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Association pour la Pensée Complexe
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Ecouter Giambattista Vico….

Ne pouvons nous, en 2006, écouter Giambattista Vico….


En guise de vœux mutuels du Réseau Intelligence de la Complexité

« la clarté est le vice de la raison humaine plutôt que sa vertu »[1]

           Si l’Italie avait écouté Giambattista Vico, et si, comme au temps de la Renaissance, elle avait servi de guide à l’Europe, notre destin intellectuel n’aurait -il pas été différent ?

            Nos ancêtres du XVIIIe siècle n’auraient pas cru que tout ce qui était clair était vrai ;  mais au contraire que « la clarté est le vice de la raison humaine plutôt que sa vertu »,  parce qu’une idée claire est une idée finie.

            Ils n’auraient pas cru que la raison était notre faculté première, mais au contraire l’imagination ; la raison, tard venue, n’ayant fait que dessécher notre âme ; et ils auraient eu peut-être le regret de nos paradis perdus.

            Ils n’auraient pas cru qu’il fallait illuminer la terre, en surface, mais au contraire que l’explication des choses venait des profondeurs du temps.

            Ils n’auraient pas cru que nous nous dirigions en droite ligne vers un avenir meilleur, mais au contraire que les nations étaient soumises à des vicissitudes qui les faisaient sortir de la barbarie pour aller vers la civilisation et, de la civilisation, les ramenaient à la barbarie. Toutes leurs idées auraient été bouleversées, toute leur conception du monde.

Il faut admirer ce héros de la pensée et ce génie original, et, jusque dans sa défaite provisoire, l’homme qui aurait voulu donner un autre cours au fleuve du siècle.

            Par la vertu de la maladie qui l’avait tenu éloigné des écoles, et par celle d’une fierté qui lui avait fait mesurer d’un seul coup l’insuffisance de maîtres qui répétaient et ne réfléchissaient plus, il n’avait pas subi l’influence de la scolastique, qui comptait encore tant de dévots.

            Par la vertu de sa propre force, il n’avait pas subi l’influence des doctrines à la mode, comme celle de Descartes, qui à l’entendre avait engourdi les esprits en les dispensant du savoir, leur apprenant à dédaigner les efforts et les patiences en mettant leur confiance dans une perception distincte, laquelle avait favorisé la paresse de notre nature, qui veut tout connaître dans le temps le plus court et avec la moindre peine.

Il n’avait pas subi l’influence de Locke, fraîchement venue de Londres, et qui représentait la nouveauté du jour.

Son caractère n’avait pas davantage cédé aux forces d’esclavage, à la puissance des grands, à la pauvreté, à l’insuccès de sa carrière professorale.

            Dans la gêne, il avait continué à travailler, à chercher, à se plonger dans l’étude des disciplines les plus diverses, jusqu’au jour où estimant enfin que ses approches étaient suffisantes, il avait publié le livre qui ne proposait rien de moins que de donner les principes d’une science nouvelle sur la nature des nations, sur le droit des gens, et à vrai dire sur la loi qui présidait à l’évolution de l’humanité : Principi d’una Scienza Nuova intor no alla natura delle nazioni, per li quali si ritrovano altri principi del diritto delle genti ; et c’était l’année 1725.

            Il s’en dégageait cette idée grandiose que le sujet et l’objet de la connaissance étaient l’histoire que chaque peuple, et tous les peuples, créent inconsciemment en la vivant, et consciemment lorsqu’ils la conçoivent comme le devenir même de notre espèce.

            Pour lui, l’histoire était la réalité en train d’être vécue ; et elle était encore l’ensemble des témoignages que nous laissons derrière nous, et qui, avant d’être des souvenirs, sont les modalités de l’existence ; elle était tous les monuments, depuis les premières pierres des cavernes jusqu’aux produits les plus raffinés de la civilisation ; toutes les langues qui eussent jamais été parlées ou écrites ; toutes les institutions qui eussent jamais été fondées ; toutes les habitudes et toutes les moeurs ; toutes les lois.

Il n’était pas d’objet que Vico ne touchât sans le transformer en or :

            Le langage n’était plus la science abstraite des mots, mais une série d’inscriptions qu’il fallait lire en y cherchant le reflet de nos états psychologiques antérieurs ;

            la poésie n’était plus  le résultat d’un artifice, une difficulté

vaincue, une réussite d’autant plus parfaite qu’elle se conformait davantage aux préceptes de la raison, mais notre âme spontanée et naïve, mais une valeur primitive qui allait se dégradant.

            L’Iliade et l’Odyssée n’étaient plus des épopées savamment composées par un aède aveugle, remplies à la fois de beautés singulières et de fautes de goût, dues celles-ci  à la grossièreté de son temps : mais une des voix que nous avions parlées, une des formes de notre être, saisie à un moment de la durée et venue jusqu’à nous.

            Et la science nouvelle n’était plus la géométrie ou la physique, mais l’interprétation des signes dont l’ensemble constituait l’humanité et la vie.

En vain Giambattista Vico s’adressait aux savants, à ses compatriotes de Naples, à ce Jean Leclerc qui, dans sa gazette de Hollande, distribuait la renommée aux écrivains qu’il révélait à l’Europe. L’Europe restait sourde, et pour commencer l’Italie. Il lui avait pourtant fourni un de ses titres de noblesse, en montrant dans la langue latine les traces d’une civilisation autochtone, De antiquissima Italorum sapientia, sagesse qui ne devait rien qu’à un peuple digne de redevenir lui -même.

            C’est plus tard seulement que cet appel sera entendu et recueilli. Pour le moment il restait sans écho ; ce novateur n’avait pas de disciplines, pas de suivants ; sa pensée était sans action, et même les siens ne le recevaient pas.


[1] Paul HAZARD  (1878 -1944) La pensée européenne au XVIIIe siècle De Montesquieu à Lessing

Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, bénévole, Courriel : ppalpantuqac.ca

Dans le cadre de la collection : “ Les classiques des sciences sociales ” fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay,

professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi  Site web : http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/

Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul -Émile Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi Site web : http://bibliotheque.uqac.ca/

P. 29-31 sur Vico

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