres objectifs (acceptabilité des choix). En effet dans bien des cas, la vie dans les territoires contaminés suppose des choix entre des objectifs pas nécessairement convergents (entre niveau de protection et niveau de vie, entre efficacité à court terme et efficacité à long terme, etc.) qui sont impossibles à réaliser d'une façon théorique à la place des personnes et des communautés locales concernées.

Principaux résultats du projet ETHOS dans le village d'Olmany, District de Stolyn

Le projet ETHOS a débuté dans le village d'Olmany (District de Stolyn) en 1996, à la suite d'un processus de sélection basé sur le volontariat des autorités locales. Une charte de coopération, précisant les objectifs du projet ETHOS et les modalités de mise en oeuvre et d'information sur les trois années du projet (1996-1998) a été signée en Juillet 1996 entre le Ministère des Situations d'Urgence du Belarus, le District de Stolyn et le Village d'Olmany d'une part et l'équipe européenne de recherche du projet ETHOS, d'autre part.

Depuis juillet 1996, des groupes de travail ont été mis en place, avec la participation de volontaires parmi les habitants du village et la participation du Kolkhoze d'Olmany, centrés sur des objectifs concrets d'amélioration des conditions de vie qui ont été définis par les habitants eux-mêmes. Six groupes de travail ont été ainsi créés:

Perspective futures pour le projet ETHOS, vers un projet de District

Le projet ETHOS est actuellement mené à l'échelle d'un village. Les premiers résultats permettent d'escompter qu'il a contribué à des améliorations significatives des conditions de vie dans le village d'Olmany. Ses conditions de diffusion sont actuellement à l'étude en liaison avec les autorités du district. La question posée pour une prochaine étape de ce projet est celle de son extension et de l'étude des conditions dans lesquelles il est possible à l'échelle du district de s'appuyer sur cette expérience pour élaborer un projet plus large visant à l'amélioration durable des conditions de vie dans l'ensemble des villages du District affectés par l'accident de Tchernobyl et dont les artisans puissent être les autorités et l'administration du district avec le concours de la population du District et de l'équipe de recherche ETHOS. Dans cette perspective une réflexion a été engagée avec les autorités du District pour définir le cadre d'un futur projet ETHOS du District de Stolyn associant les différentes compétences administratives locales (agriculture, santé, éducation, agro-alimentaire, radiologie, social), s'appuyant sur les résultats du projet ETHOS réalisé à Olmany. Ce projet s'articule autour de différents objectifs cohérents avec les orientations du programme national biélorusse de réhabilitation des territoires contaminés (Kenik, Juin 98 - Bruxelles), c'est-à-dire:

Sur un plan opérationnel, un projet ETHOS à l'échelle du district viserait la pérennisation des résultats acquis à Olmany et s'appuierait sur cette expérience, en coopération avec les participants du projet ETHOS d'Olmany, pour élaborer des modalités concrètes d'actions susceptibles d'être mises en oeuvre par l'administration du district dans le cadre d'une collaboration internationale.

Références

B) Repères dans des processus d’accompagnement


Accompagner le changement

dans les interventions délibérées en situation complexe :

Quelles connaissances "actionnables"

pour quelle prise en compte d’une visée éthique ?

 

Frédérique Lerbet-Sereni

Université de Tours

 

 

Deliberare est révélateur en lui-même de complexité, puisqu’il signifie à la fois " réfléchir mûrement, discuter sur un sujet et prendre une décision ". Sont ainsi posés : le retour de la personne sur elle-même (ré-flexion), l’interaction avec un ou des autres pour confronter les points de vue élaborés singulièrement et, éventuellement les re-construire ensemble et chacun pour soi (discussion), et enfin parvenir à une compréhension qui semble satisfaisante au point qu’elle va déboucher sur des modifications d’actions à travers une prise de décision. L’une des questions majeures étant de savoir qui décide de quoi et pour qui. Mais, déjà, des enchevêtrements de temps, de représentations et de relations, enchevêtrements éventuellement contradictoires, sont prononcés avec le terme de " délibération ", qui, à lui seul contient des articulations multiples, desquelles pourrait émerger un nouvel espace de liberté, délivré à lui-même.

Intervenir, c’est venir faire tiers entre deux " quelque chose ". Au-delà d’une acception simple de l’intervention qui s’apparenterait à de la substitution et/ou de la réparation (dans une logique classique du tiers exclu), on peut tenter de concevoir le statut du tiers de façon paradoxale (j’ai envie de dire " délibérément " paradoxale), dans une logique cette fois-ci du tiers-inclus, où l’intervention, le tiers, est proprement conjointement et dialectiquement de l’ordre de la coupure/lien (cf. Caillé, Dupuy, Imbert, Sibony, Varela). C’est-à-dire qu’il permet à la fois de la séparation et de la relation, à la fois de la reliance et de la déliance, à partir desquelles des formes de réorganisations singulières, non préprogrammables, étonnantes, sont susceptibles d’advenir.

Accompagner, si l’on veut bien différencier cette action, comme je vais vous le proposer, de celle du " guide " et de celle du " compagnon ", renvoie également à une perspective paradoxale. J’aborderai cette approche à partir du travail de ce que l’on appelle traditionnellement le directeur de recherche ou de mémoire, c’est-à-dire celui qui assume la position d’accompagner un autre devant produire de l’intelligibilité et/ou des opérationnalités professionnelles à propos de " situations complexes ", l’une et l’autre dimension étant assimilables à des " interventions délibérées ".

La posture du guide, qui met en œuvre des processus de l’ordre de la guidance, installerait le directeur comme celui qui sait là où l’autre doit aller (il "dirige ", indique la direction), et comment y aller (il " oriente "). Sachant cela, son travail est tel que l’autre se conforme à cette trajectoire, puisque grâce à elle, il réalisera la production attendue. Dans ce cadre, il saura " protéger la marche " de l’autre vers ce nouveau lieu qu’il lui aura désigné. Aussi bien, le stagiaire se verra mis en position d’  " assistance ", afin de réussir parfaitement son procès d’  " adaptation ", -ici, pour l’essentiel, adaptation aux représentations que le directeur se fait à la fois du mémoire et de la professionnalité comme produits préformatés et préprogrammables. Le but n’est pas alors la mise en forme d’un auteur par lui-même, mais d’un agent sachant mettre correctement ses pas dans les traces qu’un autre a faites pour lui, parce qu’il se tient devant lui, dans la mesure où il est celui qui sait déjà.

La posture du compagnon, dans le travail de compagnonnage, mettrait celui-ci non plus devant, comme dans la guidance, mais en face de l’autre, compagnon lui-même de celui avec qui il partage le pain. L’un et l’autre se trouveraient ainsi conjointement et tour à tour engagés sur un chemin qu’ils partagent, comme à égalité, chemin qu’ils ont a priori en commun, en même temps qu’ils l’élaborent et le construisent. Selon les instants, l’un et l’autre peuvent donc se trouver alternativement devant ou derrière, la posture de strict face à face ou côte à côte portant en elle, si elle se stabilisait ainsi, le risque de se figer dans une compulsion statique d’imitation symétrique, qui piétinerait sur place plutôt que de dessiner un chemin. Les compagnons s’épaulent mutuellement, peuvent compter l’un sur l’autre, et découvrent ainsi l’un comme l’autre, une part d’eux-mêmes qu’ils n’auraient pas rencontrée sans l’autre. Dans le travail autour du mémoire ou de la recherche, cette dimension apparaît quand le directeur conçoit la possibilité d’apprendre lui-même quelque chose qu’il n’avait pas envisagé de cette façon là, les questions et les recherches liées à ce mémoire qui prend peu à peu forme pouvant figurer ce " pain " à partager. Travail de co-élaboration, donc, dans lequel on retrouverait le double apport de l’un et l’autre, mis en tension et articulé singulièrement par l’un des deux seulement, celui qui produit le travail.

L’accompagnement, dans sa connotation classique, placerait alors l’accompagnateur davantage en retrait, derrière celui qu’il accompagne. A sa disposition, prêt à aider dans la mesure de ses possibilités, il cherche à s’offrir à  une relation qui permettra à l’autre d’inventer son trajet (différencié ici de trajectoire comme le propose Ardoino)), de se réaliser lui-même, d’accomplir son œuvre propre. Situation proprement paradoxale dans le cadre qui nous intéresse, puisque ce serait là celui qui sait qui serait dans l’ombre, non pas prêt à bondir pour rectifier et mettre l’autre dans le droit chemin, mais pour assurer l’autre quant au chemin qu’il choisit, et, partant, le rassurer et lui permettre de l’audace. Il est garant d’un cadre et de normes dont il libère provisoirement l’autre pour lui permettre, d’une part, de dégager ce qu’il possède de capacités d’invention en lui, et d’autre part, de se réapproprier les dites normes dès lors qu’il a pu en partie s’en affranchir. L’accompagnateur est donc un passeur dont la posture n’est jamais stable, puisqu’il est derrière ce qu’il doit voir, contraint à des contorsions pour ne pas obstruer la vue de l’autre s’il veut pourtant voir en partie ce qui se profile. Il a l’air de ne pas être là, et pourtant, qu’il disparaisse, et c’est le risque de vide et d’absence de retenue qui peut apparaître chez l’autre, qui pourtant avec lui ne produit que lui-même. Le stagiaire signe son travail. L’étudiant est auteur de sa recherche. Il mentionne son directeur, en retrait, peut-être celui qu’il " s’associe dans la possession de (son) bien " (ce qui renvoie à l’étymologie première d’accompagnement).

Ces trois termes, on le voit, sont idéologiquement connotés : chacun d’eux traduit une approche nettement différenciée de la formation, de l’apprentissage, de l’enseignement, du travail social, de l’intervention, de la place faite au sujet, de celle faite à la technique, de celle faite à leurs articulations tâtonnantes et contradictoires, dans ces processus. Le terme d’accompagnement, parce qu’il est justement paradoxal dans la mesure où il place celui qui dirige en retrait par rapport à l’autre, semble donc d’emblée poser comme problématique, et donc devant être réfléchi et travaillé, ce lien singulier par lequel l’  " auto ", le " se " de quelqu’un se construira en passant par un autre que lui (un " hétéro ").

Sans doute l’une des difficultés majeures de ce travail d’accompagnement réside-t-elle dans le fait qu’il s’agit surtout de savoir " jouer " de ces différents registres du guide, du compagnon et de l’accompagnant, jouer selon les personnes, selon les moments avec chaque personne, sans que l’on puisse jamais absolument savoir ce qui va convenir, ni même ce qui a convenu. Entre devant, en face, à côté, derrière, c’est dans des jeux, des entremêlements, des enchevêtrements hiérarchiques au sens de Barel et de Dupuy, que se tisse la possibilité, pour celui qui produit, de se construire tel qu’en lui-même et de construire son objet d’interrogation, en même temps qu’il s’approprie la culture de référence nécessaire à sa professionnalisation ou les savoirs savants pertinents pour sa recherche On peut alors mettre davantage l’accent sur une forme de spacialisation, comme je viens de le faire, ou de temporalité, ou de rapport à l’aide, ou d’investissements dans l’articulation contradictoire entre les savoirs théoriques et les savoirs pratiques et les mouvements de distanciation/appropriation que le stagiaire et l’étudiant doivent opérer par rapport à leur propre production et par rapport à leur engagement de terrain etc. Mais la relation dite de direction de mémoire et de recherche semble structurellement ne se laisser assigner à aucune place prête à l’emploi, et se joue plutôt de tissages et d’entrelacements entre des postures multiples, que le terme d’accompagnement, avec tout le flou qu’il génère dès lors qu’il est retenu pour traduire le travail de " celui qui est supposé savoir ", traduirait au moins mal.

Sur ces différentes figures et postures de l’accompagnant, je vous renvoie au livre de Bauchau, Oedipe sur la route, qui met en scène des relations différenciées et contradictoires d’accompagnement à travers différents personnages, et tout particulièrement entre Antigone et Oedipe : il s’agit tour à tour et tout à la fois d’être avec, à côté, devant, derrière, contre, sans, loin, dans une tension de l’absence/présence de telle sorte que l’errance par laquelle l’autre se révèle à lui-même puisse se supporter elle-même.

Articuler " intervention ", " délibération " et " accompagnement ", en termes d’opérationnalité d’action, c’est alors se demander ce qui peut être fait, qui n’écrasera pas, qui n’aplatira, qui ne disjoindra pas a priori l’ensemble de ces liens complexes et paradoxaux que nourrissent entre eux ces termes, et qui pourraient autant nous pétrifier et nous empêcher d’agir, que nous contraindre à de la chirurgie mutilante, si l’on voulait échapper à l’inconfort du paradoxe. Se demander donc ce qui peut être fait de telle sorte que j’accompagne (paradoxalement) quelqu’un qui procède à une intervention (c’est-à-dire qui assume une place tierce, potentiellement paradoxale) de façon délibérée (réfléchie, partagée) dans une situation complexe (où la maîtrise absolue est reconnue impossible et impertinente), c’est-à-dire où la prise de décision en matière d’action et de changement ne lui appartient pas strictement, bien qu’il ait à participer à son élaboration. C’est-à-dire, que faire pour que d’autres que moi, avec qui j’ai accepté de m’engager, inventent leurs propres modalités d’intervention délibérée, présentes et à venir, modalités que, par définition, je ne peux anticiper, puisque ce sont les leurs, qu’ils en sont potentiellement porteurs, mais qu’ils ne connaissent pas pour autant. A travers le travail de recherche que j’ai pu faire sur cette relation où il s’agit d’accompagner la production de savoir (au sens large) d’un autre au prise avec des situations complexes, je propose de formaliser cette relation comme une relation paradoxale où s’enchevêtrent contradictoirement, pour l’accompagnant, engagement et retenue.

... pour une construction d’actions problématisables...

Si l’on veut alors que ce travail de reconnaissance des paradoxes à l’oeuvre dans toute situation d’interactions humaines devienne " actionnable ", comme le propose ce grand atelier, nous devons également prendre en compte la dimension éthique de cette problématique. En effet, dès lors que l’on se situe dans le champ de l’action, c’est-à-dire que l’on aurait la possibilité de " transformer " l’autre que soi, de l’amener à ce que l’on connaît déjà, à ce que l’on pense pouvoir être bon, bien etc. pour lui, pour la situation dans laquelle il se débat, nous rejoignons les questions morales et politiques. Dire " éthique ", c’est dire alors dire " praxis " (par opposition à poïesis, c’est-à-dire fabrication, transformation en une forme pré-établie, conçue par un autre. Cf. Ardoino, Arendt, Aristote, Imbert, Ricoeur..). C’est dire qu’après tout ce travail de réflexion duquel émerge le fond paradoxal de la relation de l’homme à lui-même, à l’autre, aux autres et au monde en situations complexes de délibération (ou de délibération en situation complexe), les connaissances " actionnables " sont à mes yeux des connaissances de la " limite " (cf. Kant, Liiceanu) et, donc, des connaissances de " liberté " (cf. de-liberare) ou d’  " autonomie ", qui vont permettre à l’autre de construire ses propres coupures/liens par rapport à la situation dans laquelle il doit inter-venir de façon délibérée. Si, en tant qu’accompagnant, je suis un tiers qui lui permet de s’autoriser à ses propres contradictions et à les travailler, pour qu’il agisse avec elles, je ne peux savoir, ni d’avance, ni même pendant, absolument, si ce sont plutôt mes paroles ou mes silences qui l’ouvrent à lui-même. Mais ce serait, en tous les cas, un travail soutenu par l’exigence de la question, afin qu’il ne soit pas pris, capturé par sa situation, qu’il s’en sépare et qu’il se re-pense avec elle, qu’il la re-pense avec lui. Ce serait un accompagnement de l’apprentissage à l’élaboration de son propre mode de questionnement, à travers des jeux de démêlements/retissages, de telle sorte que la richesse et la complexité des situations soit assumées, plutôt que d’être réduites aux seules intelligibilités qui répondent aux réponses que l’on porte d’avance en soi.

Ce qui réintroduit la dimension interactive de la délibération, qui veut que de la discussion aussi puisse émerger une intelligibilité co-construite, par confrontation des questionnements, où la praxis est travail de la parole et du silence. Dans cette perspective, les tiers deviennent multiples et cependant différenciés, leurs confrontation/conjonction étant produites par la personne elle-même, dans une dynamique du tiers cherché, pour reprendre la belle formulation de J.-L. LeMoigne à ma soutenance d’Habilitation, qui vaut, lui aussi, d’abord pour sa quête. L’éthique de l’accompagnement, c’est alors, également, de ne pas laisser pour compte la question de l’accompagnement de l’accompagnant, qui doit, à son tour, pouvoir travailler ses propres questions, ses propres peurs, ses propres errances, dans un autre espace/temps, afin qu’il ne soit pas tenté de se croire ni tout-puissant, ni impuissant, quand il doit accompagner des interventions délibérées en situation complexe. Un accompagnant qui doit, au fond, avoir vécu et vivre encore ce travail de questionnement par lequel il se construit tel qu’en lui-même. Où, produisant de la connaissance en question, il voit que non seulement il apprend, mais il prend aussi la mesure de sa propre ignorance, de la fécondité de ses errements. C’est à dire quand il a appris à construire et à se laisser guider par son questionnement, sans savoir a priori ce qui peut en advenir, et qu’il a fait l’expérience de l’immensité comme de l’absence ou de la confusion qui peut en émerger. Faute de cette expérience-là, combien il peut paraître tentant de vouloir tenir et contenir l’autre dans ce que l’on croit être des limites universelles incontournables du savoir formalisé et de la réponse (de l’ordre donc de la morale, de la règle et de la norme), limites dont on connaît à la fois la force créatrice et la plasticité contenante, si l’on a peu à peu appris à jouer avec elles, c’est-à-dire à les faire jouer, en les questionnant.

...qui prenne en compte une visée éthique.

Je place cette exigence de questionnement sous le sceau de l’éthique, parce qu’aucune loi externe, juridique, formalisée, ne vient encadrer tout cela. C’est plutôt le sentiment profond de la responsabilité que j’engage à l’égard d’autrui quand j’accepte la charge d’accompagnement qui m’y oblige (au sens moral), et, plus loin encore, de la responsabilité, qu’à travers lui, j’engage à l’égard de l’humanité à venir, puisqu’il accompagne ceux qui à leur tour accompagneront ceux qui à leur tour etc (cf. Arendt, Jonas).

 

Ardoino (J), 1996, " Editorial ", Pratiques de formation (Analyses), n°31, p. 5-8.

Arendt (H.), 1961, Condition de l’homme moderne, Paris,Calmann-Lévy.

Barel (Y.), 1989, Le paradoxe et le système, Nouvelle édition augmentée, Presses Universitaires de Grenoble.

Bauchau (H.), 1992, Oedipe sur la route, Paris, Labor.

Bolle de Bal (M.), 1996, Voyages au coeur des sciences humaines. De la reliance, Paris, L’Harmattan.

Caillé (P.), 1991, Un et un font trois, Paris, ESF.

Dupuy (J.-P.), 1992, Introduction aux sciences sociales, Paris, Ellipses.

Elkaïm (M.),1989, Si tu m’aimes, ne m’aime pas, Paris, Seuil.

Habermas (J.), 1992, De l’éthique de la discussion, Paris, Editions du Cerf.

Hofstadter (D.), 1985, Gödel, Escher et Bach, Paris, Interéditions.

Imbert (F.), 1987, La question de l’éthique dans le champ éducatif, Pi Matrice.

Jacques (F.), 1985, L'espace logique de l'interlocution, Paris, PUF.

Jonas (H.), 1980, Le principe responsabilité, Paris, Editions du Cerf.

Le Moigne (J.-L.), 1995, Les épistémologies constructivistes, Paris, PUF, Que sais-je ?.

Lerbet-Séréni (F.), 1994, La relation duale. Complexité, Autonomie et développement, Paris, L'Harmattan.

Lévinas (E.), 1991, Entre Nous, Essai sur le penser à l’autre, Paris, Grasset. 

Liiceanu (G.), 1994, De la limite. Petit traité à l’usage des orgueilleux, Paris, Michalon.

Morin (E.), 1980, La méthode 2. La vie de la vie, Paris, Points Seuil

Ricoeur (P.), 1990, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil.

Ricoeur (P.), 1995, " Le concept de responsabilité. Essai d’analyse sémantique ", in Le juste, Editions Esprit, p. 41 à 70.

Rogers (C.R.), 1968, Le développement de la personne, Paris, Dunod.

Sibony (D.), 1991, Entre-deux. L’origine en partage, Paris, Seuil.

Selvini-Palozzoli (M.), Cirillo (S.), Sorrentino (A.-M.), 1990, Les jeux psychotiques dans la famille, Paris, ESF.

Varela (F.), 1989, Autonomie et connaissance, Paris, Seuil.

Villey (M.), 1977, " Esquisse historique sur le mot responsabilité ", in Archives des philosophies du droit, n°22, La responsabilité, p. 45-58, Paris, Editions Sirey.

Violet (D.), 1997, Paradoxes, autonomie et réussites scolaires, Paris, L’Harmattan.

Watzlawick (P.), Weakland (J.) et Fisch (R.), 1975, Changements, paradoxes et psychothérapie, Paris, Points Seuil.

Winnicott (D.), 1975, Jeu et réalité, Paris, NRF, Gallimard.

 

Quelques repères dans la conception/accompagnement

d'un changement organisationnel

Philippe Deshayes

LAREA, UMR LOUEST 7544 CNRS

& École Centrale de Lille

 

La processus d'accompagnement dont il sera question est celui mené dans le cadre de l'Ecole Centrale de Lille depuis la fin des années 80, moment à partir duquel s'est enclenchée une dynamique d'évolution et de profondes transformations dans son approche de la formation d'ingénieurs généralistes. Impulsée au départ par l'incitation à des innovations pédagogiques sectorielles, cette première dynamique s'est vite trouvée confrontée à la nécessité d'un changement beaucoup plus radical du regard porté sur le système de formation dans toutes ses dimensions : programmes, pédagogies, didactique, gestion, organisation, etc.

Un travail collectif s'est alors engagé qui a duré quatre années (de 1988 à 1992) et a associé l'équipe de direction de l'établissement, les enseignants, chercheurs, élèves et personnels administratifs. Formellement, il s'est développé en plusieurs phases et activités associant réunions de travail sur l'interdisciplinarité, sur la pédagogie, sur l'évaluation, etc. ; périodes de formation des participants, moments de confrontation à des intervenants extérieurs de l'entreprise et de la recherche, phases de production de finalités partageables et de propositions concrètes, phases de validation et de décision, etc... Une nouvelle organisation fut mise en oeuvre en 1992 qui, elle-même, fait aujourd'hui encore l'objet de constants retours réflexifs et d'une dynamique d'évolution...

Au-delà de l'objet de ce processus - un changement organisationnel- et de l'intérêt que son résultat a pu susciter (et suscite toujours) auprès de divers responsables de formation d'ingénieurs et autres organismes gestionnaires de l'éducation, il a mis en scène une façon de travailler qui, sur trois plans au moins, me paraît digne d'intéresser notre communauté MCX.

Les repères qui sont proposés ici s'appuient, eux, sur l'expérience plus particulièrement liée à mon engagement dans ce processus : à la fois enseignant dans l'établissement et chercheur dans le domaine des sciences de la conception (sur le terrain de l'architecture), mais aussi directeur-adjoint de l'établissement en charge, justement, des études...

En l'occurrence, dans ce processus, j'étais donc moi-même, à la fois, solidairement et contradictoirement :

Ce caractère multi-dimensionnel fut aussi celui des autres intervenants de du processus....

En regard de cet engagement, trois principaux repères sont offerts à la discussion :

1er repère : intervenir délibérément, accompagner, c'est aussi concevoir... l'intervention.

Il convient donc de prendre acte que l'activité d'accompagnement est solidaire d'une activité de conception. On entend ici conception comme élaboration d'un projet de réalisation et non comme la réalisation de ce projet. Ceci implique que certaines connaissances actionnables relatives à l'acte de conception soient donc envisagées sinon énoncées... Parmi les connaissances acquises tout autant qu'en travail dans ce domaine, on mentionnera principalement ici la nécessité de la prise en compte d'une dualité ou de la co-présence de deux composantes indissociables dans la conception : une activité relevant de la part d'action liée à l'interaction entre acteurs à l'oeuvre dans le processus de conception et un travail relevant, lui, de la part d'action intériorisée à l'oeuvre chez tout acteur de ce même processus.

 

2ème Repère : "plusieurs en un seul"

Il s'agit ici de la nécessité, pour l'accompagnant, de prendre acte (sinon conscience) de la multiplicité des autres et de sa propre multiplicité. Dans la mesure où nous avons introduit un premier repère relatif à la conception dans l'action d'accompagnement, nous exprimerons cette multiplicité en termes de multi-positions, multi-rôles et multi-comportements, à la fois solidaires et contradictoires... La traduction proposée de cette multiplicité complexe est représentée dans le transparent suivant -modifié depuis sa présentation en tenant compte des réactions au terme de sujet initialement présent dans la figure :

3ème repère : "l'intelligence circonstancielle"

Il s'agit ici de prendre acte que les choses se font autant par l'exercice d'une intelligence circonstancielle que par planification, hasard, voire génie...

Les circonstances dans laquelle se développe l'action nous conduisent conjoncturellement à supputer, à profiter, à créer, à déployer...Ce faisant, l'instant n'est pas une coupe synchronique dans la diachronie ou la dynamique d'un processus mais bien un potentiel d'une autre nature. Autrement dit, une temporalité circonstancielle s'articule aux deux temporalités canoniques de l'action que sont celles de la diachronie et celle de la dynamique du système...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C) Repères dans la construction de cognition collective

 

Cognition collective et nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Vers des propriétés émergentes d’autonomie/dépendance.

 

Jeanne Mallet

Maître de Conférences HDR

Université de Provence

Introduction

Le renouvellement rapide des technologies, issues d’un investissement massif en recherche fondamentale et appliquée, couplé avec une mondialisation de l’économie, qui en est le corollaire et l’amplificateur, bouleverse de plus en plus profondément et rapidement les organisations particulières que sont les entreprises privées compétitives. Au delà des éclairages que peuvent nous apporter les domaines disciplinaires classiques de la micro et de la macro économie, élargis notamment aux apports de la psychologie sociale, il nous semble que les mutations structurelles et culturelles de ces organisations peuvent être lues, avec intelligibilité, tout particulièrement à partir des théories de l’auto organisation et des perspectives ouvertes par la pensée complexe d’Edgar Morin.

On défendra dans ce cadre les concepts d’organisation apprenante et de cognition collective.

Et on soulignera, à ce propos, la dynamique et la spécificité de propriétés émergentes dans ces organisations, propriétés amplifiées aujourd’hui par l’usage de nouvelles technologies collaboratives.

 

a) La richesse et les ambiguïtés du concept d’organisation apprenante

Le concept d’organisation apprenante semble aujourd’hui avoir un écho dans de nombreux milieux professionnels et de recherche. Toutefois, selon les référents théoriques des interlocuteurs, la signification qui en est donnée peut être plus ou moins approfondie :

- à un premier niveau, ce concept va renvoyer à la dimension potentiellement qualifiante des postes de travail (à la circularité entre le comprendre et le faire), et aux modes d’organisation qui peuvent sous-tendre cette qualification des acteurs, dans et par l’action de production. Bien entendu, cette situation est loin d’être la règle dans de nombreux systèmes de production, pour diverses raisons allant de la taylorisation des tâches à des enjeux de rivalité et de pouvoir entre les acteurs, freinant les apprentissages sur poste de travail, ou même créant les conditions d’une déqualification. On pourra d’ailleurs assimiler cette perte de savoirs et de savoirs-faire, faute de mise en oeuvre dans le champ social du travail, à du " désapprendre ".

- à un second niveau, ce concept d’organisation apprenante déborde les apprentissages individuels, pour s’intéresser, en plus et en même temps, à des apprentissages collectifs multiples et variés, aussi bien au niveau des équipes (locales ou fonctionnelles), que des services ou des sites de production dans leur ensemble. Dans ce cas, l’équipe et/ou l’organisation dans sa globalité est lue comme système vivant, c’est à dire comme système ouvert auto-éco-organisé, système dans lequel les principes de dialogie, de récursivité et d’hologramme, chers à Edgar Morin, pourront être retrouvés, ainsi que des phénomènes de nouvelles propriétés émergentes. A ce dernier niveau d’analyse, les soubassements théoriques seront bien entendus ceux proposés notamment par la pensée complexe d’Edgar Morin, alliant ainsi les propositions de courants théoriques se penchant d’une part sur les dynamiques auto-organisatrices du vivant et d’autre part délibérément sur une philosophie du sujet apprenant (philosophie toujours nécessairement sous-jacente dans l’étude de dynamiques portant sur les groupes sociaux).

L’arrivée massive de technologies de l’information et de la communication, technologies (plurielles et évolutives) de la mise en reliance croissante des personnes, et donc technologies permettant de nombreuses nouvelles récursivités, loin de rendre caduc ce concept d’ organisations apprenantes, nous semble au contraire créer les conditions inédites de son renforcement.

 

b) Le rôle amplificateur des technologies collaboratives : de nouveaux possibles en matière de cognition collective

Les nouveaux possibles

Le développement exponentiel de recherches fondamentales et appliquées débouche aujourd’hui sur une évolution rapide de technologies combinant automatisation de productions de biens et de services, échanges d’information et " communication ". Plus spécifiquement les technologies de l’information et de la communication (NTIC) permettent des mises en réseaux toujours plus nombreuses, compliquées et complexes : en effet, ces technologies permettent de connecter, le plus souvent en temps réel, des machines entre elles, incluant dans certains cas des programmes d’auto-apprentissage (robotique et vie artificielle), mais aussi des machines avec des personnes et des personnes entre elles. Dans toute " toile " ainsi constituée (dont Internet n’est qu’une configuration qui, pour être spectaculaire par son ampleur, n’en reste pas moins relativement homogène), les noeuds de réseaux que sont les sujets (individuellement ou collectivement) deviennent particulièrement sensibles à des récursivités intégratrices, génératrices de créativité, d’approfondissement de significations, d’émergence de nouveaux projets. En bref, on pourrait dire que la " saturation" des réseaux par les " machines non triviales ", que sont ponctuellement les sujets, propulse ces réseaux dans des rebondissements de récursivités imprévisibles mais qui participent ainsi à la robustesse et à la trajectoire de viabilité du réseau.

Les freins

Bien entendu, ces dynamiques heurtent les modes de management les plus habituels, frileusement ancrés dans le répétitif, le prévisible, le maîtrisable, le contrôlable, le planifiable. Les théories, et surtout les pratiques managériales, quels que soient les discours incantatoires, ont essentiellement cherché (par la persuation, la séduction et/ou la contrainte) à réduire les marges d’initiatives du " sujet " salarié, par essence " machine non triviale " et donc imprévisible, et par là même " sujet " relativement inquiétant pour tout encadrement. L’évolution rapide des produits et outils de production, et donc des compétences des acteurs dans les organisations, a requis récemment, non sans fréquentes situations paradoxales, un renversement dans les modes de management et d’encadrement : les salariés sont maintenant sensés être responsabilisés, prendre des initiatives, l’encadrement jouer un rôle formateur...

Avec l’arrivée des mises en réseaux massives, un nouveau saut qualitatif, structurel et culturel (et donc théorique et épistémologique) est en train de se produire, entraînant, notamment dans les grandes organisations de production, les directions générales et les managers intermédiaires dans une nouvelle révolution culturelle : en effet ce n’est pas seulement le sujet individuel qui est vivant (et perçu par l’encadrement comme machine non triviale) mais l’ensemble des multiples réseaux interconnectés qui deviennent imprévisibles , implanifiables, soumis à des récursivités amplifiées par chaque acteur du réseau : ainsi de nouvelles propriétés émergentes sont à attendre dans ce type d’organisations de production, notamment dans des industries à hautes technologies (Compact, Apple, Microsoft...).

 

Des organisations qui " prennent vie " et s’autonomisent

Ces nouveaux systèmes organisationnels, comme tous les systèmes vivants, vont demeurer mortels, impermanents et interdépendants; mais ils vont aussi rentrer (" décoller ") dans des processus d’autonomie/dépendance complètement inédits et robustes, sans possibilité de retour en arrière par décision d’un ou de plusieurs acteurs dirigeants de l’organisation. Par analogie, comme dans la métaphore de Pinocchio, c’est l’organisation toute entière qui prend vie mais, ici, à partir non d’une bonne fée mais de l’accroissement exponentiel des relations entre les sujets, sujets eux-mêmes d’ailleurs vivifiés dans et par les nouvelles responsabilités (par récursivité).

Ainsi, aujourd’hui, on pourrait dire que Internet produit Microsoft, qui produit Internet, mais aussi que Bill Gates produit Microsoft, qui produit Bill Gates : c’est à dire qu’aucun dirigeant, aucun cadre moyen ne peut s’opposer à la logique dominante issue des propriétés émergentes des mises en réseaux croissantes dans ces organisations. Il peut, au mieux, y participer en toute créativité. Mais, ainsi qu’on le voit pour Internet, le réseau " décolle en autonomie ", certes en autonomie/dépendance, mais dans un degré d’autonomie peut être historiquement jamais vu pour des organisations sociales de production.

 

c) Des pistes pour l’action des managers

Apprendre à être en phase (ou en harmonie) en " entrant en pensée complexe "

Les perspectives ci-dessus plaident en faveur d’une véritable révolution managériale qui ne peut reposer, en amont, que sur une révolution théorique et épistémologique. S’éloignant des modèles dominants reposant sur la disjonction (le linéaire, le séquentiel), la pensée complexe proposée par Edgar Morin, au delà des approches théoriques proposées par les modèles des systèmes auto-organisés, nous parait être un fondement propice pour le renouvellement de l’action managériale dans ces nouveaux contextes.

Des freins épistémologiques qui ne sont pas liés essentiellement à un manque d’érudition, mais d’Etre?

La révolution de pensée appelée par Edgar Morin est loin d’être facilement entendue, malgré la diffusion maintenant très connue de son oeuvre, qu’il s’agisse de sphères politiques, économiques ou sociales. Le soubassement épistémologique qui la sous-tend pourrait sembler, a priori, ne demander qu’érudition complémentaire, c’est à dire savoirs nouveaux. C’est peut être alors, à ce niveau, confondre savoir et connaissance. Et cette dernière, toujours mystérieusement émergente dans et par notre expérience humaine d’être au monde, ne " coule de source " que quand nous nous engageons, résolument, dans un cheminement vers ce plus d’Etre, qui est en même temps reliance généreuse et mise en résonance.

 

 

 

Système d'apprentissage dynamique et coopératif pour la préparation à distance de l'agrégation d'économie et gestion

 

Claude ALIA - Béatrice VINCENT, Laboratoire Gestion et Cognition,

Université Paul Sabatier - Toulouse III

 

Le texte que nous présentons ici n’est pas seulement un approfondissement du résumé qui figure dans le Cahier des Résumés, il se nourrit de la richesse des échanges amorcés entre les auteurs et le public de cet atelier.

Face à la question quelles connaissances sont actionnables dans un processus de cognition collective, plusieurs approches sont possibles qui correspondent à autant de connaissances actionnables sur la question elle-même.

Les approches managériales consistent à étudier des phénomènes cognitifs dans des situations d’entreprise à partir d’un modèle théorique (par exemple l’apprentissage organisationnel) pour en déduire des variables d’action. Cette approche hypothético-déductive est trop souvent auto-réflexive, elle ne permet pas la construction de connaissances nouvelles.

Les approches " savantes " mettent en œuvre une démarche modélisante à partir d’autres approches théoriques, souvent par analogie avec d’autres disciplines (modèle mécaniste, modèle biologique). Ce genre d’approche permet de penser de nouveaux modèles mais se heurte aux limites bien connues du transfert analogique et de la métaphore.

Entre pragmatique et épistémologie nous avons choisi une approche " techno-logique " qui consiste à objectiver un problème théorique afin de faire émerger des connaissances de l’expérimentation au sens de G. Bachelard.

L’idée de départ est de construire une situation expérimentale afin d’interroger les processus de cognition collective pour voir émerger des connaissances actionnables et les accompagner. Pour cela nous avons développé un système dynamique d’apprentissage coopératif sur internet pour préparer l’épreuve orale de management du concours d’agrégation d’économie gestion et nous l’avons expérimenté en 97-98, nous allons maintenant vous présenter la situation expérimentale construite, les concepts sous-jacents à ce système ainsi que les résultats de l’expérimentation.

I - La situation expérimentale 

La situation expérimentale est fondée sur l’observation d’un processus de cognition collectif construit et supporté par un système dynamique d’apprentissage. Elle est donc composée d’un public d’apprenants et d’un système artefactuel.

Le public auquel est destiné le système, les agrégatifs, se trouve dans une phase au cours de laquelle il ne peut apprendre qu’en se confrontant à des problèmes et en se confrontant aux autres c’est-à-dire en s’imposant de communiquer, coopérer pour arriver à une solution commune. C’est ce que nous avons appelé " apprendre en faisant ensemble ".

Sur le plan technologique, les exigences liées à la mise en place d’un environnement de cognition collective nous a amenés à modifier considérablement les modèles de conception des systèmes de formation. Nous sommes passés d’une conception linéaire dans laquelle un auteur formalise la connaissance pour la transmettre à des apprenants à une co-conception au cours de laquelle une communauté d’apprenants construit sa propre connaissance. On parle alors d’un support de formation composite. Ce terme a été créé par analogie avec les matériaux composites dans ce sens au chacun apporte une partie de connaissance pour résoudre un problème, ces connaissances fusionnent dans la production d’une connaissance commune indissociable de chaque participant. Ceux qui ne participent pas à ce processus n’en retirent aucune connaissance.

 

Le système assure deux types de fonction : des fonctions de surface et des fonctions dites profondes. Les premières ont pour objectif de fournir des supports de travail aux étudiants en leur soumettant chaque mois un sujet d’oral sur lequel ils doivent réfléchir afin de proposer des plans ou des contributions multiples (question/réponse, bibliographie, approfondissements théoriques ...). Elles assurent également la communication entre eux par l’intermédiaire du forum où chacun a accès au travail des autres, pour compléter, apporter des commentaires, critiquer. Cette situation est finalement assez proche des conditions d’examen.

Les fonctions profondes sont assurées par un superviseur chargé de piloter des groupes d’apprenants. Cela consiste à regrouper de façon plus ou moins homogène et fluctuante les participants afin de leur proposer des aides adaptées ou de les mettre en relation avec des individus susceptibles de les aider. Il faut rajouter à cela des fonctions d’analyse des consultations, des propositions et des échanges qui nous permettent de suivre la cognition collective en mouvement.

II - Les concepts sous-jacents

Les concepts sous-jacents à ce système sont : les classes virtuelles et les documents actifs d’apprentissage.

Les classes virtuelles constituent l’objectivation du concept de groupes cognitifs, ce concept est complexe car il ne met pas seulement en jeu des processus rationnels, il suppose également le développement de relations sociales (empathie, leadership,...).

Ceci nécessite alors la mise en place d’outils de regroupement et d’accompagnement des individus selon des critères quantitatifs ou qualitatifs. En ce qui concerne l’accompagnement, plusieurs stratégies peuvent être mises en place : la première consiste à laisser émerger des groupes homogènes afin de leur apporter des aides adaptées à leur niveau et à leur problème (tutorat), dans la seconde on laisse émerger des groupes hétérogènes afin de développer des liens d’entraide et de production coopérative de connaissances.

Les documents actifs d’apprentissage constituent l’objectivation du concept de coopération. Ce concept est supporté par des outils informatiques permettant aux individus de travailler ensemble de manière asynchrone. Concrètement il s’agit d’un lieu virtuel sur lequel on dispose des propositions d’autres personnes et de ressources diverses. Le document actif d’apprentissage joue le même rôle que le tableau noir permettant la reconstruction d'une oralité perdue, celle du dialogue qui guide l’apprentissage chez Platon. En effet, on constate souvent que le passage à l'écriture universalise les idées mais cela se fait au prix d'une totalisation réductrice qui perd notamment la trace du raisonnement des individus, trace fondamentale pour réaliser l’assimilation des idées.

Ces documents actifs d’apprentissage nous ont permis d’observer différentes formes de cognition collective. En effet, la structure hypertextuelle de la solution permet d'obtenir, par une lecture séquentielle, la genèse de la création collective d'une solution et, par une lecture interactive, de retrouver les différents axes de développement de la solution. Il n'y a plus de séparation entre le produit fini et sa phase de conception comme c'est le cas dans les corrigés donnés aux sujets que l'on peut trouver dans des ouvrages.

Le schéma ci-dessous présente les différents types d’apprentissage observés.

 

L’apprentissage, à partir d’un document actif, peut revêtir trois formes :

1ière forme : l’apprentissage actif individuel au cours duquel, partant du sujet, l’étudiant propose des idées de plans ou de développements. Il se distingue d’un apprentissage individuel traditionnel puisque la solution est proposée à l’évaluation d’autres usagers, ce qui dénote déjà une certaine implication de l’individu.

2ième forme : l’apprentissage coopératif où à partir de ces propositions individuelles, d’autres participants interagissent soit en les enrichissant, soit en les critiquant. S’instaure alors un dialogue que l’on pourrait qualifier de " maïeutique ", qui permet à la fois l’apprentissage du premier et du second participant.

3ième forme : apprentissage interprétatif où l’étudiant à partir des propositions précédentes construit son propre raisonnement sans qu’il y ait coopération active avec le premier. Même si dans ce cas, il n’y a pas coopération directe, le raisonnement est le résultat d’une production collective et l’apprentissage individuel s’enrichit de l’apport des participants.

 

 

 

III - Résultat de " l’interrogation " des processus cognitifs

Après un an d’expérimentation, nous avons constaté un attrait certain pour ce genre de site puisque la quantité de connexions a largement dépassé nos prévisions. En ce qui concerne l’observation de processus de cognition collective, nous avons fait apparaître les formes de cognitions collectives présentées précédemment. Cependant l’enseignement essentiel que l’on peut retirer de cette année de fonctionnement, est que le travail coopératif s’apprend. En effet, nous avons constaté une attitude plutôt passive des participants, liée au fait qu’il n’est pas toujours évident de juger le travail des autres et de leur proposer des idées afin d’améliorer ensemble le travail commun. Cette attitude de coopération est, sans doute, d’autant peu naturelle que l’enjeu est celui d’un concours et que les candidats pensent, souvent à tort, qu’ils doivent garder leurs connaissances pour eux. La seconde explication pourrait venir du fait que, fournir une réponse à un sujet, demande un investissement important. Enfin, il faut souligner la peur d’exposer ses réflexions à la critique, habitude qu’il est pourtant bonne de prendre avant le jour de l’épreuve.

Nous avons acquis la conviction qu’avant d’actionner des connaissances pour la cognition collective, il faut actionner des processus de coopération.

C’est ce que nous essayons d’initier cette année en redémarrant l’expérience développé. Pour cela nous avons mis en place une procédure d’inscription qui nous permet d’identifier les participants afin de susciter une démarche d’adhésion au projet donc une plus grande implication. Par ailleurs, nous avons développé une procédure de tutorat individualisé pour suivre le processus de cognition individuelle et ses liens avec le collectif.

L’évaluation réalisée , bien que partielle, montre la nécessité de développer de tels systèmes pour proposer de nouvelles formes d’apprentissage plus performantes, plus motivantes et plus proches de la réalité sociale de l’entreprise. Nous souhaiterions étendre cette expérimentation à des situations de cognition collective en milieu professionnel.

Bibliographie

BOSTROM R.P., WATSON R.T.(1992), Computer Augmented Framework, Van Nostrand Reinhold, USA, 1992.

G. BOY (1997), " Documents Actifs de Conceptions " Actes de la Conférence Nationale sur l’innovation Homme-Machine (IHM’97), Poitiers, 10-12 septembre 1997.

BRUILLARD E.(1997), Les machines à enseigner, Hermes.

DUPUY J.P. (1994), Aux origines des Sciences Cognitives, La Découverte.

FEYERABEND P. (1996), Dialogues sur la connaissance, Seuil.

GARDNER H.(1992), Histoire de la révolution cognitive, Payot.

A. HERNANDEZ-DOMINGUEZ (1995) " An adapted virtual class based on two approaches : CSCW and intelligent tutoring system ". International Conference Educational Multimedia and Hypermedia ED-MEDIA’95, Graz, Autriche Juin 95.

LE BOTERF G. (1990), L’ingénierie de l’évaluation de la formation, Editions d’organisations.

LEVY P.(1997), Cyberculture, Editions Odile Jacob.

LERBET G. (1997) Pédagogie et systémique, PUF

MALLET J. (1996) L’organisation apprenante. Editions de l’Université de Provence.

MARET P. PINON J.M. (1997), Ingénierie des savoir-faire, Hermes.

RICHARD J.F. BONNET C . GHIGLIONE R.(1990), Traité de psychologie cognitive. Dunod.

SALLABERY J.C. (1996), Dynamique des représentations dans la formation, L'harmattan.

SENGE P. (1992) The fifth Discipline : The Art and Practive of the learning Organisation, Bantam Double Jay Dell.

VARELA F.J., (1989) Autonomie et connaissance . Essai sur le vivant, Seuil

WATZLAWICK P., (1988) L’invention de la réalité, Seuil.

 

 

D) Contributions transversales

 

 

Commentaire général sur les différentes thématiques

du Grand Atelier

 

B. Balcet (Consultant)

 

 

Méta-instrument de l'Atelier…

Je ne peux pas m'empêcher de penser que l'atelier était un bon exemple de Méta-instrument avec le plaisir au rendez-vous. Messieurs Philippe et Fromageot l'ont bien exprimé dans la relation de leur expérience de musiciens.

J'ai été impressionné par le langage riche et précis des intervenants (par exemple : contextualisation du patient, territoire, sidération, intention, etc) et je me sentais à court d'expression un peu comme le guide de haute montagne, M. Fabre, dont les photos faisaient bien passer ce qu'il ressentait.

Convergence

L'Atelier juxtaposait (ou faisait converger) deux types d'interventions situées :

- côté connaissances avec l'approche conceptuelle des chercheurs,

- côté action avec les pratiques des opérationnels.

Par des méthodes différentes, les uns et les autres aboutissaient à des résultats voisins sur les grands thèmes :

- l'accompagnement (soins palliatifs/guide haute montagne vs Sereni) avec la

combinaison des trois facettes (guide, compagnon, soutien)

- la cognition collective (musiciens/Journé vs Andreewsky)

- la confiance (Trassaert vs Monroy) avec la dualité méfiance/confiance et la relation

de dépendance/vulnérabilité

- les repères (Calame vs Kervern) avec les questions qui subsistent / axiomatiques.

Articulation

Dans mon travail de consultant, je tire profit transversalement de cette palette de travaux, je "butine" les approches des spécialistes ou des sympathisants de la complexité. Ainsi, je vois émerger des transpositions ou des articulations peut-être nouvelles, et qui sont renforcées par l'exploitation des interpellations du terrain.

Les chercheurs s'appuient sur le terrain, mais ont-ils une véritable approche remontante ou une véritable approche transversale avec leurs confrères ?

N'y-a-t-il pas, en effet, contradiction entre connaissances et action dans le monde de la recherche ? La vraie question n'est peut-être pas "quelles connaissances actionner ?" mais quel contexte construire pour amener à un processus de collaboration praticiens/chercheurs directement ou non, quelle articulation envisager pour faire coopérer les outils conceptuels et les intuitions opérationnelles ?

 

Ecoute terrain et capacité d'étonnement

Je pratique des démarches remontantes avec une méthode qui permet d'entrer dans les problématiques par l'analyse des situations de travail au sens large. On fait plus qu'observer et écouter, on remonte les processus. Chemin faisant, on fait appel aux concepts en fonction des besoins jusqu'à l'obtention d'une représentation partagée qui permet le transfert.

Cette méthode est en réalité peu pratiquée à cause du requis principal, le plus exigeant, qui est la capacité d'étonnement.

En effet, les démarches de changement sont pilotées par des gens formés et en poste qui ont finalement du mal à écouter le terrain c'est-à-dire à admettre qu'ils sont éventuellement dans l'erreur et qu'ils doivent se remettre en cause. Il s'agit pourtant, pour un responsable, de "s'accepter vulnérable" (ce qui déclenche la confiance d'après M. Monroy) ou de "gérer l'inattendu", ce qui fait partie du métier de responsable.

Ma pratique résout en partie ce problème en exploitant les circonstances pour solliciter les intelligences. La confiance est alors moins mystérieuse et il est possible d'aller plus loin que l'étonnement avec la médiation du terrain. Peut-être pourrait-on travailler là dessus pour bâtir une autre culture à base d'ignorance opérationnelle.

Repères : ignorance et vide contrôlé

La particularité des gens de terrain est qu'ils doivent agir, ce qui implique des anticipations, des choix, des résolutions de conflits, la prise en charge de contraintes multiples dans l'espace et dans le temps.

Le terrain fournit des informations aux chercheurs qui l'interrogent. Il peut aussi avoir par lui-même des choses à dire originales et construites à partir de l'étonnement. Mais il faut en faciliter l'expression et le traitement en vue de la mise en mouvement.

L'Atelier a montré que les repères sont multiples et divers : émergence d'outil, carnet de bord, croisement de projets, mémoire collective, accompagnement, confiance.

Mais ne pourrait-on pas promouvoir un autre repère, celui de l'ignorance qui rend disponible pour l'écoute du terrain et donne accès aux leviers d'action véritables. La méthode du vide contrôlé permet, en parallèle, de déployer la mise en oeuvre.

Cette méthode permet de déclencher l'adoption d'un autre point de vue étayé par la réalité du terrain. Elle nécessite, pour l'intervenant "ignorant" une grande culture générale.

Autre regard

Dans la foulée, j'ai envie de déplacer le débat sur connaissances actionnées et non plus seulement actionnables.

Tout d'abord, il me semble improductif d'essayer de faire une combinaison (ou une fusion) entre les dynamiques recherche et les dynamiques terrain malgré le rapprochement valorisé dans cet Atelier.

En effet, il y a toujours le problème du passage à l'acte et si l'on n'y prend garde, ce passage à l'acte peut n'être qu'un biais pour mettre un terme à des tensions.

 

C'est pourquoi je crois utile de considérer le passage à l'acte non comme une rupture mais comme un processus continu qui part de l'amont pour aboutir à une situation nouvelle.

Il faut donc insérer une troisième force transversale pour le faire et s'alimenter aux sources de la recherche et à celles du terrain.

Les tentatives similaires antérieures en recherche opérationnelle et en intelligence artificielle n'ont pas toujours eu les résultats escomptés.

C'est pourquoi il vaudrait peut-être mieux développer séparément les deux aspects :

1 - en partant vers le haut avec plus de conceptuel (axiomatiques de GY Kervern ?),

2 - en partant vers le bas avec plus d'opérationnel dans des démarches facilitant l'interpellation remontante,

et travailler sur la mise en oeuvre à l'intersection (comme Monsieur Calame à l'intersection des projets) dans une ingénierie de transformation culturelle.

Je sens que je ne suis pas encore arrivé à quelque chose de clair. Pourtant je crois pouvoir apporter quelque chose dans une démarche générique qui intègre le risque de l'homme, au point de rendez-vous des chercheurs et des opérationnels.

La complexité vient pour une bonne part de l'homme. Agir dans la complexité revient pour moi à réintroduire l'homme lorsqu'il s'agit de comprendre ce qui se passe et d'identifier les leviers d'action.

 

 

Quelques réactions spontanées

et suggestions pour les Rencontres à venir

 

Armand Colas (Responsable "Facteurs Humains", Parc Nucléaire EDF)

 

L'univers de la Recherche et de l'Enseignement ont des approches et des centres d'intérêts différents de ceux de l'entreprise. Je conçois bien que ces secteurs ont pour rôle de développer et former les mécanismes de pensée. L'entreprise a sûrement une approche beaucoup plus lointaine, beaucoup plus "pragmatique et empirique". Je considère qu’en entreprise on manque de repères (pour reprendre un thème de travail du Grand Atelier) et de logiques de raisonnements pour appréhender efficacement certains problèmes. Une question qui reste en suspens est celle de la coopération entre deux univers culturels passablement différents. Pour un représentant de l'entreprise que je suis, la question naturelle qui vient est "que puis-je retirer de ce genre de rencontres ?" et qui fasse le profit de la contribution que je dois à mon employeur. Sans doute peu et beaucoup à la fois. Ce fut d'abord pour moi une évasion d'un univers qui finit par formater la pensée à force d'être omniprésent et sans qu'on s'aperçoive bien de l'emprise de ce qu'on vit. A défaut de pouvoir suivre toujours les autres sur leurs chemins de raisonnement pendant ces deux jours, la stimulation par la pensée des autres suscite la réflexion personnelle et aide sûrement à trouver plus facilement soi-même des réponses à ses questions en allant puiser dans ses propres ressources, mises en éveil par l'ambiance de réflexion.

L’évocation spontanée et naturelle de ce qui touche au psychologique et à l’affectif, dans une ambiance naturelle de vécu m’a aussi rappelé que ces dimensions sont passablement refoulées dans le monde du travail et a fortiori dans des secteurs d’activité comme l’exploitation des centrales nucléaires. Ceci tient en partie à la pression permanente des exigences de sûreté, aux enjeux économiques (un réacteur en fonctionnement représente un investissement d’environ 12 milliards de francs et approximativement 3 à 4 millions de francs de production brute par jour). Mais ce contexte n’explique pas tout. L’ambiance imprimée par le management, la culture d’entreprise,... jouent un rôle au moins aussi important. Nous avons été attaqués dans la presse à plusieurs reprises selon l’expression de " l’enfer du nucléaire ". Les thèses de la psychopathologie du travail ont trouvé sur certains de nos sites, un terreau fertile. De mauvaises conditions de vie (même si elles ont été montées en épingle) ne doivent pas devenir une fatalité. Cette problématique rejoint celles qui sont développées après.

Une part significative des thèmes de travail proposés était orientée vers les connaissances et de fil en aiguille vers la cognition, c'est à dire les processus cognitifs. J'ai même entendu dire que "la reconnaissance était le résultat de convergences cognitives" ! Dans notre domaine le cognitif est fortement identifié à l’activité mentale de traitement des situations de travail: surveillance, vigilance, discrimination des " signes " probants d’une situation donnée, analyse diagnostique, aiguillage vers des réponses appropriées,... Chacun peut mettre un sens différent au mot " cognitif ". Je suis de ceux qui considèrent qu'il existe au même titre des "données affectives" dans le monde du travail et dans l’activité au quotidien. Il y a d'un côté la partition musicale et d'un autre un instrument qui vibre et procure le plaisir. On n'est pas sur les mêmes registres. J'aurais tendance à dire qu'on gagnerait à réhabiliter le psychologique quand il touche à la résonance perceptive de l'être. Je crains que le cognitif devienne de plus en plus un mode d'appréhension du "mental humain" et que cette approche aseptise au moins en partie le contenu de ce qui se passe entre l'humain et ce qui l'entoure.

J'ai dit que personnellement je préférais parler de compétences plutôt que de connaissances. L'entreprise attend de ses salariés qu'ils exercent une fonction en se référant à un métier, contextualisé, en fonction de la situation. Ce n'est pas qu'une affaire de connaissances. La connaissance et une composante importante de la compétence, mais les deux concepts ne se recouvrent pas totalement. Il existe des experts très compétents qui sont de piètres opérationnels, voire de piètres manageurs.

J'ai apprécié (entre autres) la présentation des deux musiciens. La manière dont ils ont décrit leur engagement, par rapport à leur attirance, à leur plaisir, à ce qu'ils en reçoivent en retour, donne un panorama, semble-t-il, facilement appréhendable de leurs attentes et de leurs motivations. Partant de là on n'a pas trop de mal à imaginer ce qui fonde leur interaction avec l’activité qu’ils ont choisi d’exercer.

J'aimerais avoir cette lisibilité par rapport à ceux qui viennent travailler en entreprise. On a la réponse facile du salaire, mais à voir les gens agir, à écouter leurs frustrations et leurs insatisfactions, il me parait toujours difficile de bien cerner ce qui motive leur présence. J'ai le sentiment qu'ils ne le savent pas très bien eux-mêmes et je vous épargnerai la pauvreté des réponses qui surgissent alors, très souvent après un moment marqué d'embarras. Pourtant, quand on s'intéresse à la fiabilité des analyses, des décisions, des actions, à la performance et à la maîtrise de l’activité d’exploitation, on ne peut pas ne pas faire le lien avec l'engagement de la personne. Pourrait-on mieux connaître ce qui fonde la relation entre celui qui travaille et son travail ? Comme d'autres, j'ai lu pas mal d'ouvrages et d'études autour de la motivation. Je ne connais par contre pratiquement aucune publication sur le sens du travail (en entreprise, c'est à dire avec des conditions particulières). Je me sens en manque par rapport à ce volet du problème et il me semble qu’on gagnerait à y voir plus clair, en même temps pour travailler sur des conditions plus humaines (quoiqu’on dise, il demeure toujours un aspect éthique à ce genre de question) et en même temps plus efficaces pour la contribution à l’entreprise.

Enfin, et je m'arrêterai là, cette réflexion, mais aussi celles que nous avons engagées ces deux jours, buttent sur des modèles économiques, sur des idées fixées (parfois réfutées) du travail et de l'entreprise. En ce qui nous concerne, quand on réfléchit, management, sollicitation des personnes, appel à plus de performance,... une question lancinante revient souvent : quel est le sens de l'entreprise dans la vie de la collectivité humaine ? Et en corollaire, en vertu de quels principes est-on fondé à exiger des conditions difficiles et des résultats performants ? Cette question est criante lorsqu'il s'agit de chercher l'efficacité par une diminution des coûts qui conduit à alléger les effectifs et par contrecoup à exclure. Aujourd'hui, on arrive (pas toujours cependant) à trouver des justifications économiques de compétitivité. Mais jusqu'où ? J'ai le sentiment qu'on manage dans l'entreprise, souvent comme on vit dans la vie, en se référant à des stéréotypes de pensée (ou de valeur) sans s'interroger sur leur sens. Ne gagnerait-on pas à jouer plus souvent au "Petit Prince" en s'étonnant et en se posant des questions pour tout, même si elles apparaissent naïves. Je pense particulièrement à l'allumeur de réverbères qui finit par devenir fou à force de perpétuer des gestes qui ont perdu leur sens avec le temps. Ce thème a-t-il déjà été travaillé ? Qu’en savent et qu’en pensent ceux qui animent les Ateliers MCX ?

 

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IV) REACTIONS DIVERSES

 

 

Cette rubrique reprend les différentes questions, réflexions ou réactions des participants à la Rencontre, que ceux-ci ont bien voulu nous transmettre par écrit au terme du Grand Atelier.

Dans un futur proche, certaines pistes de réflexion suggérées ici pourront servir de thème aux groupes de discussion qui seront créés sur le site web de MCX (http://archive.mcxapc.org).

 

 

 

A) Sur l’essence et le statut

des connaissances actionnables 

 

Christine Batime (Institut Développement Social, <Christine.batime@ids.fr>) se demande si " les connaissances actionnables ne seraient pas des " cristallisations de sens " qui révèlent des moments d’évidence (de clarté) pour soi et qui vont faire levier pour agir le plus souvent avec d’autres ? Il ne s’agit donc en aucun cas de " recettes " mais de leviers éphémères et pertinents pour l’action. "

Liant culture et actionnabilité des connaissances, Norbert Tangy (EDF-GDF Services, <norbert.tangy@wanadoo.fr>) remarque que " l’idée de connaissance est culturelle, encore plus celle de connaissance actionnable " et pose finalement la question suivante : " qu’est-ce qu’une pratique culturelle aujourd’hui ? ".

Contre une conception trop mécaniste des connaissances actionnables, C. Batime souligne qu’il " ne s’agit pas d’un " levier manette " qui permettrait de toucher un jackpot quelconque, car le levier signifie en fait la coexistence d’un effort finalisé qui joue sur l’équilibre et le déséquilibre, sur le transitoire certes, mais un transitoire qui fait sens en contexte... ".

Frank Billot (ESSEC, <fbillot@pacwan.fr>) met en garde contre le risque de développement de connaissances actionnables qui laisserait de côté la connaissance du sujet : "Le concept de connaissances actionnables répond à la demande légitime des acteurs de disposer de connaissances qui les aident à conduire leurs actions, par opposition aux connaissances produites pour l'amour de la spéculation intellectuelle.

En cela, il s'inscrit dans la démarche scientifique qui s'attache à produire des connaissances reproductibles, en partie parce que fondées sur des phénomènes tangibles et observables.

Les sciences de l'action revendiquent leur appartenance à cette longue tradition d'opposition de la connaissance scientifique à la métaphysique. De ce fait, la connaissance des acteurs sur eux-mêmes tend à rejoindre le corps des connaissances subjectives vaines car inutilisables dans un contexte d'action collective.

Pourtant, n'aurait-on pas avantage à renouer avec l'héritage des penseurs affiliés au 'Connais-toi toi même et tu connaîtras le monde…" du Temple de Delphes ? Les sciences de la complexité nous amènent, ainsi que d'autres traditions philosophiques, à concevoir notre rapport au monde comme une construction. Si l'intelligence que se donnent les acteurs de leur environnement dépend de ce qu'ils sont et de la façon dont ils se perçoivent, alors ils ne peuvent rester ignorants des modèles cognitfs, affectifs et culturels à partir desquels ils donnent du sens.

Appliqué à l'action collective, cette conclusion nous invite à questionner la part de ces modèles dans les dysfonctionnements organisationnels. Ces derniers ne sont plus alors envisagés seulement comme le produit des contextes de gestion mais aussi comme l'émanation de l'identité, des valeurs, des croyances, des schémas cognitifs des individus et des groupes.

D'où peut-être l'intérêt d'ajouter une connaissance du sujet à une connaissance objectivante centrée sur les phénomènes développés depuis un point de vue extérieur. Pour les Grecs, la connaissance de soi était un moyen de connaître le monde, un monde qu'il ne s'agissait pas de maîtriser ou de changer, et dont même les Dieux devaient respecter les lois. Les sciences de la complexité semblent nous montrer que nous appartenons effectivement à ce monde et qu'il convient que nous nous connaissions aussi pour agir en son sein."

 

R. Teulier quant à elle, indique qu'une difficulté avec la notion de "connaissance actionnable" vient de ce que, "avant l'action, on ne sait pas quelle connaissance deviendra actionnable. Et même au moment de l'action, on ne sait pas forcément toutes les connaissances qu'on actionne (phénomènes comme l'intuition ou l'abduction)".

"Effectivement", répond M.J. Avenier (<avenier@univ-lyon3.fr>) faisant usage du privilège que lui confère sa position de co-éditeur de ce Dossier, "mais rien ne dit qu'une connaissance actionnable devra être un jour actionnée. Des "connaissances actionnables" sont des connaissances considérées par quelqu'un comme étant susceptibles d'être utiles à sa propre action ou à celle d'autres personnes par rapport à certains projets dans certains contextes. C'est donc une notion extrêmement subjective et projective. Les "connaissances actionnables" se définissent peut-être plus facilement "en creux" : certaines connaissances (telles que par exemple, la connaissance du nombre d'occurrences de la lettre "o" dans l'œuvre de tel ou tel auteur) ne peuvent-elles pas à l'évidence être considérées comme "non actionnables", c'est-à-dire non susceptibles d'être utiles à l'action ? Un des intérêts de la notion de "connaissances actionnables" se situe peut-être autant dans les processus que la volonté de développer de telles connaissances incite à mettre en œuvre, que dans les connaissances-résultats produites".

Ce point de vue ouvre directement sur la question qu'adresse Bernard Balcet (consultant, <BBalcet@aol.com>) à M.J. Avenier sur la relation entre connaissance et action : " N'y a-t-il pas contradiction, compromis ou compromission entre connaissance et action ? La recherche sur la complexité, dans le cadre humaniste de MCX, est-elle à l'aise dans la recherche de l'action ? Comment organiser le relais entre la nécessaire recherche et sa mise en application ? La recherche, même dans un cadre du "tracer son chemin en marchant" ne reste-t-elle pas descendante ? Ne génère-t-elle pas involontairement des zones de connaissances non -révélées qui bloquent l'action ? N'est-ce pas paradoxalement en poussant les chercheurs vers plus de conceptualisation et les opérationnels vers l'approfondissement du terrain que l'on pourra faire émerger, peut-être par médiation, des actions satisfaisantes ?

En réponse à cette question, M.J. Avenier indique qu'un "certain nombre de recherches menées par des membres du Programme MCX qui peuvent être désignés comme des "praticiens", tels certains collègues psychiatres, travailleurs sociaux, ou formateurs par exemple, sont précisément réalisées dans le cadre de leur pratique de terrain pour développer de la connaissance susceptible de les aider à améliorer leurs pratiques. Par ailleurs, différents chercheurs ou enseignants-chercheurs membres du Programme MCX pratiquent la recherche-intervention, c'est-à-dire conduisent leurs recherches dans le cadre d'interventions au sein d'organisations concrètes demandées par ces organisations. La connaissance que ces chercheurs se forgent des situations vécues au sein de ces organisations est alors du même ordre que celles que se forgeraient des consultants : elle se construit dans l'accompagnement de changements mis en actes par les acteurs de terrain, en étant effectivement dans une position sensiblement différente relativement au faire, de celle des acteurs de terrain qu'ils accompagnent".

Il lui semble que "ces "praticiens" et ces "chercheurs" sont intimement convaincus de l'importance du faire dans le développement de "savoir pour mieux faire" (et même de savoir "tout court"), et de ce que les connaissances produites par ces recherches ne sont pas destinées à être "appliquées" (de façon mécaniste) par les "acteurs de terrain", mais à être utilisées comme des repères servant à stimuler la réflexion de ceux qui envisagent de les exploiter pour agir".

 

Elargissant la discussion à la connaissance et son partage entre les acteurs, B.Balcet souligne que " le débat sur la connaissance est récurrent. Après la recherche opérationnelle et l’intelligence artificielle, il y a de nouveau une mode du knowlege management. " Souhaitant obtenir une réponse de MJ Avenier, B. Balcet demande alors Pourquoi parle-t-on seulement du management en faisant toujours des recommandations théoriques (ne pas répéter les erreurs, partager les connaissances des commerciaux, des juristes, développer une culture de partage du savoir) au lieu de s’intéresser au savoir tacite, à l’appropriation ? au rôle de l’émotion ? au processus de transformation, aux schémas de conceptualisation ? à la stratégie des acteurs ? à tout ce qui explique les difficultés et tout ce qui permet de les vaincre ? "

"N'est-ce pas justement ce que nous nous efforçons de faire au sein de MCX ?" répond M.J. Avenier.

Faisant écho à ce propos de B. Balcet, Anne de la Tour et Michèle Legrand (respectivement médecin et psychologue en soins palliatifs, qui découvraient MCX) disent avoir été "frappées par le manque de prise en compte et même de reconnaissance des émotions et de l'inconscient dans le milieu de l'entreprise". Cette idée se retrouve également dans les propos d'A Colas (cf. §D de la partie III) : "L’évocation spontanée et naturelle de ce qui touche au psychologique et à l’affectif, dans une ambiance naturelle de vécu m’a aussi rappelé que ces dimensions sont passablement refoulées dans le monde du travail" . Elle se retrouve aussi dans la réaction de Georges Goyet (chercheur au CNRS et "ancien" de MCX, <amok@alpes-net.fr>) lorsqu'il dit que ce Grand Atelier MCX représente un "bond en avant (...) avec un peu moins de langue de "bois complexe" et de la place pour du sensible, de l'émotion, bref un peu plus de vivant ... à jamais complexe. Ce qui s'est passé porte l'empreinte féminine ... même si le fond "homme industriel" est toujours prédominant."

Dans le même ordre d'idées A. de la Tour indique que : "le Dialogue tel que présenté par Manfred Mack ("Le dialogue exploratoire : processus prometteur de cognition collective") est apparu proche des groupes de parole mis en place dans les hôpitaux où la confidentialité est essentielle. Mais le fait que les émotions ne puissent pas être dites dans les groupes de Dialogue lui apparaît comme une limite. Certes, lorsque l'animateur accepte que les émotions s'expriment, il convient qu'un tiers psychologue soit présent pour éventuellement intervenir dans des situations émotionnelles susceptibles d'émerger qui sont ingérables par l'animateur".

Pour conclure provisoirement cette discussion sur les connaissances actionnables F.X. de Vaujany (<Vaujany@univ-lyon3.fr>) propose quatre types de connaissances actionnables, c’est-à-dire de " connaissances susceptibles d'être utiles à l’action " pour reprendre l’expression de M.J. Avenier. "Sur un premier axe classique (cf. figure ci-après), on pourrait situer les connaissances actionnables en fonction des processus cognitifs qui les produisent et les exploitent. A un extrême se trouveraient des connaissances de type substantif et des processus de type algorithmique, convergeant vers une solution unique et optimale. A l’autre extrême, il y aurait des processus cognitifs moins structurés, de type heuristique. La connaissance porte ici davantage sur les processus ou méthodes qui permettront de produire une connaissance satisfaisante. Les solutions sont multiples. Le deuxième axe que nous proposons a trait au contexte social de production ou d’exploitation des connaissances actionnables. A un premier extrême, il y aurait des systèmes sociaux de production ou d’exploitation des connaissances très structurés. La régulation de contrôle est puissante, et incarne le point de vue focal que tous doivent intégrer. Les décisions et les actions sont impulsées de façon délibérée et relativement unilatérale. A l’autre extrême de l’axe, se situeraient des contextes sociaux de décision où la régulation autonome est prédominante. Les décisions sont l’objet d’une co-construction. Les processus sociaux sont de type émergents et négociés. Ces deux axes conduiraient à distinguer quatre types de connaissances actionnables, allant des plus mécanistes aux plus organiques :

 

 

Négociés/émergents/co-construction

Processus

sociaux

I II

 

Substantifs Heuristiques


Processus cognitifs

III IV

 

 

 

 

Unilatéraux/délibérés/conçus

 

 

 

Commençons par le cas le plus classique, le III, Substantif et unilatéral. Cette conception des connaissances actionnables est adaptée à des situations compliquées plutôt que complexes. Les processus cognitifs sont très structurés. Le système de décision incorpore des critères d’optimalité clairs, imposés par une régulation de contrôle clairement définie. Le cas I correspond toujours à des situations compliquées. Les informations à intégrer dans le processus cognitif sont clairement définies, mais les critères d’optimalité sont problématiques, en raison d’une faible structuration du système de décision, et d’un contexte politique qui ne permet pas de définir aisément le point de vue focal à intégrer. S’en suit un débat qui porte non pas sur le processus même d’émergence ou d’exploitation de la connaissance, mais plutôt sur certains critères ponctuels. Dans ces deux premiers cas, nous sommes en présence de connaissances actionnables de type mécanistes, portant davantage sur le résultat des processus de connaissance que sur le processus lui même.

Les cas II et IV relèvent de situations complexes et plus seulement compliqués. En IV, les connaissances actionnées sont émergentes. Les processus cognitifs sont peu structurés, mais un certain nombre de critères de suffisance sont posés par une régulation de contrôle qui se manifeste clairement en posant certains objectifs aux "actionneurs de connaissance". Dans le cas II, le système de décision et le système d’action sont peu structurés. Les connaissances actionnables correspondent à des processus qui fournissent des opportunités de négociation portant à la fois sur le processus de décision et ses objectifs. Rentrent dans cette catégorie notamment toute la nouvelle génération d’outils de gestion stratégique qui sont surtout des espaces de négociation, des lieux de rencontre de points de vue héterogènes.

En conclusion, il est donc possible de distinguer des catégories très diverses de connaissances actionnables, allant des plus mécanistes aux plus organiques, adaptées à l'intervention en situation compliquée ou en situation complexe, et constituant des connaissances-résultats ou des connaissances-processus".

 

 

 

B) Les enjeux liés aux NTIC 

Souvent dans le prolongement de l’intervention de J. Mallet (université de Provence, <mallet@romarin.univ-aix.fr>), le thème des NTIC a suscité de nombreuses réactions en rapport avec les thématiques du Grand Atelier.

 

A la suite de la présentation de Mme Mallet (" Cognition collective et Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication "), Béatrice Vincent et Claude Alia se demandent si " les nouvelles technologies de l’information et de la communication constituent un substrat pour la cognition organisationnelle ? ". Patrick Trassaert (<Ptrassaert@aol.com>) s'interroge "sur la relation entre usage des NTIC et construction de la confiance : le "dialogue" par Internet ou Intranet procure-t-il un effet inhibiteur ou débridant ?"

Sur la gestion de l’introduction de NTIC au sein d’une organisation, C. Batime (IDS) se demande " Comment développer en parallèle et en conjonction face à l’introduction des NTIC dans une organisation une " culture hybride de la résistance et de la proposition " ? Il s’agit à la fois de se laisser dominer par une logique technologique qui peut être anti-naturelle (contraire à sa propre organisation, à sa propre manière d’ordonner la réalité, à ses modes de relation...) et à la fois de participer à l’invention des usages par la technologie pour négocier l’individuel face au collectif, pour permettre des émergences (dans la co-construction du sens, ou de la réalité, ou de l’action) ? Se joue sans doute dans cette tension le processus de confiance dans une organisation ... et la mise en oeuvre d’un processus de vigilance différente de la méfiance... "

Dans le cas particulier de l’introduction d’un logiciel de groupware, C.Batime se demande aussi comment la mise en œuvre de ce type de technologie peut " remettre en cause la liberté, l’autonomie et l’ordre que le sujet/acteur peut exercer sur les pratiques de travail. Comment peut s’opérer ce passage, cette négociation avec les autres qui a pour finalité déclarée l’information partagée ? ".

 

Réagissant à l’intervention de C.Alia et B.Vincent (université de Toulouse 3, <beatrice@lgc.iut-tlse3.fr>), C. Batime, encore, pose une question très générale aux participants du Grand Atelier : " si l’on souhaite passer d’un enseignement linéaire vers une formation plus coopérative et fondée sur l’auto-formation, en utilisant les NTIC ", alors " quels type d’accompagnement doit réaliser le formateur-enseignant ? ". Et renversant la question C. Batime se demande aussi en quoi les NTIC peuvent " transformer les pratiques d’accompagnement " et " constituer des leviers d’autonomie et/ou de coopération pour des personnes en difficulté " ?

"La réponse à l'appel d'offre européen "YOUTH START" apportée par l'Association "Objectif Emploi !" de la ville de St Denis, évoquée brièvement par Rosita Gomez (dans la séance plénière sur la confiance), et développée plus amplement par G. Goyet (<amok@alpes-net.fr>) dans sa présentation ("Qui accompagne qui ? Accompagnement ... ou ...co-évolution/co-développement ?"), illustre une réponse possible à cette question " (réponse de M.J. Avenier).

Enfin, s'interroge C. Batime : "Quels pourraient être les critères pour expérimenter la mise en oeuvre de l’information partagée ? Les normes et procédures, les projets transversaux, les référentiels documentaires d’action, les projets stratégiques et reconnus comme tels ? Comment installer peu à peu la confiance sur le processus d’information partagée ?".

Dans le prolongement de l’ensemble de ces remarques, F.X. de Vaujany (<Vaujany@univ-lyon3.fr>) souligne que "dans la mise en œuvre de technologies de type intranet ou groupware, le développement d’une transversalité renforcée repose à la fois sur un accompagnement actif des utilisateurs et le développement interactif de représentations partagées de l’objet technologique (simultanément à celui de conventions d’usage). C’est cette sorte de schème d’assimilation collectif qui constituera pour l’utilisateur lambda un ensemble de connaissances actionnables. Sans cette re-co-construction sociale de la technologie, il n'y a pas d’usages efficients possibles. L’outil informatique devient un vecteur d’incertitude supplémentaire à éviter. Donc, pour réagir à la première interrogation de C. Batime, c’est l’émergence de contraintes négociées qui va permettre paradoxalement aux acteurs d’interagir sur le réseau et de développer de nouveaux espaces d’autonomie. Pas de liberté sans un minimum de contraintes !".

 

 

 

C) Représentations partagées,

cognition et intelligence collectives

 

Ces trois thèmes apparaissent souvent de façon concomitante dans les réactions des participants qui nous sont parvenues. En particulier, les concepts de cognition et d’intelligence collectives ont suscité de nombreuses réactions souvent très passionnées.

 

C. Batime souligne qu'" Aller vers l’information partagée dans une organisation, c’est négocier des modes de représentation de cette organisation. Mais dans une organisation, n’y a-t-il pas une stratégie dominante et des positionnements d’acteurs tels que le moteur de ce processus est la construction de la confiance ? ". Passant à un niveau plus normatif, C.Batime se demande " quels sont les niveaux d’acteur à mettre en confiance pour enclencher un processus de groupware pour l’information partagée dans une organisation ? "

M. Adam (CREAHI) réagissant à l’exposé de Benoît Journé (" Relève et briefing comme dispositif de cognition collective et d’action. Le cas des centrales nucléaires ") s’interroge sur le bien-fondé de l'utilisation du qualificatif de cognition collective : " Cognition collective n’est-il pas un mot excessif ? Cognition plurielle et information collective plutôt. "

S’intéressant toujours au sens du concept, J. Mallet (université de Provence) se demande : " Jusqu’où veut-on aller dans la définition de la cognition collective (mode mineur, mode majeur) ? Pourquoi, alors que nous avons été émus, interpellés par le témoignage des musiciens, sur l’émergence d’un espace vivant, collectif et fragile, résistons nous à transférer cet exemple à d’autres situations collectives (travail, vie de famille,…) ?."

Dans la même perspective, C. Batime se demande "si on n'a pas affaire aujourd’hui à des systèmes bio-socio-techniques, des organismes vivants composites et si ce n’est pas là que se situerait la possibilité d’émergence de la cognition collective ". Et elle pose aux participants du colloque la question suivante : " comment éviter les visions totalisantes et/ou totalitaires de l’information partagée dans une organisation et constituer des îlots de connaissance partagée interactifs ? "

Déplaçant le débat, J.M. Pénalva (CEA VALRHO Marcoule) ne s’interroge pas sur l’existence ou non de formes d’intelligence collective au sein d’ensembles organisés (à l’état naturel pourrait-on dire), mais tient un discours à teneur plus normative : " Il y a un problème d’échelle lorsqu’on passe d’une problématique individu/groupe (interactions fortes et dépendance mutuelle) au niveau collectif (finalité commune, faible cohésion). L’élévation du niveau de communication (par les NTIC) ou du niveau de confiance (par le travail au niveau de l’individu) sont des solutions vite limitées. Le partage de représentations construites collectivement ne devient-il pas indispensable ? et dans ce cas, comment s’y prendre ? "

 

Enfin, sur les conditions d’émergence de la cognition et de l’intelligence collectives, Alfred Pétron, faisant appel à son expérience personnelle, propose la réflexion suivante : " J’aimerais pouvoir approfondir une thématique concernant l’intelligence collective. Georges Lerbet m’a rappelé qu’en dehors du bio, il n’y avait pas d’intelligence possible et JF Lemettre économiste à Versailles me dit que Georges a tort de ne pas y croire... Travaillant patiemment à la formation de maïeuticiens ruraux, je veux croire en l’intelligence des femmes et des hommes de nos territoires même si je conçois bien que leur rationalité comme la nôtre est limitée, et que collectivement on peut aussi être tout à fait inintelligents. De ce point de vue, l’intervention des deux personnes qui participent à un orchestre de jazz et qui nous disent qu’individuellement ils sont des musiciens très moyens mais qu’à neuf ils font un orchestre qui se tient alimente mon questionnement . Nous avons tendance à nommer le résultat de cette coopération " méta-niveau " mais ce méta-niveau est à reconstruire si nous changeons un ou deux membres. Jacques Miermont a parlé dans un dossier MCX de 1994 d’intelligence collective pour nommer les ajustements qui s’opèrent dans une famille qui compte un handicapé. M.J. Avenier a posé la question de construction de représentations partagées. Nous sommes donc devant un paradoxe qui naît de l’affrontement disciplinaire : du point de vue psychologique, l’intelligence collective est inenvisageable et pour la sociologie des organisations, elle semble aller de soi. Les problèmes de représentation collective, de mémorisation collective, de cognition collective, d’apprentissage collectif, de capitalisation conceptuelle et expériencielle me taraudent l’esprit. J’ai repéré quelques travaux du GRASCE qui me semblent pertinents pour m’aider dans mon questionnement et notamment les travaux de M.J. Avenier sur l’éco-management. Le développement de nos territoires même les plus reculés ne peut se concevoir que par la mise en synergie des énergies locales aussi modestes soient-elles. Relier, encore relier, nous dit Jean Louis Le Moigne, alors persévérons. Si vous pouviez réagir à mes propos ceci m’aiderait à clarifier ma problématique. J’aurais l’intention d’observer les décisions de conseils municipaux ou de communautés de communes pour essayer de mettre à jour les jeux et les enjeux qui se cachent derrière ces décisions et quelle est la part réservée à la délibération sur les finalités des décisions. "

Sur la question des représentations partagées, M.J. Avenier précise avoir pris conscience récemment de ce que le partage de représentations est un idéal : "La co-construction de représentations ne signifie pas que les partenaires de cette co-construction arrivent à des représentations partagées au sens d'une exacte "superposition des calques", pour reprendre une expression utilisée (naguère) par les architectes. Au mieux, les partenaires parviennent à se mettre d'accord sur un certain nombre de caractéristiques du phénomène que collectivement ils considèrent essentielles. Mais la mise en oeuvre d'un processus de co-construction de représentations a néanmoins un effet extrêmement important : il conduit en général à un enrichissement des représentations individuelles venant de la prise en compte d'aspects initialement ignorés par certains et considérés comme importants par d'autres. Aussi, même si l'on sait d'avance que le but final (la même représentation pour tous les partenaires), ne sera jamais atteint, la mise en place de processus visant à la construction de représentations partagées (à travers notamment le travail en commun au sein de dispositifs d'intermédiation) n'en reste-t-elle pas moins un moyen essentiel pour faciliter la coordination de personnes engagées dans une action collective en situation complexe.

Pour alimenter le débat sur les représentations collectives, M.J. Avenier propose d'introduire un tiers : le concept de représentations sociales. "Certains psychosociologues (tels Moscovici et J.C. Abric) ont étendu à des organisations de taille restreinte (comme des entreprises ou des conseils municipaux pour prendre une des références d'A. Pétron) le concept de représentations sociales telles que Durkheim l'avait utilisé pour désigner les religions, les mythes et les systèmes de croyance des sociétés traditionnelles. Mais ces travaux ne font évidemment pas l'unanimité...".

 

 

 

 

D) Commentaires généraux

sur le colloque et son déroulement

 

Diverses réactions nous sont parvenues sur l’organisation et le déroulement de la Rencontre.

En ce qui concerne l'ambiance générale, les échos qui nous sont parvenus s'accordent sur les caractéristiques de "simplicité, ambiance familière", "grande chaleur, convivialité, circulation simple des propos, et rencontres de personnes de qualité" qui ont à la fois "suscité la réflexion personnelle" et "favorisé une très grande richesse d'échanges entre participants" et "l'expression de points de vue divers et variés sans qu'il y ait de moment de conflit". "J'ai beaucoup appris et réfléchi", nous dit par exemple Dominique Pagès, "et surtout cela me stimule tant intellectuellement qu'affectivement car les personnes rencontrées m'ont semblé partager quelque chose de plus, sans doute lié à ce "plus d'Etre" dont parle si bien Jeanne Mallet à la fin de son résumé" (§C, partie III).

Même si la plupart des participants ont apprécié le principe d'instaurer des interactions entre "praticiens" et "chercheurs" et entre disciplines, ainsi que le principe des rapports en séances plénières destinés à mettre en commun les discussions qui s'étaient déroulées en parallèle, deux types de difficultés ont été plusieurs fois évoquées :

 

La difficulté des rapports à chaud

 

Béatrice Vincent et Claude Alia (université de Toulouse 3, <beatrice@lgc.iut-tlse3.fr>), tout d’abord, nous font part des remarques suivantes :

"Il y a quelques temps que nous nous interrogeons sur la façon dont sont organisés les congrès, sachant que plusieurs points nous semblent inquiétants : chercheurs " non-communicants " et s'impliquant peu dans des discussions, difficulté à regrouper les communications en thèmes de travail homogènes susceptibles de créer une synergie de réflexion entre les intervenants, manque de temps pour la discussion, trop grand nombre d’ateliers en parallèle, ….

Par rapport à toutes ces interrogations, l’organisation du Grand Atelier nous a semblé apporter des réponses notamment parce que l’alternance entre séances plénières et groupes de travail nous a permis de découvrir une véritable transdisciplinarité, d’autre part parce que les synthèses proposées sur chaque groupe permettent d’avoir une vue d’ensemble de la Rencontre. Il est évident que le travail demandé aux rapporteurs est redoutable. Il nous semble qu’il pourrait se limiter à rapporter les discussions plutôt que de résumer les communications des auteurs. En effet, on disposait de ces résumés dans les actes, il aurait été plus simple d'en rappeler le titre et de centrer la présentation sur la production du groupe de travail.

Il reste très difficile de rendre compte de ce travail collectif et même de retranscrire par écrit les questions que l’on peut se poser à un moment donné de la discussion. Allez vous les mettre à disposition sur Internet ?". La réponse à cette dernière question est "oui !".

 

Sur le système de restitution des échanges, Patrick Trassaert (<Ptrassaert@aol.com>) fait la remarque suivante: "le principe de restitution "à chaud" après les travaux en petits groupes est intéressant. Cependant la prestation demandée aux rapporteurs est délicate, pose des problèmes de compétence et d'impartialité ... Une voie - complémentaire - à explorer n'est-elle pas d'enregistrer (audio et/ou vidéo) et retranscrire ex post en numérique pour introduire l'intégrale ou une synthèse "à froid" sur le serveur Internet. Ceci permettrait de capitaliser la richesse des échanges ..."

 

Pour finir, Alfred Pétron se félicite de la forme interactive et vivante du Grand Atelier: " Vous m’avez demandé mes sentiments sur le déroulement du GA MCX. Tout d’abord, je crois que je ne peux que m’associer à tous ceux qui ont trouvé ces deux jours très enrichissants du point de vue conceptuel et expérienciel. Je n’avais pas pu participer au GA de Juin 1997 et j’ai donc découvert cette nouvelle formule très dynamisante et les deux personnes auprès desquelles j’avais insisté pour qu’elles fassent une communication ont apprécié l’empathie manifestée par les animateurs et rapporteurs. Je crois percevoir la difficulté du rôle de rapporteur dans cette forme d’atelier mais d’une manière générale les plénières ont permis une synthèse à la fois complète et frustrante car vous avez souvent été contrainte de stopper les questions. L’intervention du guide de haute montagne nous a suggéré un magnifique sujet de réflexion sur le risque et la responsabilité qui incombe au guide en tant que formateur : nous ne pouvons que nous réinterroger constamment sur les sentiers que nous empruntons avec les formés, ce qui sera une balade basket pour l’un sera une ascension vertigineuse pour l’autre ".

 

 

La difficulté de l'échange et du débat trans-métiers

et trans-disciplines

 

Régine Teulier (chercheur CNRS, <teulier@idf.ext.jussieu.fr>) se montre sceptique sur la communication entre le monde de la recherche et celui de la praxis : "J’ai ressenti une grande difficulté à avoir un débat : chaque discipline, chaque spécialiste formule à sa manière ce qu’il pense comme " faisant problème ". J’ai donc eu du mal à intéresser, à amorcer une discussion avec les personnes que j’allais voir. Il aurait fallu que je parle avec leurs concepts et dans la problématique de leur discipline. Même quand des praticiens vous remercient chaleureusement de leur communiquer des références de travaux susceptibles de les intéresser, je sens qu’ils ne peuvent pas intégrer ce pan de connaissances supplémentaires qui leur est totalement étranger et qu’à la limite en leur signalant que ça existe, je les ennuie".

 

On se souvient que dans le §D de la partie III, Armand Colas (Parc nucléaire, EDF, <Armand.Colas@edf.fr>) partait d’une observation assez proche de celle de R. Teulier, mais arrivait à des conclusions plus optimistes. Ne disait-il pas : "L'univers de la Recherche et de l'Enseignement ont des approches et des centres d'intérêts différents de ceux de l'entreprise. (...). Une question qui reste en suspens est celle de la coopération entre deux univers culturels passablement différents.(...). A défaut de pouvoir suivre toujours les autres sur leurs chemins de raisonnement pendant ces deux jours, la stimulation par la pensée des autres suscite la réflexion personnelle et aide sûrement à trouver plus facilement soi-même des réponses à ses questions en allant puiser dans ses propres ressources, mises en éveil par l'ambiance de réflexion."

Plus spécifiquement sur l’organisation des interventions, Frédérique Sereni (enseignant-chercheur, <lerser@cybercable.fr>) nous livre la réflexion suivante : "Il conviendrait de réfléchir au statut, par rapport à notre problématique (qui est une problématique de recherche), des intervenants-amorces de plénière. J'ai trouvé que c'était vraiment une très bonne idée, un bon bol d'oxygène à partager, un beau cadeau qui nous était offert par ces personnes à qui l'on demandait quelque chose de difficile. Et, en retour, nous ne leur donnions pas grand chose. Je me demande s'il ne faudrait pas limiter un peu leurs apports propres, et prévoir ensuite un temps de TRAVAIL où 2 ou 3 personnes de MCX les rejoindraient (toujours en public), et où on tenterait de mieux comprendre les articulations entre ce qu'ils apportent et le thème que nous approfondissons ensuite en atelier. Ils seraient ainsi en même temps peut-être mieux intégrés à notre réflexion, et mieux à même d'en profiter...

Par ailleurs, il aurait certainement été opportun qu'il y ait en introduction, lors de la plénière d'ouverture, un minimum d'explicitation des termes de l'intitulé, pour que cette explicitation fasse référence, c'est-à-dire que, dans la suite du colloque, chacun puisse se situer par rapport à quelque chose de commun (pas pour l'adopter comme parole magistrale, mais pour pouvoir dire comment on le partage, le nuance, le conteste, les uns et les autres, quand on prend la parole en plénière ou en atelier). Je pense par exemple, ici, à "délibération" et "intervention", qui auraient pu faire l'objet d'une telle explicitation.

Enfin, je n'ai pas eu l'impression que l'interpellation réciproque "obligatoire" que j'avais proposée pour les ateliers ait bien marché. Mais c'est difficile. Je m'en suis aperçu dans le session où j'intervenais."

A cet égard, Bernard Balcet (consultant, <BBalcet@aol.com>) s'interroge : " L'interpellation réciproque est peut-être une fausse bonne idée car les questions sont trop bien posées par les chercheurs. Le problème est peut-être de trouver le moyen de faire parler ceux qui se taisent, car les questions que l'on n'ose pas poser sont peut-être fondamentales".

Déplaçant un peu le débat, Bernard Balcet, s'adressant à Rosita Gomez, demande : "Comment faites-vous pour concilier le langage et le vocabulaire que vous utilisez pour conceptualiser ce que vous faites (en le rendant ainsi accessible à d'autres chercheurs) et les limites probables dans les échanges avec les acteurs de terrain dont vous vous occupez ? Ces acteurs peuvent-ils s'approprier vos réflexions ?".

 

 

E) Autres remarques et questions

 

Pour finir, un ensemble assez héterogène d’interpellations individuelles nous sont parvenues. Nous les avons regroupées dans cette dernière partie sous la forme de trois rubriques : " confiance et peur ", " accompagnement au concret ", et " questions adressées aux deux 'musiciens' ".

 

Sur le thème de la confiance et de la peur

 

Question de Bernard Balcet (consultant, <BBalcet@aol.com>) à Armand Colas (Responsable "Facteurs Humains", Parc Nucléaire, EDF, <Armand.Colas@edf.fr>) suite à lecture de son résumé :

"Peut-on faire confiance à l'homme ? Les deux cas de figure sont donnés comme exemples et correspondent à des approches diamétralement opposées : espace décrété et espace ouvert, le codifié et l'autocontrôle. Mais il y aurait peut-être deux questions :

- ne faudrait-il pas parler de logiques d'action qui sont transversales à ces deux cas ?

- l'appellation facteur humain n'est-elle pas réductrice ?

Peut-être faudrait-il parler du compliqué et du complexe, des cas où on rencontre l'un ou l'autre et les styles de management correspondant à ces contextes.

Agir dans le compliqué n'est pas la même chose qu'agir dans le complexe. Rigueur ou intelligence ont-elles le même sens dans les deux cas".

Question de Bernard Balcet (consultant, <BBalcet@aol.com>) à P. Trassaert (chef de projet industriel dans l'industrie automobile, <Ptrassaert@aol.com>) :

"Après les définitions de la confiance et ce qu'elle implique, n'est-il pas intéressant de recenser ce qui la favorise comme par exemple : le partage des valeurs, l'écoute, la sollicitation de l'intelligence, l'action en commun ?"

Proposition d'Augusto Cusinato (Istituto Universitario di Architectura, <augusto@brezza.iuav.unive.it>) : "On a confiance quand on s’expose à l’autre " en confiant " qu’il n’en profitera pas et que, au contraire, il échangera cette attitude à l’égard de son interlocuteur. Comment peut-on faire démarrer ce processus ? En faisant recours, je pense, à la pratique du don : c’est à dire cueillir l’occasion pour " avancer " un morceau de confiance, se retirer, attendre le contre-don (si il y a), renouveler le don, etc... Avoir de la confiance, c’est donc " faire don " à l’autre de sa propre intégrité, dans l’espoir d’un contre-don similaire."

Question de Bernard Balcet (consultant, <BBalcet@aol.com>) à Michel Monroy (psychiatre)

"La peur bloque le relationnel et se trouve peut-être à l'origine de bien des malentendus et de stratégies obliques. Ne serait-il pas intéressant d'étudier ce phénomène ressenti de vulnérabilité chez des responsables qui estiment devoir afficher des certitudes et cacher leurs doutes ? La vie quotidienne de l'entreprise serait moins complexe s'il était possible d'atténuer ce phénomène".

Enfin, une remarque d'Anne de la Tour et de Michèle Legrand (respectivement médecin et psychologue en soins palliatifs) "Nous avons été surprises par le vocabulaire très recherché utilisé par certaines personnes du milieu de l'entreprise, souvent hermétique pour les autres. N'y aurait-il pas une certaine peur à utiliser des mots simples ?".

 

Questions sur l'accompagnement au concret

 

Bernard Balcet (consultant, <BBalcet@aol.com>) interroge Jean-Luc.Grolleau (Directeur Général, Algoé) : " comment assurez vous la cohérence entre les synthèses exposées et l'action pragmatique sur le terrain qui est peut-être moins valorisante tout en étant indispensable ? Comment intégrer la difficulté d’actionner les collaborations de terrain avec des connaissances portées mais pas forcément intériorisées ? "

Norbert Tangy (EDF-GDF Services, <norbert.tangy@wanadoo.fr>) : "Qu’est-ce que prétendre accompagner ?".

Cette question fait écho à l'interrogation de Georges Goyet (chercheur CNRS) développée dans son intervention au Grand Atelier (cf. Cahier des Résumés) : "Qui accompagne qui ? Accompagnement ou co- évolution/développement ?". Norbert Tangy et Georges Goyet trouveront certainement des éléments pour alimenter leur questionnement dans le texte de Frédérique Sereni (enseignant-chercheur à l'université de Tours) figurant dans le §B de la partie III de ce Dossier). Ce texte qui reprend l'intervention orale de F. Sereni au Grand Atelier, propose en effet une définition riche de l'accompagnement. Il s'agit pour elle d'un savoir-faire s'exprimant en termes de savoir "jouer" sur trois registres différents, ceux du "guide", du "compagnon", et de "l'accompagnant".

 

Questions adressées aux "musiciens"

(Claude Fromageot <claude_fromageot/yves-rocher@yrmail.yrnet.com>

Bruno Philippe <bruno.philippe@algoe.fr>)

 

Anne De La Tour (médecin en soins palliatifs, Hôpital Sainte Périne) : "En quoi le fait d’être amateur dans votre passion musicale vous sert dans votre vie professionnelle ? Quels outils seraient transférables ? (Cas concrets)".

Manfred Mack (consultant, Transformance) : "Comment dans un orchestre de jazz ou un quatuor se réalise la stimulation réciproque ?".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Enfin, pour terminer, nous reprendrons des thèmes de réflexion que proposent trois participants, Norbert Tangy (EDF-GDF Services, <norbert.tangy@wanadoo.fr>), Armand Colas (Parc nucléaire, EDF, <Armand.Colas@edf.fr>) et Bruno Tardieu (ATD Quart Monde, <Btardieu@postoffice.worldnet.att.net>), au terme de leur participation au Grand Atelier MCX.

Le premier demande : "Ayant entendu parler musique, esthétique, conception, pourrait-on revenir sur l’idée de performance ?"

Le deuxième s'interroge : " quand on réfléchit, management, sollicitation des personnes, appel à plus de performance,... une question lancinante revient souvent : quel est le sens de l'entreprise dans la vie de la collectivité humaine ? Et en corollaire, en vertu de quels principes est-on fondé à exiger des conditions difficiles et des résultats performants ?"

Quant au troisième, il se dit " frappé par l’existence de maîtres. On choisit ses maîtres, mais on fait trop comme s'ils n’existaient pas. Il est donc difficile de réfléchir à qui sont ses maîtres et éventuellement de les remettre en cause. "

 

 

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L'Association du Programme Européen MCX : AEMCX

 

 

 

Marcheur, il n’y a pas de chemin, en marchant se construit le chemin.... "

Caminante, no hay camino, al andar se hace camino... "

A. Machado

 

 

 

 

 

 

Constituée formellement lors de la 4e Rencontre du Programme MCX (1994 : "La complexité appelle la stratégie"), l'Association Européenne MCX est une association de personnes physiques. Cette association est fondée sur un projet de rayonnement civique et scientifique du Paradigme de la Complexité (ou de "La Pensée Complexe") dans les cultures contemporaines et plus particulièrement dans les systèmes d'enseignement et de recherche (tant dans les sciences " dures " que dans les sciences " douces ") et dans les organisations socio-économiques.

S’efforçant de se mettre en réseau avec les multiples initiatives inspirées par le même "Projet de Civilisation", (en particulier l’Association pour la Pensée Complexe présidée par E. Morin), elle se propose de rendre manifeste la faisabilité d'une telle entreprise de reliance des savoirs entre eux, permettant et permise par la reliance des savoirs et des faire : "En marchant se construit le chemin". Ce beau vers d'A. Machado symbolise son projet civique et culturel, responsable et solidaire.

 

 

 

 

 

 

Pour tous renseignements joindre le secrétariat de l'Association :

AE-MCX, BP 154, 13605 Aix-en-Provence Cedex 1, France ;

fax (33) 04 42 23 39 28  e-mail : mcx@romarin.univ-aix.fr

Site web du Programme Européen MCX : <www. mcxapc.org>