PROJET DE L'ATELIER:
Le programme européen MCX s'est formé vers 1986/88 dans un
creuset épistémologique , le Groupe de Travail "Systémique
- Epistémologie " du Collège de Systémique de L'AFCET
, (lequel s'était constitué au lendemain du Congrès
"Modélisation et Maîtrise des Systèmes " de Versailles
,1977). C'est précisément dans ce terreau
épistémologique qu ' avait germé le projet d'une entreprise
reliant les démarches pragmatiques et poietologiques les plus diverses
à de permanentes réflexions épistémique :
s'intéresser autant à la forme (les méthodes ou les
pratiques ) qu'au fond (les projets ou le sens ) . A l'expérience
, il apparu bientôt souhaitable de susciter un lieu plus
spécifiquement propre à la méditation
épistémique facilitant les "reculs " que les actions en situations
ne permettent pas toujours aisément . Le choix de l'expression
proposée par J.Piaget en 1967 , "la critique épistémologique
interne ", affichant le projet " : une critique ,certes constructive dans
l'intention , mais permanente ; non pas une théorie ou une doctrine
mais une réflexion récursive incessante .
Un objectif symbolique à long terme nous sert de repère ambitieux
: peut-être pourrait on se proposer de co produire dans quelques
années , une nouvelle édition de la célèbre
encyclopédie Pléiade animée par J.Piaget en 1967 , par
laquelle il restaura dans nos cultures les épistémologies
constructivistes , en mobilisant de nombreux concours et en faisant de la
"critique épistémologique interne " le fait nouveau
et de conséquences incalculables pour l'avenir. Mais il nous
importe moins d'atteindre cette balise que de "construire les méditations
épistémologiques en cheminant " .
Aujourd'hui ,c'est surtout une fonction de veille épistémique
active ,insérées dans les multiples expériences inter
et trans disciplinaires que nous vivons dans ce foyer des "nouvelles (et
très anciennes parfois) sciences de la complexité" que constitue
le Programme Européen MCX , que cet atelier se propose de développer
. |
FORUM(S)
organisés par l'atelier MCX 10
-
La scientificité et donc l'enseignabilité des sciences des
systèmes et de quelques autres
Première contribution sous la forme d'une :
Lettre à un Ami
attentif à nos réflexions sur les nouvelles sciences de la
complexité :
" J'en viens à tes questions sur
le statut épistémologique de la science des SYSTEMES . La
réponse n'est pas aisée à présenter s'il faut
la définir d'abord par rapport aux disciplines déjà
établies depuis 2 siècles . et elle est facile s'il faut la
définir par rapport aux disciplines du 15° et 16° siècle
(Trivium et Quadrivium).
Je prétends que la Systémique
ou science des systèmes se définit comme la discipline de la
modélisation : on peut donc la tenir comme proche de la rhétorique
, de la dialectique ,de la syllogistique ou de l'analytique voire de la topique
pour parler comme Aristote , et de la critique pour parler comme G. Vico
. J'ai écrit ,il y a 20 ans un article dans lequel je la tenais pour
synonyme de l'intelligence Artificielle au sens que Newell et Simon venait
de donner à ce mot dans leur conférence Turing de 1975(ACM.March
76) , et je pense que la science de la cognition (au sens de Simon) est
potentiellement un autre nom de la Systémique aujourd'hui : Tu avais
remarqué que la société scientifique française
s'appelait "Systémique et Cognition". mais je conviens qu'on suscite
beaucoup de nervosité dans les milieux de la science normale et de
la (pseudo?) science Informatique ,en France en particulier , quand on rappelle
cet argument. (H.A.Simon s'en tire en ne parlant presque jamais de science
des systèmes ).
Pour qu'on puisse argumenter une réponse
paisible ,il faut je crois remonter à la légitimation
épistémologique de chaque "discipline" . Si l'on convient que
les systèmes ne sont pas dans la nature ,mais dans l'esprit des hommes
" , alors on doit convenir que la systémique ne peut-être une
"discipline positive" comme celles qui se déclarent fondées
sur un "objet naturel et donc réel ,indépendant du sujet qui
le perçoit . Je prétends qu'il y a aujourd'hui d'autres
"disciplines dans cette situation: fondées sur un projet de connaissance
d'un sujet ,et pas sur un objet de connaissance indépendant du sujet
qui le décrit pour tenter de le comprendre (lui donner du sens) ..
Ce sont celles que j'appelle les "Nouvelles sciences" apparues au 20°
siècle (et dans la lignée de bien des disciplines des 15°
et16° siècle: sciences de la musique , des jardins , du gouvernement
, et toutes les sciences du génie , qu'il nous faut hélas appeler
aujourd'hui sciences de l'ingénierie ,celles ci étant trop
souvent encore encore considérées comme des disciplines ancillaires
ou appliquées , des sciences au rabais !) :
Cela commence officiellement avec la
cybernétique ,sciences de la communication et de la commande dans
les systèmes naturels et artificiels . et cela continue avec les sciences
de l'information , de la décision, de l'organisation , de la gestion
, de l'éducation , de la cognition , de la conception , etc. ... Des
sciences sans objet naturel , définies par le projet de connaissance
du sujet (cf. la formule de G.Bachelard) .
La question devient dense (ou complexe!)
lorsqu'on reprend cette lecture épistémologique pour comprendre
des disciplines qui étaient apparemment considérées
comme fondées sur des objets naturels , le cas le plus familier
étant sans doute celui de l'Ecologie (mais il en est bien d'autres
(sémiologie, immunologie, géophysiologie , agronomie , pragmatique
,linguistique , etc....) : il apparaît alors que ces disciplines visent
plus à identifier des possibles (émergents?) et des actions
possibles plutôt qu'à déterminer des "nécessites
"(des lois de la nature).
On est alors très tenté
d'emprunter à la systémique son appareil méthodologique
, en faisant comme si (ou en oubliant qu') il n'était pas dépendant
des hypothèses gnoséologiques qui le légitime . On aboutit
alors à son insu à une sorte de chaos épistémologique
qui , invisible , pour des chercheurs inattentifs ,conduit à des
"stupidités d'experts "que l'on perçoit toujours trop tard!
: La "culture Santa-Fé " est ici révélatrice du malaise
et de l'inculture épistémologique des chercheurs : "La
théorie systémique du chaos démontre que ..".: ou "
la théorie des systèmes vivant démontre que l'organisation
doit être cellulaire et pas hiérarchique "; etc.....Je
prétends que la sciences des systèmes ne démontre rien
d'autre que la culture épistémique de celui qui en parle .
P.Valéry le disait très bien: "On a toujours cherché
des explication quand c'était des représentation qu'il fallait
établir "
J'ajoute une composante que les disciplines
positives ne parviennent paraissaient à prendre en compte : le temps
. Et là une systémique modeste devient puissante :elle incite
à considérerA LA FOIS , à relier donc , les composantes
synchroniqueset diachroniques ., et suggère de nouvelles approches
,encore mal stabilisées épistémologiquement, des disciplines
relevant des sciences de l'évolution , de l'autonomie (auto-éco-
organisation) , et ,plus généralement peut-être de
l'irréversibilité (qui s'interdisent "les raisonnements toutes
choses égales par ailleurs"). Je t'enverrait un de mes textes
récents sur "les 3 temps de la modélisation des
éco-systèmes : entropie , anthropique ,téléologique"
: Prigogine est ici ala fois très proche et assez irritant puisque
son propos semble substituer un determinisme à un autre (le statistique
au mécanique!). On voit bien ce que permet ici la modélisation
systémique , assumant la complexité de l'interaction
fonction-transformation , mais on n'ose pas encore intégrer son
caractère potentiellement téléologique . Ce sont ces
disciplines qui constituent je crois le levier le plus puissant pour la formation
des "savoirs" de la complexité aujourd'hui (c'est E. Morin qui va
le plus avant dans ce sens ,grasce à son exceptionnelle culture dans
les domaines de la géo et de la bio sphère ) . On quitte
définitivement l'analytique (ou l'anatomique) ,et on entre dans le
physiologique (ou le systémique!).
Dernier point sur lequel je souhaite insister
: celui de la production du savoir à partir du faire . nous pouvons
développer au 21° siècle des "savoirs pour agir
intelligemment" plutôt que des "savoir pour savoir" . Ce qui nous conduit
à des modes de production et de légitimation des savoirs très
subtils : le clair-obscur de Léonard devient plus adéquat à
la "méthode scientifique en formation-restauration" que le "clair
et net" cartésien ; la simplicité n'est pas nécessairement
l'intelligibilité ou la clarté , et le simple n'est donc plus
un critère de scientificité . Très pratiquement je prends
l'exemple des savoirs produits par les infirmières à partir
de leurs praxis méditée, un savoir enseignable en " génie
infirmier"(encore une "nouvelle science"): Il n'est pas "simple" , mais il
est intelligible ! Dans ces entreprises , la modélisation systémique
,nouveau ,se révèle effectivement opératoire .
Je ne suis pas sur que je réponds
de façon simple à ta question complexe (ou faussement simple!),
mais tu m'auras donné l'occasion de revenir un moment sur quelques
arguments qu'il faudrait sans cesse travailler , chemin faisant , sans jamais
etre définitivement satisfait de ses réponses du jour . Merci
, de tout coeur de m'avoir si amicalement réactivé
J.L. Le Moigne
-
Charles François commente : " Qui sait ce qu'est la théorie
générale des systèmes ? Existe-t-elle comme une
théorie unifiée ? Le mot de "Science des systèmes "
est peut etre un abus de langage, bien que chacun le comprenne et le
définisse à sa façon "?
-
"By Charles François Who Knows What General Systems Theory Is ? In
my opinion General Systems Theory does not really exist as a unified theory.
Claims to the contrary seem to harm our credibility.
"Systems Science(s)" is also a dubious trademark. Everyone understands it
and defines it in her/his own way. Nobody seems to be able to offer a coherant
and all embracing view of what it is (with the possible exception of Jean
Louis Lemoigne in France, whose ideas would deserve to be considered in an
international symposium)"
Quite curiously, this disarray somewhat reminds me of the famous Indian tale
about the elephant and the five blind men...which ironically has precisely
been proposed as a metaphor for the need of a systemic vision.
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